"Progressivement d'une manière propre à notre civilisation des mœurs, c'est aux dispositifs normatifs que l'on confie le soin de régler le problème de fond que la loi, le débat citoyen, le débat démocratique ont laissé en suspens. Et c'est en jouant sur des règles souvent purement formelles que ces dispositifs caractéristiques de notre civilisation imposent des normes et favorisent des courants de pensée et des pratiques, souvent les plus en phase avec les valeurs idéologiques de la société concernée."
"La conjonction d'un système totalitaire de normes imposé par une évaluation généralisée prétendument objective qui transforme les humains en choses, leurs actes en marchandises, dont les effets sont amplifiés par la puissance de la technique, la destruction progressive des tissus démocratiques, fait d'autant plus courir un risque à la démocratie que l'avenir semble incertain, confus, indécis, et que le corps social perd lentement ses repères."
"Ce risque est d'autant plus grand aujourd'hui que les figures de l'intellectuel et du savant ont été démolies et disloquées au profit de ces « petits maîtres » que sont devenus les experts. Jamais autant qu'aujourd'hui la démocratie n'a été menacée par un «coup d'État permanent», insidieux, doux et féroce à la fois, une inclination généralisée des masses à s'en remettre à un pouvoir anonyme, injuste et lâche mais redoutablement efficace, garant des inégalités sociales et de leur accroissement obscène, et largement légitimé par un « savoir non narratif» des chiffres et des notations que lui procurent les «imposteurs de l'économie» et autres «scribes de nos nouvelles servitudes ». C'est aussi la science que l'on assassine en son nom."
" Je revendique avec Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau L'Intraitable Beauté du monde , la «créolisation » des sociétés modernes et de leurs cultures, les métissages des traditions et des formes de rationalité, la magie du signifiant et l'efficace du signe, l'abandon créateur du rêve et la saisie-arrêt du réalisme, le potentiel du chaos et l'ordre insurgé de la pensée vigile, la rigueur de la poésie et la beauté des mathématiques, l'impensable et le prédictible, le labeur et le jeu, le mélange des genres et la police du raisonnement, le lâcher-prise et le choix calculé, la «diversité consentie» et la transmission assumée, les archipels de l'imaginaire et les océans de la technique, les éclairs des poèmes et les foudres du savoir, « le jazz et la java ». J'exige une « pensée de la diversité » qui refuse les morales d'État civil et les assignations à résidence des individus et des formes de vie, des formes du penser et de l'éprouver. Je revendique le tour de main de l'artisan et la haute technologie des tours de contrôle, je revendique l'esprit du village grec ou corse et la liberté des villes, la haute solitude de l'Alta Rocca et le bruissement de Montparnasse. Je revendique la biodiversité, la « créolisation » de l'existence, sans laquelle la liberté est un leurre. Je revendique la liberté de désirer en vain, celle qui trouve dans le réel les limites de l'impossible, sans concession aux conformismes et autres chloroformes de la nouvelle civilisation des mœurs."
" Aucune connaissance, aucun savoir sans exception, n'est véritablement émancipateur s'il ne parvient pas à ces solutions de fortune qui transforment un point de vulnérabilité, de manque ou d'insuffisance, en progrès et en invention."
"La grande pauvreté aujourd'hui est aussi celle de notre manière monotone de voir le monde, de le dire et de le penser. La misère est autant matérielle que symbolique, son traitement aussi. Il faut rendre au langage, en politique comme ailleurs, la puissance symbolique, l'efficacité performative qui a fondé les démocraties en répondant à «l'impatience de l'égalité». Il faut permettre au langage et à la parole politiques de troubler l'ordre «normal». Laissons au poète le dernier mot : «Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience »