BOHUMIL HRABAL
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1987

BOHUMIL HRABAL
La chevelure sacrifiée
Traduction du tchèque de Claudia Ancelot

"J'aime ces quelques minutes avant sept heures du soir, il fait bon pendant ces quelques minutes lever la tête pour voir la lumière se retirer des ampoules comme le sang d'un coq à la gorge tranchée, j'aime regarder cette signature pâlissante du courant électrique et je crains le jour où la brasserie sera raccordée au courant de ville, ce jour où l'on n'allumera plus toutes ces lampes tempête dans les étables, lampes aux petits miroirs ronds, lampes ventrues aux mèches rondes, le jour où personne ne se souciera plus de leurs lumières car toute cette cérémonie aura fait place à un commutateur semblable au robinet qui a remplacé les jolies pompes d'antan."

"...que voulez-vous, nous devons tous y passer et la nature est miséricordieuse, lorsqu'il n'y a plus rien à faire, tout ce qui vit, tout ce qui doit mourir sous peu, est frappé de terreur, c'est comme si les plombs avaient sauté, gens et animaux ne sentent plus rien, plus rien ne leur fait mal, cette peur baisse les mèches de la lampe, la vie n'est plus qu'un vacillement et la terreur la rend sourde et aveugle."


BOHUMIL HRABAL
La trilogie des souvenirs
Traduction du tchèque de Claudia Ancelot


Les noces dans la maison

"Alors, il m’embrasse, il me remercie, il serre la main de mon mari dans les siennes, jamais je n’ai vu M. Baumann faire ça, en général il ne donne pas la main, mais juste le coude, mais pour mon mari c’est des deux mains qu’il serre les doigts empotés du professeur, oui il tient les mains du professeur dans les siennes, puis il ouvre ses paumes, tâte ses cals, mon mari sourit parce qu’il est fier de ses mains. Après quoi, le cuisinier dévale les marches, les chauffeurs de la Spalená ont aussi pris congé, le chef de l’entrepôt de récupération me remercie et les invités qui ne sont venus que pour un moment, qui ont fait un saut et doivent retourner au travail profitent du camion…
Mon mari prend les cadeaux, moi j’ouvre les paquets, tout en buvant du champagne et pour accompagner le champagne nous versons à qui en veut de la vodka russe, je me souviens que papa aimait boire le champagne avec du cognac ou avec de la vodka, il appelait ça un « ours russe », nous déballons nos cadeaux de mariage, des brocs et des cendriers démodés, tous ces cadeaux de mariage sont passés par plus d’un mariage, moi je sais que jamais je ne les mettrai chez moi. Břet’a commente chacun des cadeaux :
— Oh là, ça c’est une rareté, oh, on n’en fait plus des comme ça, c’est pas au marché U Kotců que vous auriez trouvé ce machin.
Et il promène son regard sur les invités de la noce.
— Ah oui, ça, ça doit venir de chez Saint-Vojtěch, de l’entrepôt. Et ça, de ma vie je n’ai rien vu de pareil, tu sais, frérot, tu devrais faire assurer ce truc sur-le-champ ou, si tu veux, pour ne pas te le faire voler ici, sur place, mets-le tout de suite à la poubelle !
Mais il est tombé sur le cadeau de mariage de Lizaj, elle est vexée et remonte chez elle en vitesse. "

1986


Vita Nuova

"Après quoi mon fiston a dû faire le télégraphiste à la gare puis il est passé sous-chef mais ça ma petite fille je vous l’ai déjà raconté mais je ne vous ai pas raconté comment mon fils a passé un examen à la gare de Kostomlaty un examen pour pouvoir assurer seul le service dans une gare… alors sont arrivés de Hradec ces messieurs dont tous les chefs et sous-chefs de gare avaient peur… et l’inspecteur des transports Chmelec entouré de son personnel a demandé à mon fils… Si les sémaphores et les sonneries étaient en panne comment sauriez-vous qu’un train approche de la gare ? Et mon fils a dit… Avec les yeux… Très bien et s’il y avait du brouillard ? Alors mon fiston vêtu de son uniforme a sorti un mouchoir blanc de sa poche l’a posé à côté du rail s’est mis sur un genou a pris appui sur le sol a posé une oreille sur le rail a écouté un instant et en se levant a dit à l’inspecteur Chmelec Le train numéro 804 vient juste de passer par Kamenné Zboží… L’inspecteur Chmelec était effaré… Dans quel règlement avez-vous pris ça ? Et mon fiston a dit… dans un film américain dans un western avec Gary Cooper comme éclaireur dans le rôle principal… C’est comme ça qu’il arrive à savoir si ce sont des Peaux-Rouges qui approchent sur leurs mustangs ou un troupeau de buffles…
Chmelec l’a félicité et a dit à la commission que mon fils ferait un bon sous-chef de gare parce qu’il prenait soin de son uniforme… Il a mis un mouchoir sous son genou messieurs pour ne pas salir un si bel uniforme…"

