Vita Nuova
"Après quoi mon fiston a dû faire le télégraphiste à la gare puis il est passé sous-chef mais ça ma petite fille je vous l’ai déjà raconté mais je ne vous ai pas raconté comment mon fils a passé un examen à la gare de Kostomlaty un examen pour pouvoir assurer seul le service dans une gare… alors sont arrivés de Hradec ces messieurs dont tous les chefs et sous-chefs de gare avaient peur… et l’inspecteur des transports Chmelec entouré de son personnel a demandé à mon fils… Si les sémaphores et les sonneries étaient en panne comment sauriez-vous qu’un train approche de la gare ? Et mon fils a dit… Avec les yeux… Très bien et s’il y avait du brouillard ? Alors mon fiston vêtu de son uniforme a sorti un mouchoir blanc de sa poche l’a posé à côté du rail s’est mis sur un genou a pris appui sur le sol a posé une oreille sur le rail a écouté un instant et en se levant a dit à l’inspecteur Chmelec Le train numéro 804 vient juste de passer par Kamenné Zboží… L’inspecteur Chmelec était effaré… Dans quel règlement avez-vous pris ça ? Et mon fiston a dit… dans un film américain dans un western avec Gary Cooper comme éclaireur dans le rôle principal… C’est comme ça qu’il arrive à savoir si ce sont des Peaux-Rouges qui approchent sur leurs mustangs ou un troupeau de buffles…
Chmelec l’a félicité et a dit à la commission que mon fils ferait un bon sous-chef de gare parce qu’il prenait soin de son uniforme… Il a mis un mouchoir sous son genou messieurs pour ne pas salir un si bel uniforme…"
Terrains vagues
"Mais à présent qu’est-ce qui le pousse à se retirer dans la paille, à s’y enfoncer jusqu’aux épaules ? Ma petite fille, je commence à y voir clair, ce que je vais te dire, ce n’est plus un film burlesque, ou peut-être est-ce un film burlesque après tout ? La vérité c’est que j’ai mis mon fiston au monde sans être mariée… En ce temps-là, c’était la honte… Je me souviens, c’était un dimanche, maman préparait le déjeuner et moi j’ai dit à papa que j’étais enceinte et que pour l’instant mon amoureux ne voulait pas m’épouser… papa qui avait la tête près du bonnet m’a attrapée par les épaules, m’a traînée dans la cour, ensuite il est allé prendre son fusil de chasse et il a crié… à genoux, je vais te tuer… J’ai eu terriblement peur, je l’implorais mains jointes… Mais dans sa sagesse ma mère est sortie et nous a dit… Laissez cela, venez manger, ça va refroidir…"
"Mon mari et ses écritures, c’était un drôle de désordre, la pagaille, il se moquait du style, il ne faisait aucun effort, moi je n’étais pas forte en grammaire, mais je savais très bien qu’en fait mon mari n’avait jamais su correctement écrire le tchèque, j’avais l’impression que ses écritures étaient traduites d’une langue étrangère, rien que des notes pour un travail qui restait à faire, des esquisses d’histoires qui attendaient un travail patient… Mais c’est justement ce qui faisait la fierté de mon mari, il était ravi de pouvoir laisser son texte inachevé, un peu délabré, avec le crépi qui tombait laissant apparaître le mur nu, des briques qui s’effritaient… Dans ses écritures mon mari ressemblait tout à fait à ces cours praguoises où traînent des restes d’échafaudages, où les ordures tombent à côté des poubelles qui débordent, les écritures de mon mari c’étaient des restes de vieux matériaux oubliés, éparpillés, des bouts de ferraille, des fils de fer, des éléments de radiateurs, tout ce fourbi qu’on ramasse les dimanches de collecte du fer, mon mari écrivait comme si ses écritures étaient le reflet de tout cela, mon mari disait lui-même que l’image de ses textes se trouvait dans les cours autour de la taverne de La Harpe, dans les fenêtres cassées de l’usine d’incinération, les fenêtres cassées des ateliers de la ČKD, les écritures de mon mari étaient comme les habits que portaient les ouvriers."