JOSEPH INCARDONA
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2025

JOSEPH INCARDONA
Le monde est fatigué

"On n’est plus à un cliché près, de toute manière : tout se résume, se synthétise et s’abrège. Ça comme le reste. Ce sont les mêmes rues de centres-villes franchisés, les mêmes touristes en pèlerinage aux points phares du globe, les mêmes objets reçus par la poste TVA incluse, les mêmes phrases de deux cent quatre-vingts caractères pour un tweet, le mépris technocratique de la fin justifiant les moyens, l’idéal d’un monde inclusif fabriquant des blocs de pensée conformiste. Le monde est fatigué, Êve, et tes paupières sont lourdes, elles n’en peuvent plus de voir et d’entendre. Le safeword établi en amont avec ta Queen est sunshine, mais plus aucun rayon de soleil n’atteindra ton âme, Êve."


JOSEPH INCARDONA
Stella et l'Amérique

"Les hommes sont quatre. Traditionnellement, les chiffres impairs correspondent mieux à la tragédie, mais là, ils sont quatre et on fait avec. Par ordre d’importance : celui vêtu de blanc, dans sa soutane de coton bio convenant à l’été caniculaire romain, est le Pape Rodolphe Krüger, alias Simon II. À sa droite, son secrétaire et homme de confiance, Otto Mühl. Complètent la table ovale : le cardinal Gordini, doyen du Sacré Collège et le cardinal Carter, représentant ses treize homologues américains. Pour l’anecdote, la langue commune n’est pas l’anglais, mais le latin. Ça a de la gueule.
On a pris thé et café, ciambelle et croissants ripieni alla crema, les miettes parsèment les robes, elles se remarquent moins sur le blanc papal que sur le pourpre cardinal. On a essuyé la commissure des lèvres, roté discrètement une main devant la bouche. Otto Mühl, complet veston noir et col romain, lui, est impeccable, n’ayant bu qu’un café sans sucre, sans lait, sans rien. Récente gastroscopie négative, même pas un petit polype, rien, je vous dis. On veut entendre ce qu’il a à nous dire, on attend. Jeremy Carter a fait six mille kilomètres en avion pour témoigner de ce qui se trame sur le sol de son pays. Ses doigts s’agitent sur la table en chêne verni. Aucune communication préalable par téléphone, mail ou visioconférence. La gravité d’un tel sujet nécessite la présence physique et privilégie l’oralité. Et rien de ce qui sera dit ici ne sortira de ces murs à moins qu’on en décide autrement. "

2024


JOSEPH INCARDONA
Les corps solides

 "Les phares de la camionnette éclairent la route en ligne droite. On pourrait les éteindre, on y verrait quand même, la lune jaune rend visibles les champs en jachère aussi loin que porte le regard. La nuit est américaine. La fenêtre côté conducteur est ouverte, il y a l’air doux d’un printemps en avance sur le calendrier. De sa main libre, Anna tâtonne sur le siège passager et trouve son paquet de cigarettes.
À la radio, une mélodie lente accompagne le voyage ; et quand je dis que la nuit est américaine, c’est qu’on pourrait s’y croire avec le blues, la Marlboro et l’illusion des grands espaces."

2022


2020

JOSEPH INCARDONA
La soustraction des possibles


"Alors, Aldo a débouché une bouteille de champagne avant minuit. Il a ouvert la porte-fenêtre de la terrasse ; il est maintenant assis face à la montagne. La lune tronquée éclaire mal les neiges éternelles, il relève le menton, il voit plus haut. Aldo boit et fume. Il est un sportif qui ne reconnaît plus sa vie d’avant, sur le point de la renier. Il a perdu le sens de l’orientation, il ne se suffit plus à lui-même, il est double, sa part d’ombre contient aussi sa lumière. Il ne sait plus grand-chose, sauf qu’il est là où il doit être, sans doute porté par un destin.
Quand elle déboule, la prise de conscience, c’est carrément dévastateur. Chez les êtres les plus profonds, on le sait, ça donne des poètes ou des martyrs. Chez l’individu plus superficiel, cela prend une couleur inédite. Ni poète ni martyr, peut-être dindon de la farce.
Aldo Bianchi allume une nouvelle cigarette, boit son champagne à deux cent balles à même le goulot, glacé.
22h58. Il cherche à s’oublier. Il attend."


JOSEPH INCARDONA
Chaleur

"Ça colle avec une certaine image de la Finlande : l’authentique, les acquis sociaux, l’égalité des sexes, la tolérance. Forcément, il y a tout cet espace spongieux « terre/eau » pour si peu d’habitants. Ça permet le mieux-vivre, un petit cabanon pour se ressourcer au moindre signe de défaillance nerveuse.
Heinola.
Située à 138 kilomètres au nord d’Helsinki, la capitale. Un peu plus de vingt mille habitants. La ville a subi la crise économique de 2008 : fermeture de la scierie et de l’usine de contreplaqué, principaux employeurs de la commune. Du coup, on s’y emmerde un peu. La nature a vite fait d’ennuyer l’homme. On observe comme une incapacité à la contemplation ou, tout du moins, une difficulté à vivre isolé dans les bois avec femme et enfants. Au pire, seul avec soi-même. Conséquence : ça picole dur. Mais surtout : l’homme recherche l’homme. L’homme est le territoire – davantage que sa faune, sa flore ou sa géographie.
Par conséquent, une certaine naïveté couplée à un ennui latent motivent une série d’activités se déroulant dans le pays durant la période estivale."

 

2017


JOSEPH INCARDONA
Aller simple pour Nomad Island

"Peu importe que le monde survive encore quelques siècles ou des millions d’années. On te l’a dit, tout le monde le sait mais ne l’a pas compris : le temps est relatif. Le temps de l’Île, le temps de ta vie, de ton époque. Il n’y a aucun levier sur lequel t’appuyer, aucun autre homme auquel tu peux te comparer."

2014