Terrains vagues

"Mais à présent qu’est-ce qui le pousse à se retirer dans la paille, à s’y enfoncer jusqu’aux épaules ? Ma petite fille, je commence à y voir clair, ce que je vais te dire, ce n’est plus un film burlesque, ou peut-être est-ce un film burlesque après tout ? La vérité c’est que j’ai mis mon fiston au monde sans être mariée… En ce temps-là, c’était la honte… Je me souviens, c’était un dimanche, maman préparait le déjeuner et moi j’ai dit à papa que j’étais enceinte et que pour l’instant mon amoureux ne voulait pas m’épouser… papa qui avait la tête près du bonnet m’a attrapée par les épaules, m’a traînée dans la cour, ensuite il est allé prendre son fusil de chasse et il a crié… à genoux, je vais te tuer… J’ai eu terriblement peur, je l’implorais mains jointes… Mais dans sa sagesse ma mère est sortie et nous a dit… Laissez cela, venez manger, ça va refroidir…"

"Mon mari et ses écritures, c’était un drôle de désordre, la pagaille, il se moquait du style, il ne faisait aucun effort, moi je n’étais pas forte en grammaire, mais je savais très bien qu’en fait mon mari n’avait jamais su correctement écrire le tchèque, j’avais l’impression que ses écritures étaient traduites d’une langue étrangère, rien que des notes pour un travail qui restait à faire, des esquisses d’histoires qui attendaient un travail patient… Mais c’est justement ce qui faisait la fierté de mon mari, il était ravi de pouvoir laisser son texte inachevé, un peu délabré, avec le crépi qui tombait laissant apparaître le mur nu, des briques qui s’effritaient… Dans ses écritures mon mari ressemblait tout à fait à ces cours praguoises où traînent des restes d’échafaudages, où les ordures tombent à côté des poubelles qui débordent, les écritures de mon mari c’étaient des restes de vieux matériaux oubliés, éparpillés, des bouts de ferraille, des fils de fer, des éléments de radiateurs, tout ce fourbi qu’on ramasse les dimanches de collecte du fer, mon mari écrivait comme si ses écritures étaient le reflet de tout cela, mon mari disait lui-même que l’image de ses textes se trouvait dans les cours autour de la taverne de La Harpe, dans les fenêtres cassées de l’usine d’incinération, les fenêtres cassées des ateliers de la ČKD, les écritures de mon mari étaient comme les habits que portaient les ouvriers."

 


1976

BOHUMIL HRABAL
Une trop bruyante solitude

Traduction du tchèque de Max Keller

"Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c'est toute ma love story. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j'ai bien comprimé trois tonnes; je suis une cruche pleine d'eau vive et d'eau morte, je n'ai qu'à me baisser un peu pour qu'un flot de belles pensées se mette à couler de moi; instruit malgré moi, je ne sais même pas distinguer les idées qui sont miennes de celles que j'ai lues. C'est ainsi que, pendant ces trente-cinq ans, je me suis branché au monde qui m'entoure : car moi, lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu'à ce que l'idée se dissolve en moi comme l'alcool... "

 


1974

BOHUMIL HRABAL
La petite ville où le temps s'arrêta

Traduction du tchèque de Milena Braud

"A la vue de cette sirène tatouée, indélébile sur ma poitrine, mon père resta sans voix, il la contempla un moment sans ciller, d'un regard fixe qui semblait trahir une recherche rétrospective des tenants et aboutissants susceptibles d'expliquer ce stigmate marin ... Mon cœur battait la chamade, si fort que la sirène clignait de l' œil au rythme saccadé de ma respiration..."

