MALCOLM LOWRY
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MALCOM LOWRY
Le Voyage infini vers la mer Blanche
Traduction de l'anglais de Martine De Clercq

" ...une toile de neige se tissait lentement dans l'air au-dessus de Sigbjørn..."

" Les flocons de neige voletaient comme un millier de manuscrits en lambeaux jetés des fenêtres du passé."

2014, publication posthume


MALCOM LOWRY
Le phare appelle à lui la tempête
Poèmes composés entre 1934 et 1939
Traduction de l'anglais de Jacques Darras

"Où est la splendide ivresse? Où le grand ivrogne?
Cet impondérable petit mystère
M'empêche de dormir constamment à minuit:
-Où est-il parti, de quelle table lève-t-il sa chope?
Où sont-ils disparus, mes amis, les grands désancrés?
Ils ne gémissent plus aux bars, ils ne prennent plus la mer;
D'un simple tremblement de volonté, ils rêvent sans contrainte,
Viveurs de vies dont ils avaient l'ardent désir
Couloirs interminables de bottes à lécher,
Avec, tout au fond, le gros orteil du pape.
Où sont tes amis, pauvre idiot? tu n'en as plus qu'un,
Qui d'ailleurs te donne la nausée
Quoique bien moins que les autres; je le connais
Car je suis le dernier ivrogne : je bois seul."

2005, publication posthume


1976, publication posthume

 

MALCOM LOWRY
Pour l'amour de mourir

Gouaches de Julio Pomar, traduction de JM Lucchioni, préface Bernard Noël

"Pierres blessées

Parfois l’enfant ne sait pas dire son chagrin,
Mais il entend, le soir, les étranges présages
Qui annoncent aux pierres blessées, à même le sol,
Leur libération, où il apprend que les pierres
Cœurs brisés, ont parfois l’éclat dur d’un langage.
Le bruit de la mer rugit au vestiaire
- Et un reproche ; mais cela même est rassurant :
Un reproche de moins entre lui et la mort…
Et là, sur le tapis devant la cheminée,
Il regarde l’enfer et voit son avenir
- Qui sait, peut-être une chambre de chauffe ?-
Pourtant, l’enfant, je pense, a connu des fous-rires
(On dit que de la vie ce sont les seuls remèdes),
Et puis, n’eût-il pas survécu,
Saurait-il que Rimbaud a connu ces chagrins,
Rimbaud dont l’âge d’homme aussi, comme le sien,
Fut déserté d’amour et privé de langage ?"


MALCOLM LOWRY
En route vers l'île de Gabriola

Traduction de l'anglais de Clarisse Francillon

"Une bande de terre à deux milles de distance, d’un mille de longueur, voilà ce que leur présentait cette autre rive dont la raffinerie leur figurait l’idéogramme, comme celui de l’activité nouvelle qui s’y déployait. D’abord la raffinerie fonctionna seule, puis elle se développa en une petite cité pourvue depuis peu d’un nom sur la carte, Shellco, à l’aspect merveilleusement innocent. Tranquille, discrète, intégrée au paysage, entité esthétique, elle excitait même, chez Jacqueline, des accès de lyrisme. Ses cornues d’aluminium cylindriques, ses minces cheminées pareilles à des tuyaux d’orgue scintillaient contre le vert de l’herbe. « Féerique cité de l’aube, métal rosé par une buée supraterrestre … ».
[…] Mais maintenant […] Shellco et toute la rive d’en face, où clignotaient des feux inhabituels, magenta, démoniaques, semblaient avoir subi de brusques métamorphoses. Enfuies d’un seul coup l’innocente petite constellation, les lumières paisibles à fleur d’eau. Quelques soirs auparavant, des flammes jaillies d’un brûleur à résidus, sur la pente, retombées en fontaine, leur avaient fait croire à un incendie spontané, puis éteint. Mais cette nuit-là, ce même brûleur, aussi effilé qu’une épée, réapparut, dix fois plus élevé et plus féroce, répandant une maléfique, blême clarté coruscante sur toute la raffinerie, chacun de ses réservoirs reflétant les flammèches en une infernale brillance dégradée, chacun à son tour renvoyant à l’eau noire ces reflets ondulés, et si une risée plissait la surface, ils tremblotaient avec l’image lumineuse, projetée directement par la violente torche elle-même, frénétiques reflets et reflets reflétés, frémissant, se contorsionnant, se tire-bouchonnant à l’unisson et diminuendo, comme des barres de fer chauffées au rouge dans le cauchemar d’un soutier. Ces lumineuses digladiations fusaient au milieu du sinistre silence, en réalité vacarme somptueux, démentiel, et les rugissements, les halètements du brûleur se mêlaient à un raclement de chaines de géants, peut-être issu de derrière les réservoirs, à un fracas de machinerie, à demi noyé dans le fort lamento des énormes scies de lointaines scieries invisibles au Nord-Ouest. Tandis qu’ils regardaient, écoutaient, de grandes lettres capitales, d’une criarde teinte cerise, s’allumèrent, mais on avait dû omettre l’initiale S, car le mot HELL, enfer, se détacha contre le talus herbeux."

