JAVIER CERCAS
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JAVIER CERCAS
Le chateau de Barbe Bleue
. Terra Alta III
Traduction de l'espagnol de Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon

 " — J’ai compris son jeu dès qu’elle s’est mise à poser des questions sur la bibliothèque, continue-t-il. “Voilà, je me suis dit. Encore une passionnée de romans.” Je parie qu’elle a lu les livres de ce Cercas et qu’elle a avalé toutes les conneries que l’autre raconte sur toi, elle doit se dire que la bibliothèque, c’est juste une couverture pour toi, un truc dans le genre… Ta légende te poursuit, l’Espagnolard. "

2023


 JAVIER CERCAS
Indépendance
. Terra Alta II
Traduction de l'espagnol de Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon

" Melchor laisse la voiture dans un parking souterrain près de la Bibliothèque de Catalogne, il emprunte à pied la rue Hospital et bifurque à droite vers la rue Joaquín Costa. L’air est imprégné d’une forte odeur d’épices et, de part et d’autre de la rue, frémit une confusion multicolore de magasins tenus par des Indiens, des Pakistanais, des Arabes et des Africains. Il y a des siècles que Melchor n’a pas mis les pieds au Raval, l’ancien quartier chinois, au cœur de Barcelone."

2021


 

JAVIER CERCAS
Terra Alta
I
Traduction de l'espagnol de Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon


"Jusque-là, la nuit a été tranquille, comme d’habitude. À cette heure avancée, il ne reste presque personne au commissariat et, alors que Melchor éteint les lumières, ferme le bureau et descend l’escalier désert tout en enfilant sa veste, la quiétude des lieux est si compacte qu’elle lui rappelle ses débuts ici, en Terra Alta, lorsqu’il était encore accro au grand tumulte de la ville et que le silence de la campagne le maintenait éveillé, ce qui lui valait des nuits d’insomnie qu’il surmontait grâce aux somnifères et à la lecture de romans. Ce souvenir lui restitue une image oubliée : celle de l’homme qu’il était quatre ans plus tôt, à son arrivée en Terra Alta ; il lui restitue aussi une certitude : cet individu-là et lui sont désormais deux personnes différentes, aussi opposées qu’un malfaiteur et un homme qui respecte la loi, comme peuvent l’être Jean Valjean et M. Madeleine, le héros dédoublé et contradictoire des Misérables, son roman préféré. "

2019


2017

 

JAVIER CERCAS
Le Monarque des ombres

Traduction de l'espagnol
de Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon

"Ibahernando était alors déjà entré pleinement dans la fiction, nourrissant un fantasme primaire d’inégalité selon lequel, tandis que les paysans sans terre demeuraient des serfs, les paysans avec terre étaient devenus patriciens, ce qui rendait les intérêts des uns et des autres irrémédiablement divergents et le conflit inévitable ; Ibahernando était déjà coupé en deux : il y avait un café pour les gens de droite et un café pour les gens de gauche, un bal pour les gens de droite et un bal pour les gens de gauche ; parfois, des jeunes de droite faisaient violemment irruption, protégés par leurs domestiques, dans les soirées dansantes de la Maison du peuple rouverte, essayant d’intimider les gens avec leurs menaces de fils à papa. Certains jeunes de gauche, de plus en plus instruits et politisés, de plus en plus disposés à faire valoir leurs droits, davantage insoumis et mieux protégés par leur syndicat et les autorités municipales, réagissaient à ces provocations et, contrairement à leurs pères et leurs grands-pères, refusaient d’accepter les abus et tenaient tête aux paysans avec terre, lesquels se vengeaient des gauchistes les plus agités en refusant de les rembaucher pour les moissons. “Mangez-en, de la République”, leur décochaient ceux qui à peine quatre ou cinq ans plus tôt étaient des républicains convaincus. Pour se venger de cette vengeance, les jeunes paysans sans terre brûlaient des récoltes, endommageaient des oliveraies, volaient des moutons ou des agneaux, entraient par effraction dans les propriétés, effrayaient les gens de droite et leur rendaient la vie impossible. La violence n’épargna pas non plus les enfants qui se tendaient des embuscades dans les rues, se lançaient des pierres ou fouettaient les jambes de leurs petits camarades avec des orties."


2014

JAVIER CERCAS
L'Imposteur

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

"Le Narcisse du mythe n'est donc pas le Narcisse de la sagesse populaire mais son exact contraire. Dans le récit d'Ovide, Narcisse ne tombe pas amoureux de lui-même mais de son image reflétée dans l'eau ; dans le récit d'Ovide, Narcisse se hait en réalité et est épouvanté par lui-même, il se méprise de toutes ses forces et c'est pourquoi il meurt quand il se voit. Le narcissique fabrique, à coups d'autocélébration, des rêves de grandeur et d'héroïsme, une fantaisie flatteuse, un mensonge derrière lequel il se camoufle et se retranche en même temps, une fiction capable de cacher la réalité, l'immondice absolue de sa vie ou ce qu'il perçoit comme l'immondice absolue de sa vie, sa médiocrité et son ignominie, le profond mépris qu'il ressent envers lui- même. Inépuisable, le narcissique a besoin de l'admiration des autres pour se conforter dans son mensonge, de même qu'il a besoin du contrôle et du pouvoir pour empêcher quiconque de faire tomber la splendide façade qu'il a érigée devant lui."

