MILAN KUNDERA
La Plaisanterie
"Oui. Tous les fils étaient cassés.
Brisés, les études, la participation au mouvement, le travail, les amitiés, brisés l’amour et la quête de l’amour, brisé, en un mot, tout le cours, chargé de sens, de la vie. Il ne me restait plus que le temps.
Celui-ci, en revanche, j’appris à le connaître intimement comme jamais auparavant. Ce n’était plus ce temps qui naguère m’était familier, métamorphosé en travail, en amour, en toutes sortes d’efforts possibles, un temps que j’acceptais distraitement, car il était lui-même discret, s’effaçant avec délicatesse derrières mes activités. Maintenant il venait à moi dévêtu, tel quel, sous son apparence originelle et vraie, et il me forçait à le désigner de son véritable nom (puisque à présent je vivais le temps pur, un temps purement vide), pour que je n’oublie pas un seul instant, pour que je pense perpétuellement à lui, pour que j’éprouve sans cesse son poids."