1970, publication posthume


1968, publication posthume

MALCOLM LOWRY
Sombre comme la tombe où repose mon ami

Traduction de l'anglais de Clarisse Francillon

"Un champ de blé mûrissant, qui tournait à l'or amorti, succéda à un champ de blé nouveau, dont le vert pâle contrastait avec la teinte foncée de la luzerne, puis ce furent des vergers de cognassiers et de pêchers, de jeunes arbres, plantés sans aucun doute au cours des dix dernières années, en pleine floraison... La Banco Ejidal était devenue un jardin.
Ils laissaient derrière eux le pays d'Oaxaca et derrière eux aussi, dans la sombre église de la Vierge de ceux qui n'ont personne avec, un cierge qui se consumait, solitaire..."


MALCOLM LOWRY
Lunar Caustic

Traduction de l'anglais de Clarisse Francillon

"Un coup de tonnerre éclata. Allongés comme des morts auraient pu l'être pendant une minute de repos au fond de quelque verte niche du Paradis, ou dans un no man's land entre deux mondes, celui de la lumière et celui de la ténèbre, les dormeurs commencèrent à remuer, à s'étirer. Les feuilles et les bourgeons tombaient plus serrés, drus comme de la pluie, et dans la pénombre grandissante ils semblaient des fantômes de feuilles et de bourgeons ; ou était-ce réellement la pluie ? Les cris des enfants se firent tout à coup plus pressants ; dans un bruissement argenté, un pigeon pris de panique décrivit une brève parabole, une feuille tourbillonna, une autre descendit en spirale, les écureuils se dispersèrent. De nouveau il fit deux pas vers la salle, de nouveau il revint à la fenêtre. Tandis qu'il observait cette pluie de bourgeons jaunes ou de petites fleurs, son ancienne, persistante peine l'assaillit, accompagnée de sa peine récente dont ses deux amis étaient cause. Les cris des enfants, les feuilles qui tombaient, les amoureux qui couraient s'abriter en riant, qu'avait tout cela de commun avec leurs vies meurtries ?"

1963, publication posthume


1961, publication posthume

MALCOLM LOWRY
Ecoute notre voix, Ô Seigneur

Traduction de l'anglais de Clarisse Francillon
et Georges Belmont

"C'était un jour d'embruns et d'écume volante, avec des nuages noirs avant-coureurs de pluie, qu'un furieux vent de mars chassait de la mer par-dessus les montagnes.
Mais une lumière marine, argentée et très pure, arrivait droit de toute la ligne d'horizon, où le ciel même était d'argent chaud et luisant. Et loin là-bas, de l'autre côté, en Amérique, la cime neigeuse et volcanique du mont Hood s'érigeait haut, désincarnée, coupée de ce monde, et bien trop proche en même temps (présage encore plus certain de pluie), comme si la montagne était venue de l'avant, ou venait."