 


Icône nationale antifranquiste, symbole de l'anarcho-syndicalisme, emblème de la puissante association des parents d'élèves de Catalogne, président charismatique de l'Amicale de Mauthausen qui pendant des décennies a porté la parole des survivants espagnols de l'Holocauste, Enric Marco s'est forgé l'image du valeureux combattant de toutes les guerres justes. En juin 2005, un jeune historien met au jour l'incroyable imposture : tel un nouvel Alonso Quijano, qui à cinquante ans réinvente sa vie pour devenir Don Quichotte, Enric Marco a bâti le plus stupéfiant des châteaux de cartes ; l'homme n'a jamais, en vérité, quitté la cohorte des résignés, prêts à tous les accommodements pour seulement survivre. L'Espagne affronte sa plus grande imposture, et Javier Cercas sa plus audacieuse création littéraire. L'Imposteur est une remarquable réflexion sur le héros, sur l'histoire récente de l'Espagne et son amnésie collective, sur le business de la "mémoire historique" et, plus encore, sur la fiction qui sauve et la réalité qui tue.


JAVIER CERCAS
Les lois de la frontière

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

"La ville aussi avait entièrement changé. À cette époque-là, Gérone avait cessé d’être cette ville d’après-guerre qu’elle était encore à la fin des années soixante-dix pour devenir une carte postale, une ville postmoderne, enjouée, interchangeable, touristique et ridiculement contente d’elle-même. En réalité, il restait peu de chose de la Gérone de mon adolescence. Les charnegos avaient disparu, anéantis par la marginalisation et l’héroïne ou dissous dans la prospérité économique du pays, avec leurs emplois stables et leurs enfants et petits-enfants scolarisés dans le privé et parlant catalan – le catalan était devenu, avec l’instauration de la démocratie, une langue officielle ou co-officielle."

" L’inspecteur a acquiescé. J’ai eu l’impression qu’il vieillissait bien, mais je ne sais pas pourquoi, son visage m’a rappelé celui d’une tortue ; une tortue triste. Il regardait droit devant lui, la statue du général Álvarez de Castro, ou les érables autour de la place, ou bien les grands parasols blancs qui faisaient de l’ombre aux terrasses des cafés, ou les arcades ou les façades couleur crème traversées par des rangées de balcons en fer forgé ; une goutte de sueur coulait sur sa joue. "

2012


2009

JAVIER CERCAS
Anatomie d'un instant

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

"L'histoire se répète. Marx a remarqué que les hauts faits et les grands personnages apparaissent deux fois dans l'histoire, la première fois dans une tragédie et la seconde dans une farce, comme si, lors des mutations profondes, les hommes, effrayés par leur responsabilité, convoquaient les esprits du passé, adoptaient leurs noms, leurs gestes et leurs devises pour représenter, usant de ce déguisement prestigieux et de ce faux langage, une nouvelle scène historique, comme s'il s'agissait d'une conjuration des morts. Concernant le 23 février, l'intuition de Marx se vérifie, même si elle semble incomplète. La légende est partiellement fausse : le général Pavía n'avait pas fait irruption dans le Congrès à cheval mais à pied ."


2005

JAVIER CERCAS
A la vitesse de la lumière

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

 " — Il fait presque jour, l’ai-je entendu dire.
C’était vrai : la lumière blafarde de l’aube inondait le salon, dotant tout ce qui l’habitait d’une réalité fantomatique ou précaire, comme si c’était un décor enseveli dans un lac, et aiguisant en même temps le profil de Rodney, dont la silhouette se découpait confusément contre le bleu cobalt du ciel ; un instant j’ai pensé que, plus que le profil d’un oiseau rapace, c’était celui d’un prédateur ou d’un félin. "


JAVIER CERCAS
Les soldats de Salamine

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

 

"Il y a en lui quelque chose qui confine à la cruauté et résiste à la raison mais qui n'est pas pour autant l'instinct, quelque chose qui vit là avec la même persévérance aveugle que le sang qui s'obstine dans ses veines ou que la terre dans son immuable orbite ou tous les êtres dans leur opiniâtre condition d'êtres, quelque chose qui échappe aux mots de la même manière que l'eau du ruisseau esquive la pierre, car les mots ne sont faits que pour se dire eux-mêmes, pour dire le dicible, c'est-à-dire tout, hormis ce qui nous gouverne ou nous fait vivre ou nous touche ou ce que nous sommes ou ce qu'est ce soldat anonyme et vaincu qui regarde à présent cet homme dont le corps se confond presque avec la terre et l'eau brune du fossé, et qui crie en l'air avec force sans le quitter des yeux:
-Par ici, il n'y a personne !"

2001


JAVIER CERCAS
A petites foulées

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

"Mario arriva aux Etats-Unis en août 1981. Il avait obtenu une bourse du gouvernement italien qui devait lui permettre de mener à bien un doctorat en linguistique à l'université du Texas, Austin.
Les premiers mois passés dans ce nouveau pays ne furent pas agréables, il ne voulut ou ne put pas se lier d'amitié avec quiconque, avec les Américains, jeunes pour la plupart, il lui fut difficile de dépasser les limites d'une simple relation intéressée; quant aux Européens avec lesquels il eut l'occasion d'entrer en contact, ils lui parurent tous anodins sans exception, dépourvus du moindre intérêt."

1989


1987, 2003

JAVIER CERCAS
Le mobile

Traduction de l'espagnol de Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić

"Álvaro prenait son travail au sérieux. Chaque jour, il se levait ponctuellement à huit heures. Il finissait de se réveiller sous une douche d’eau glacée et descendait au supermarché acheter du pain et le journal. De retour chez lui, il préparait du café, des tartines grillées avec du beurre et de la confiture et il petit-déjeunait dans la cuisine, en feuilletant le journal et en écoutant la radio. À neuf heures, il s’asseyait à son bureau, prêt à commencer sa journée de travail. "