SVETLANA ALEXIEVITCH
La guerre n'a pas un visage de femme
Traduction du russe de Galia Ackerman et Paul Lequesne
"Dans notre famille, il y avait huit enfants, les quatre premiers, c'étaient toutes des filles, et j'en étais l'aînée. La guerre va son train, les Allemands sont déjà aux abords de Moscou... Un jour, papa rentre du travail, en larmes : « Autrefois, je me réjouissais d'avoir eu des filles en premier. Des filles à marier. Mais maintenant, dans chaque famille quelqu'un part au front, et chez nous, personne... Je suis trop vieux, on ne veut pas me prendre, vous, vous êtes des filles, et les garçons sont trop petits. »
Des cours pour devenir infirmière avaient été organisés. Mon père nous y a envoyées, ma soeur et moi. J'avais quinze ans, ma soeur, quatorze. Il disait : « C'est tout ce que je peux donner pour la victoire. Mes filles... » A l'époque, on n'avait pas d'autre pensée.
Un an plus tard, j'étais au front..."
"J'étais si petite, quand je suis partie au front, que j'ai grandi pendant la guerre."