KAZUO ISHIGURO
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2021

 

KAZUO ISHIGURO
Klara et le soleil
Traduction de l'anglais de Anne Rabinovitch

"« Je pense que je déteste Capaldi parce que je soupçonne qu’au fond il a raison. Que ce qu’il prétend est vrai. Que la science a désormais prouvé sans conteste que ma fille n’a rien de si exceptionnel, rien que les outils modernes ne puissent creuser, copier, transférer. Que les gens ont vécu ensemble tout ce temps, des siècles entiers, qu’ils se sont aimés et haïs, sur une base totalement erronée. Une sorte de superstition que nous avons entretenue faute de mieux.» "


KAZUO ISHIGURO
Le géant enfoui

Traduction de l'anglais de Anne Rabinovitch

"Vous auriez cherché longtemps le chemin sinueux ou la prairie paisible qui, depuis, ont fait la gloire de l’Angleterre. Il y avait des kilomètres de terre désolée, en friche ; ici et là, des sentiers rustiques sur les collines escarpées ou les landes désolées. La plupart des routes laissées par les Romains, endommagées, ou envahies par les mauvaises herbes, disparaissant le plus souvent dans la végétation sauvage. Des bancs de brouillard glacé suspendus au-dessus des rivières et des marécages, fort utiles aux ogres qui, à l’époque, vivaient encore dans ce pays. Les gens qui habitaient dans les environs – on se demande quelle désespérance les avait conduits à s’établir en des lieux si lugubres – redoutaient sans doute ces créatures, dont le halètement était audible bien avant que n’émergent de la brume leurs silhouettes difformes. Mais ces monstres n’étaient pas une source d’étonnement. "

2015


2005

KAZUO ISHIGURO
Auprès de moi toujours

Traduction de l'anglais de Anne Rabinovitch

" En réalité, nous n'étions pas vraiment entrés dans une clairière ; ou plutôt, les bois clairsemés que nous avions traversés avaient pris fin, et devant nous s'étendaient des marais, à perte de vue. Le ciel pâle semblait immense et se reflétait ici et là dans les taches d'eau émaillant la terre. Il n'y avait pas si longtemps, les bois avaient dû se déployer plus loin, car on voyait par endroits des troncs morts fantomatiques jaillir du sol, le plus souvent brisés à une hauteur d'un ou deux mètres. Et au-delà des troncs morts, peut-être à soixante mètres de là, se trouvait le bateau, échoué dans les marais sous le faible soleil. "


KAZUO ISHIGURO
Quand nous étions orphelins

Traduction de l'anglais de François Rosso

"Les visages, pour la plupart, étaient chinois, mais, en arrivant au bout de la rue, je remarquai des grappes d’enfants européens — des petits Russes, supposai-je.
Morgan me regarda.
« Ce sont des réfugiés qui vivaient au nord du canal », dit-il d’un ton neutre.
Puis il se détourna. Bien que lui aussi fut un réfugié chassé par les combats, il semblait ne ressentir aucune compassion particulière pour ses compagnons d’infortune plus pauvres que lui. Même lorsque je crus que la voiture avait roulé sur un corps humain endormi et regardai par la vitre arrière avec alarme, mon ancien camarade se borna à murmurer :
« Oh, ne t’inquiète pas. Probablement un vieux ballot.»"

2000


1989

ISHIGURO
Les vestiges du jour

Traduction de l'anglais de Sophie Mayoux

"-J'ai fait de mon mieux, mais malgré tous mes efforts, je vois bien que je ne satisfais plus aux exigences que je me fixais autrefois. Des erreurs de plus en plus nombreuses apparaissent dans mon travail. Des erreurs tout à fait négligeables en elles-mêmes — jusqu'à présent, du moins. Mais jamais je n'en aurais commis de pareilles autrefois, et je sais ce qu'elles signifient. Dieu sait que j'ai fait de mon mieux, mais ça ne sert à rien. J'ai déjà donné ce que j'avais à donner. J'ai tout donné à Lord Darlington.
- Mince alors, mon pote. Tenez, vous voulez un mouchoir ? J'en ai un sur moi. Ah, le voilà. Il est presque propre. Je me suis juste mouché dedans une fois ce matin. Allez-y, mon pote."


ISHIGURO
Un artiste du monde flottant
Traduction de l'anglais de Denis Luthier

 

"-J'ai fait de mon mieux, mais malgré tous mes efforts, je vois bien que je ne satisfais plus aux exigences que je me fixais autrefois. Des erreurs de plus en plus nombreuses apparaissent dans mon travail. Des erreurs tout à fait négligeables en elles-mêmes — jusqu'à présent, du moins. Mais jamais je n'en aurais commis de pareilles autrefois, et je sais ce qu'elles signifient. Dieu sait que j'ai fait de mon mieux, mais ça ne sert à rien. J'ai déjà donné ce que j'avais à donner. J'ai tout donné à Lord Darlington.
- Mince alors, mon pote. Tenez, vous voulez un mouchoir ? J'en ai un sur moi. Ah, le voilà. Il est presque propre. Je me suis juste mouché dedans une fois ce matin. Allez-y, mon pote."

"Gisaburo, dit-il, après un long silence, n'a pas eu la vie drôle. Son talent a complètement périclité. Ceux qu'il aimait sont morts depuis longtemps ou l'ont abandonné. Même du temps de notre jeunesse, c'était déjà un type triste, solitaire." Morisan marqua une pause. "Mais parfois, nous buvions et nous nous amusions avec les femmes des quartiers de plaisir. C'est ce que les gens appellent le monde flottant : c'était un monde, Ono, dont Gisaburo connaissait toute la valeur." 

1986


KAZUO ISHIGURO
Lumière pâle sur les collines
Traduction de l'anglais de Sophie Mayoux

"On appelait généralement ce parc « Parc de la Paix » — je n’ai jamais su si c’était son nom officiel — et il régnait en effet sur ce vaste espace vert, malgré les cris d’enfants et les chants d’oiseaux, une atmosphère solennelle. Les buissons, fontaines, et autres ornements du même genre avaient été réduits au minimum, et le parc donnait de ce fait une impression d’austérité — des pelouses nues, un grand ciel d’été, et le monument lui-même. La statue blanche et massive dédiée à la mémoire des victimes de la bombe atomique dominait les lieux. La statue évoquait un dieu grec musclé, assis les bras ouverts. De la main droite, il montrait le ciel d’où était tombée la bombe ; de l’autre bras, tendu vers la gauche, le personnage était censé repousser les forces du mal. Ses yeux fermés exprimaient le recueillement et la prière. J’ai toujours trouvé que la statue avait un aspect plutôt pesant, et je n’ai jamais pu l’associer à ce qui s’était passé le jour où la bombe était tombée, ni à la période terrible qui avait suivi. Vu de loin, le personnage avait quelque chose de comique : on aurait dit un policier occupé à régler la circulation. "

1982