JOSEPH INCARDONA
Stella et l'Amérique
"Les hommes sont quatre. Traditionnellement, les chiffres impairs correspondent mieux à la tragédie, mais là, ils sont quatre et on fait avec. Par ordre d’importance : celui vêtu de blanc, dans sa soutane de coton bio convenant à l’été caniculaire romain, est le Pape Rodolphe Krüger, alias Simon II. À sa droite, son secrétaire et homme de confiance, Otto Mühl. Complètent la table ovale : le cardinal Gordini, doyen du Sacré Collège et le cardinal Carter, représentant ses treize homologues américains. Pour l’anecdote, la langue commune n’est pas l’anglais, mais le latin. Ça a de la gueule.
On a pris thé et café, ciambelle et croissants ripieni alla crema, les miettes parsèment les robes, elles se remarquent moins sur le blanc papal que sur le pourpre cardinal. On a essuyé la commissure des lèvres, roté discrètement une main devant la bouche. Otto Mühl, complet veston noir et col romain, lui, est impeccable, n’ayant bu qu’un café sans sucre, sans lait, sans rien. Récente gastroscopie négative, même pas un petit polype, rien, je vous dis. On veut entendre ce qu’il a à nous dire, on attend. Jeremy Carter a fait six mille kilomètres en avion pour témoigner de ce qui se trame sur le sol de son pays. Ses doigts s’agitent sur la table en chêne verni. Aucune communication préalable par téléphone, mail ou visioconférence. La gravité d’un tel sujet nécessite la présence physique et privilégie l’oralité. Et rien de ce qui sera dit ici ne sortira de ces murs à moins qu’on en décide autrement. "