JEAN BAUDRILLARD
Carnaval et cannibale
" On peut concevoir ainsi la modernité comme l'aventure initiale de l'Occident européen, puis comme une immense farce qui se répète à l'échelle de la planète, sous toutes les latitudes où s'exportent les valeurs occidentales, religieuses, techniques, économiques et politiques. Cette "carnavalisation" passe par les stades eux-mêmes historiques, de l'évangélisation, de la colonisation, de la décolonisation et de la mondialisation. Ce qu'on voit moins, c'est que l'hégémonie, cette emprise d'un ordre mondial dont les modèles [...] semblent irrésistibles, s'accompagne d'une réversion extraordinaire par où cette puissance est lentement minée, dévorée, "cannibalisée" par ceux qu'elle carnavalise. "
" l’humanité réussit aujourd’hui à faire de sa pire aliénation une jouissance esthétique et spectaculaire. "
"C’est ainsi qu’on passe au-delà du capital – lequel a joué jusqu’au bout son rôle historique de domination et d’aliénation –, mais ne pouvant aller plus loin, il lui fallait laisser la place à un système d’abstraction encore plus radicale – celle, numérique, électronique, virtuelle, qui parachève cette fuite hors de la matérialité dont nous parlions –, et au terme de laquelle le monde comme l’humain ont définitivement disparu."
"J’aimerais citer un autre texte en regard, radicalement différent d’inspiration, qui est aussi une sorte de parabole. Un tableau véhément de cet univers hégémonique, fait d’indifférence et d’accélération, un monde au-delà de toute qualité et de tout jugement de valeur.
Don DeLillo. Cosmopolis : " Ces révoltés, ces manifestants, ce ne sont pas les fossoyeurs du capitalisme, c’est le libre marché lui-même. Ces gens sont un phantasme créé par le marché. Ils n’existent pas en dehors du marché. Il n’y a nulle part où ils puissent aller pour être en dehors – il n’y a pas de dehors. » « La culture de marché est totale, elle produit ces hommes et ces femmes. Ils sont nécessaires au système qu’ils méprisent. Ils lui procurent énergie et définition. Ils s’échangent sur les marchés mondiaux. C’est pour cela qu’ils existent, pour vivifier et perpétuer le système."