LAURENT GAUDÉ
Zem
"Qu'avons-nous perdu ? Un peu de nous-mêmes. De notre sérénité. De notre insouciance. Mais quelque chose est né en nous. Nous avons envie de brandir fièrement ce que nous sommes. Pour défier ceux qui voulaient nous abattre. Nous ne sommes pas soumis. Blessés. Sonnés. Mais pas soumis. Ils voulaient nous châtier. Genou a terre. Mais nous ne savons pas être autrement que ce que nous sommes. Nous nous relevons. Les terrasses des cafés deviennent le symbole de notre mode de vie. Nous y retournons. Nous trinquons haut et fort. Mais les images de cette nuit restent en nous. Nous avons appris qu’on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s’attarder autour d'un verre avec des amis. Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés."
"Un léger vent la caresse. C’est beau. Au pied de l’arbre, un banc a été construit, comme encastré dans le tronc. Elle n’en revient pas. Elle voudrait pleurer. C’est le même arbre, le même banc que dans ses visions de bastonnade. Cette épiphanie qui apparaissait parfois au milieu du fleuve d’immondices, ce moment suspendu qu’elle cherchait sans cesse à retrouver, il est là, devant elle. Elle reconnaît tout : la sensation de l’air chaud qui l’entoure, le vent qui remonte de la mer en léchant la pente, l’immobilité envoûtante du paysage, le bleu éclatant au loin. Tout est là. “C’est ici”, murmure-t-elle, et il lui semble que sa vie de fracas, de laideur, sa vie endommagée à Magnapole vient de s’achever et que quelque chose de nouveau commence maintenant."