EDUARDO GALEANO
Sens dessus dessous
L'école du monde à l'envers
Illustrations de José Guadalupe Posada
Traduction de l’espagnol (Uruguay) par Lydia Ben Ytzhak
Ce livre de Galeano décrit l’avènement du capitalisme radical et ses manifestations, au crépuscule du XXe siècle : dévastation de la planète, pullulement des haines sexiste et raciste, exacerbation des injustices et abrutissement généralisé. Construit comme un manuel scolaire à ne surtout pas suivre, il s’adresse avec une ironie douce-amère aux cancres de l’école de ce monde à l’envers, à ceux qui refusent de devenir les bons élèves d’un système qui promeut le crime, le mensonge, le mépris et l’amnésie.
" Jour après jour, on refuse aux enfants le droit d’être des enfants. Les faits, qui se rient de ce droit, nous servent leurs leçons au quotidien. Le monde traite les enfants riches comme s’ils étaient de l’argent, pour qu’ils s’habituent à agir comme l’argent agit. Le monde traite les enfants pauvres comme s’ils étaient des ordures, pour qu’ils se transforment en ordures. Et ceux du milieu, les enfants qui ne sont ni riches ni pauvres, il les tient attachés au pied du téléviseur, pour que très tôt ils acceptent la vie en cage comme destin. Les enfants qui parviennent à être des enfants doivent avoir une bonne dose de magie et beaucoup de chance. "
"Cette classe moyenne asphyxiée par les dettes et paralysée par la panique élève ses enfants dans la panique. Panique de vivre, panique de tomber: panique de perdre son travail, sa voiture, sa maison, ses biens, panique de ne pas arriver à avoir ce qu’il faut avoir pour arriver à être. Dans l’acclamation collective pour la sécurité publique, menacée par les monstres du délit qui la guettent, la classe moyenne est celle qui crie le plus fort. Elle défend l’ordre comme si elle en était la propriétaire alors qu’elle n’est rien de plus qu’une locataire, écrasée par le prix du loyer et par la menace d’expulsion. "
" Le délit s’est démocratisé, et se retrouve à la portée de n’importe qui: beaucoup l’exercent, tous le subissent. Un tel danger constitue la source la plus féconde d’inspiration pour les politiques et les journalistes qui, à grands cris, exigent une main de fer et la peine de mort; elle contribue aussi au succès civil de quelques chefs militaires. La panique collective, qui identifie la démocratie au chaos et à l’insécurité est une des explications possibles du succès des campagnes politiques de certains généraux latino-américains. Il y a encore quelques années, ces militaires dirigeaient des dictatures sanglantes ou y participaient en tant qu’acteurs de premier plan, mais par la suite ils se sont lancés dans la lutte démocratique avec un surprenant écho populaire. "