"Elles jouaient des coudes devant la vitrine du photographe de la rue Ceyl à Brno pour pouvoir admirer mon portrait qui y était exposé, parmi tous les autres elles le trouvaient le plus beau, et moi, je me tenais un peu à l’écart, je buvais du petit lait, j’étais fier comme Artaban ! », jubilait la voix de mon oncle pendant que mon père se tordait les mains entre le buffet et l’armoire, les yeux révulsés d’indignation : « Mais rien n’est vrai là-dedans, depuis son enfance il était couvert de boutons et à vingt-deux ans, il avait plein de furoncles, le cou enroulé dans des gazes sanguinolentes ! "


BOHUMIL HRABAL
moi qui ai servi le roi d'angleterre

Traduction du tchèque de Milena Braud

"Suivez attentivement ce que je vais vous raconter.

J'étais à peine arrivé à l'hôtel « À la Ville dorée de Prague» que le patron me prit à part pour me dire, en me tirant l'oreille gauche: «Maintenant que tu es groom chez nous, rappelle-toi bien ceci: tu n'as rien vu, rien entendu! Répète!» Je répondis donc que dans son établissement, je n'avais en effet rien vu ni rien entendu. Mais le patron de poursuivre, en me tirant l'oreille droite: «Or rappelle-toi aussi que tu dois tout voir et tout entendre! Répète! » Je répétai donc, interloqué, que désormais je verrais tout et entendrais tout. Voilà comment j'avais débuté. "

 

1971


1965

BOHUMIL HRABAL
Vends maison où je ne veux plus vivre
Traduction du tchèque de Mladá fronta

"Tout au bout de la ville, une porte s'ouvrit violemment et l'aubergiste apparut, traînant derrière lui une jeune fille blonde. Il tenta de la jeter au bas des marches, mais la fille s'agrippa à la rampe en hurlant dans la nuit :
- Laissez-moi viiivre! Laissez-moi viiivre !
D'une main, l'aubergiste lui prit la taille, de l'autre, il sortit son trousseau de clés pour frapper les doigts de la fille et, lorsqu'elle lâcha la rampe, il lui envoya un coup de genou dans le dos. Les bras écartés, la fille chancela sur les marches, puis atterrit sur la route déserte où ses cheveux blonds s'ouvrirent telle une queue de paon, tel un éventail de plumes d'autruche blanches. "


1964

BOHUMIL HRABAL
Trains étroitement surveillés
Traduction du tchèque de François Kérel

"Cette année-là, l'année mil neuf cent quarante-cinq, les Allemands n'étaient plus maîtres du ciel au-dessus de notre petite ville. Moins encore au-dessus de la région, de tout le pays. Les bombardiers en piqué avaient perturbé le trafic, à tel point que les trains du matin passaient à midi, les trains de midi le soir et les trains du soir en pleine nuit, et si par hasard un train de l'après-midi arrivait à l'heure exacte, c'était un omnibus retardé de quatre heures. "


BOHUMIL HRABAL
Jarmilka

Traduction du tchèque de Benoît Meunier

"Je me retourne et je vois: sur un coteau lointain, le petit train portant les lingots incandescents halète, différent et pourtant identique à celui que j'ai croisé un instant auparavant à l'aciérie de Poldi ... À présent il se dirige vers Konev et paraît si petit, pas plus grand qu'un harmonica d'enfant ... ou bien comme un train miniature qui traînerait une douzaine de claviers roses. J'entre dans le réfectoire ... mais Jarmilka n'est plus là ..."

1952


1952

BOHUMIL HRABAL
Rencontres et visites
Traduction du tchèque de Claudia Ancelot

"Du haut de l’hôpital Bulovka, les collines dévalaient vers le fleuve bordé de sentiers où des femmes charriaient leurs ventres lourds alors que les enfants qu’elles avaient mis bas depuis peu jouaient déjà seuls dans la pluie d’or des forsythias ; partout régnait le culte stérile du soleil et cette vision affichée partout soutenant que le petit Jésus avait fréquenté l’école maternelle du quartier de Liben."