GASTON BACHELARD
La poétique de l'espace
"Il faut y réfléchir à deux fois avant de parler, en français, de l'être-là.
Enfermé dans l'être, il faudra toujours en sortir. A peine sorti de
l'être il faudra toujours y rentrer. Ainsi, dans l'être, tout est circuit,
tout
est détour, retour, discours, tout est chapelet de séjours, tout
est refrain de couplets sans fin.
Et quelle spirale que l'être de l'homme! Dans cette spirale que de dynamismes
qui s'inversent! On ne sait plus tout de suite si l'on court au centre
ou si on s'évade."
« Nous voulons examiner des images bien simples, les images de l'espace heureux... L'espace saisi par l'imagination ne peut rester l'espace indifférend livré à la mesure et à la réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l'imagination... Sans cesse l'imagination imagine et s'enrichit de nouvelles images. C'est cette richesse d'être imaginé que nous voudrions explorer. »
"Les mots — je l'imagine souvent — sont de petites maisons, avec cave et grenier. Le sens commun séjourne au rez-de chaussée, toujours prêt au « commerce extérieur », de plain-pied avec autrui, ce passant qui n'est jamais un rêveur. Monter l'escalier dans la maison du mot c'est, de degré en degré, abstraire. Descendre à la cave, c'est rêver, c'est se perdre dans les lointains couloirs d'une étymologie incertaine, c'est chercher dans les mots des trésors introuvables. Monter et descendre, dans les mots mêmes, c'est la vie du poète. Monter trop haut, descendre trop bas est permis au poète qui joint le terrestre à l'aérien. Seul le philosophe sera-t-il condamné par ses pairs à vivre toujours au rez-de-chaussée ?"
"Ici, la création se produit sur le fil ténu de la phrase, dans la vie éphémère d'une expression. Mais cette expression poétique, tout en n'ayant pas une nécessité vitale, est tout de même une tonification de la vie. Le bien dire est un élément du bien vivre. L'image poétique est une émergence du langage, elle est toujours un peu au-dessus du langage signifiant.
À vivre les poèmes on a donc l'expérience salutaire de l'émergence. C'est là sans doute de l'émergence à petite portée. Mais ces émergences se renouvellent ; la poésie met le langage en état d'émergence. La vie s'y désigne par sa vivacité. Ces élans linguistiques qui sortent de la ligne ordinaire du langage pragmatique sont des miniatures de l'élan vital."