"Il est étrange d’ailleurs de constater que même l’architecture écologique, qui cherche, par divers biais, à réduire l’impact de l’homme sur l’environnement, va parfois dans le même sens que l’urbanisme hypercapitaliste. Même si, bien entendu, les finalités ne sont pas les mêmes (voire opposées), l’accent y est toutefois mis sur le modulable et le provisoire. Certes, les bâtiments construits dans l’esprit de l’architecture écologique, par le choix des matériaux et les économies d’énergie qu’ils visent, paraissent s’opposer aux perspectives à court terme du monde marchand, mais, du point de vue qui nous occupe, à savoir la possibilité de produire des ruines, l’effet est un peu le même. D’ailleurs, bien souvent, l’idéal de la construction écologique consiste dans un bâtiment léger, modulable et déplaçable, une sorte de hutte fonctionnelle et nomade. Les maisons de Glenn Murcutt, souvent construites sur pilotis (Marie Short House, 1975, Manika-Alderton House, 1994), donnent cette impression d’être posées sur le sol et de pouvoir être démontées en une nuit, sans laisser la moindre trace. Ainsi l’architecture écologique est prise dans une double exigence de durabilité (pour les activités humaines d’habitation et de travail) d’un côté et de réduction a minima de l’impact environnemental de l’autre. La meilleure solution de compromis reste ainsi la construction amovible et dont les matériaux (paille, bois, laine, adobe, etc.) ne modifient pas en profondeur et sur le long terme le sol et le site. Mais, ce faisant, ce type de constructions accepte aussi de ne plus pouvoir se dégrader lentement et de former des ruines, considérées dès lors comme des immondes déchets non recyclables et à l’impact environnemental trop grand. De la sorte, cet esprit écologique visant un impact humain minimal, conjugué à celui du recyclage des produits, va à l’encontre de l’idée de ruines. Force est de constater que les deux grandes forces de construction du début du XXIe siècle, l’architecture marchande et l’architecture écologique, œuvrent ainsi de concert paradoxalement, à rendre les ruines impossibles, la première parce qu’elles ne laissent derrière elles que des déchets et non des bâtiments qui peuvent vieillir lentement et devenir des ruines, la seconde parce que, obnubilée par l’empreinte humaine et carbone sur l’environnement, elle vise à réduire le geste architectural et à ne pas édifier des bâtiments qui dureront trop longtemps. Cette architecture est dite durable en tant qu’elle vise à faire durer la fonction en limitant l’impact écologique, mais non la construction elle-même dans sa forme et sa matière pérennes. Au contraire, une construction qui durerait trop longtemps, et de la même manière, ne serait plus totalement adaptée au changement de fonction et à la mobilité, prônés par l’éco-architecture, et donc elle présenterait un coût écologique trop grand. L’idéal reste bien la construction à bas coût de bâtiments provisoires qui, dans cent ans, n’existeront plus comme tels et dont aucune trace physique ne sera visible ni sur le sol et ni dans l’air. La conception que l’écologie politique se fait de la place de l’homme dans l’environnement introduit des tensions significatives entre, d’une part, son orientation vers la durabilité de l’humanité et surtout de la biodiversité et, d’autre part, son profond scepticisme concernant le temps humain et ses exigences symboliques. Zéro déchets signifie zéro ruines. Il s’agit de concevoir dès maintenant des édifices qui s’auto-effaceront dans le temps ou qui, alors, seront rendus tellement modulables et recyclables que, à l’instar du bateau de Thésée, plus rien de leur être initial n’existera. Ainsi, de manière surprenante, la liquéfaction du solide et le choix de la transience universelle caractérisent bien souvent l’architecture écologique et ses ennemis."