À l'attention du
Juif polonais Nathan Bronsky
résidant en Allemagne
Konigsstrabe 10
Halle-sur-Saale
"Il y a quelque temps un bateau de réfugiés juifs a essayé d'accoster chez nous. Il s'agit du célèbre cas du Saint- Louis. Malgré les milliers de télégrammes dont fut assailli notre Président Franklin D. Roosevelt, nous n'avions pas d'autre choix que de renvoyer ces réfugiés en pleine mer faute de visas d'immigration valides. Ce fait démontre très nettement que même notre Président Franklin D. Roosevelt, qui connaît - comme vous le savez probablement - des difficultés de politique intérieure, ne peut se permettre ni d'ignorer purement et simplement le climat antisémite qui règne parmi certaines fractions - riches en effectifs - des classes moyennes, ni de résister aux pressions de l'aile isolationniste et antisémite du Parlement - le « Congress », comme on l'appelle - en faisant voter une réforme des quotas d'immigration plus favorable aux réfugiés juifs. Vous voyez, très cher Monsieur Bronsky, il est inutile de m'importuner, moi, Consul Général des États-Unis, avec d'autres lettres. D'ailleurs - entre nous soit dit - au fond, les gouvernements de tous les pays de cette planète se foutent royalement de savoir si vous vous faites tous massacrer ou non. Le problème juif leur casse les pieds, à vrai dire, personne ne veut se mouiller. En ce qui nous concerne, je veux dire, nous, le gouvernement, dont au titre de Consul Général je suis le représentant, je n'ai qu'une chose à vous dire : des bâtards juifs comme vous, nous en avons déjà suffisamment en Amérique. Ils encombrent nos universités et se ruent sur les plus hautes fonctions sans plus se gêner. Renvoyez-moi les formulaires de demande et veuillez attendre treize ans. Au cas où votre prophétie sur les chambres à gaz et les pelotons d'exécution devait se révéler exacte, je vous conseillerais de faire votre testament dès maintenant et d'y formuler clairement le souhait d'immigration de la famille Bronsky de sorte qu'en 1952 - selon toute probabilité l'année de délivrance de vos visas en bonne et due forme - votre exécuteur testamentaire puisse expédier vos cendres aux États-Unis conformément à vos vœux.
Respectueusement,
Le Consul Général des États-Unis d'Amérique."