"Quand Nicolas de Staël dit qu’il n’y a que deux façons de vivre, celle, ordinaire, balisée, qui peut-être est la plus « vraie », et l’autre s’aventurant hors de la conformité, il fait paraître combien cette « vérité » par conformité, celle à laquelle on voudrait se fier, répondant à la définition traditionnelle de la vérité, est paresseuse et stérile. Ou quand Einstein écrit : « Il n’y a que deux façons de vivre sa vie ; penser que rien n’est un miracle ou penser que tout est miracle », il range d’un même côté le « sans miracle », la conformité, la rationalité déclarée, quand la raison se confine dans sa légalité, que tout s’emboîte et trouve son adéquation qui n’est toujours, en fait, qu’une adaptation ; de l’autre, la percée héroïque hors de la conformité rassurante, de la normalité qui sécurise, où tout dès lors – mais sans qu’il s’y mêle un tant soit peu d’irrationalité paresseuse – devient inouï."
"Entre cette vie conforme et son autre, un dialogue n’est-il pas devenu impossible, quelle que soit la bonne volonté qu’on y met ? Car cette vie ne dé-coïncidant pas, ne « décollant » pas, demeurant rivée à ce qui lui paraît son intérêt, reste attachée à ce qui la rassure, comme l’animal, dans le pré du possible, à son piquet : la corde a une certaine longueur qui ne se laisse pas excéder. Il n’ira pas brouter plus loin, la longe n’étant pas élastique. Quand on aborde quelqu’un, c’est là certainement la première question qu’on en vient, à part soi, à se poser : quelle est la longueur de la longe qui le tient attaché, l’empêchant de s’écarter davantage ? Car, d’un autre côté, il y a des vies dont on ne voit plus quelle longueur de longe les retient. Et même s’il y a encore une longe qui les retient – n’est-ce pas là la définition du philosophe (ou du peintre, ou du poète) : celui qui en est venu à couper la longe ? Ou du moins cherche-t-il désespérément à le faire, même s’il en a peur aussi. "