JAMES BALDWIN
L'homme qui meurt
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Jean Autret
"Je ne puis supporter aucune des villes américaines que je connais, et je les connais, ou du moins les ai traversées, presque toutes. Presque toutes me semblent dures et hostiles, et d’une laideur excessive. Quand une ville américaine a du caractère, quand elle a la moindre saveur, elle est alors généralement comparable, c’est le cas de Chicago par exemple, à une soupe dans laquelle on a versé un peu de tout, mais qui est maintenant vieille, tiède et rance, tous ses ingrédients ayant suri. Toutes les villes américaines me font l’effet de bouillonner dans une espèce de bain de sang, un sang épais, visqueux, âcre et nauséabond, et cela peut vous rendre très triste de marcher dans les rues de La Nouvelle-Orléans et de vous demander pourquoi une cité qui, après tout, ne souffre d’aucun handicap physique insurmontable doit être aussi inexorablement inhabitable."
"Sur le mur, il y avait quatre écrans, et sur ces écrans des silhouettes d’ectoplasmes et des visages qui se contorsionnaient à l’infini allaient et venaient l’un dans l’autre, sur un effroyable rythme sexuel qui me faisait penser aux créatures anonymes s’accouplant aveuglément dans la fange du monde, et au fond des mers, et dans l’air que nous respirions, et dans notre propre corps. De temps à autre, sur cet écran, on reconnaissait un visage. Je vis les traits de Yul Brynner, par exemple, et pendant quelques instants je vis les miens. Christopher posa une main sur mon épaule."