"L'artiste est l'homme sans contenu, qui n'a d'autre identité qu'une émergence perpétuelle au-dessus du néant de l'expression, ni d'autres consistance que cette incompréhensible station en-deça de soi-même."
"Poésie, ne désigne pas ici un art parmi d'autres, mais le nom du faire même de l'homme, de cette opération produtive dont le faire artistique n'est qu'un exemple éminent et qui semble aujourd'hui déployer en une dimension planétaire sa puissance dans le faire de la pechnique et de la production industrielle."
"Ouvrant à l'homme son authentique dimension temporelle, l'œuvre d'art lui ouvre aussi, de fait, l'espace de son appartenance au monde, le seul espace dans lequel il puisse prendre la mesure originelle de son séjour sur terre et retrouver sa vérité présente dans le flux impossible à arrêter du temps linéaire.
Dans cette dimension, le statut poétique de l'homme sur terre trouve son véritable sens. L'homme a sur terre un statut poétique parce que c'est la poiesis qui fonde pour lui l'espace originel de son monde. Cest seulement parce que dans l'acte poétique il fait l'expérience de son être-au-monde comme de sa condition essentielle, qu'un monde s'ouvre à son action et à son existence. C'est seulement parce qu'il est capable du pouvoir le plus inquiétant, celui de la pro-duction dans la présence, qu'il est capable de praxis, d'activité libre et voulue. C'est seulement parce qu'il accède, dans l'acte 'poiétique', à une dimension plus originelle du temps, que l'homme est un être historique, pour lequel donc sont en jeu à chaque instant son passé et son futur."
"L'art est le dernier lien qui unisse encore l'homme à son passé."
"En effet, contrairement à ce qui peut apparaître à première vue, la rupture de la tradition ne signifie en aucun cas la perte ou la dévalorisation du passé : il est même probable que seulement alors le passé se révèle en tant que tel avec un poids et une influence inconnus auparavant. Perte de la tradition signifie en revanche que le passé a perdu sa transmissibilité, et, tant qu'on n'aura pas trouvé un nouveau moyen d'entrer en rapport avec lui, il peut dorénavant n'être qu'objet d'accumulation. Dans cette situation, l'homme conserve donc intégralement son hérédité culturelle, et la valeur de celle-ci se multiplie même vertigineusement : mais il perd la possibilité d'en tirer le critère de son action et de son salut, et, avec cela, le seul lieu concret où, en s'interrogeant sur ses origines et sur son destin, il lui est donné de fonder le présent comme rapport entre passé et futur. C'est en effet sa transmissibilité qui, en attribuant à la culture un sens et une valeur immédiatement perceptibles, permet à l'homme de se mouvoir librement vers le futur, sans être entravé par le poids de son passé. Mais quand une culture perd ses moyens de transmission, l'homme en vient à se trouver privé de points de référence et coincé entre un passé qui s'accumule sans cesse derrière lui et l'opprime avec la multiplicité de ses contenus devenus indéchiffrables, et un futur qu'il ne possède pas encore et qui ne lui fournit aucune lumière dans sa lutte avec le passé."