MALCOLM LOWRY
Le Caustique lunaire
Traduction de l'anglais de
Michèle d'Astorg et Clarisse Francillon

"Il sentit se communiquer à lui la vibration de l'orage, il respira profondément. Dehors était la vie, son infinie et poignante réalité. Au-dessus d'un petit bassin pour les enfants se déployait un arc-en-ciel, un éventail d'eau aux couleurs de faisan, il pouvait presque en éprouver la fraîcheur. Un instant, il l'associa à la pluie qui tombait déjà quelque part; un soupçon d'espoir vacilla en lui, rien en particulier, rien que l'espoir en soi peut-être. Puis il rit: naturellement c'était le jet d'eau et non la pluie qui produisait l'arc-en-ciel, son espoir était artificiel et fallacieux. Lorsque la pluie viendrait vraiment, apportant un remède à la sécheresse, le soleil aurait déjà disparu, tout comme il arrive quand la folie s'empare d'un homme, l'esprit ne la reconnaissant pas, il n'en éprouve aucun soulagement."

1956 publication posthume


1947

MALCOLM LOWRY
Au-dessous du volcan

traduit de l'anglais par Stéphen Spriel avec la collaboration de Clarisse Francillon et de l'auteur ; préface de Malcolm Lowry ;

"Aussi quand tu partis, Yvonne, j'allai à Oaxaca. Pas de plus triste mot. Te dirai-je, Yvonne, le terrible voyage à travers le désert, dans le chemin de fer à voie étroite, sur le chevalet de torture d une banquette de troisième classe, l'enfant dont nous avons sauvé la vie, sa mère et moi, en lui frottant le ventre de la tequila de ma bouteille, ou comment, m'en allant dans ma chambre en l'hôtel où nous fûmes heureux, le bruit d'égorgement en bas dans la cuisine me chassa dans l'éblouissement de la rue, et plus tard, cette nuit-là, le vautour accroupi dans la cuvette du lavabo ? Horreur à la mesure de nerfs de géant ! "

"Les arbres, les massives et luisantes profondeurs de ces frênes antiques, comment avait-elle fait pour jamais vivre sans eux ? Elle prit une ample aspiration, l'air gardait en lui un soupçon d'aurore, l'aurore de ce matin d'Acapulco - le vert et le mauve sombre là-haut et l'or s'enroulant sur eux-mêmes pour démasquer un fleuve de lapis où la corne de Vénus brillait d'un feu si vif, qu'Yvonne put en imaginer l'éclat plaquant son ombre floue sur le champ d'aviation, les vautours flottant paresseusement là-bas au-dessus de l'horizon rouge brique, paisible présage sous lequel le petit avion de la Compania Mexicana de Aviacion s'était élevé, tel un minuscule démon rouge, émissaire ailé de Lucifer, tandis que palpitait au sol le fidèle adieu de la manche à air."


"C'est une soirée d'été sans lune d'un bleu léger mais il est tard, dix heures peut-être, et Vénus resplendit en pleine lumière du jour, nous sommes donc à coup sûr loin au nord, debout sur ce balcon, quand, de là-bas s'en vient et s'enfle au long de la côte le tonnerre d'un long train de marchandises à plusieurs locomotives, tonnerre parce que bien que cette large bande d'eau nous en sépare, le train roule vers l'est et que de l'est souffle le vent changeant qui pour le moment tourne, et que nous faisons face à l'est, tels des anges de Swedenborg, sous un ciel clair sauf au nord-est lointain où plane, sur les distantes montagnes d'un violet passé, un amas de nuages d'un blanc presque pur, soudain illuminés du dedans comme d'une lumière dans une lampe d'albâtre par des éclairs d'or, pourtant l'on ne peut entendre nul tonnerre, rien que le grondement du grand train avec ses locomotives et l'entrechoc de ses vastes échos, à mesure qu'il avance des collines dans les monts : puis tout à coup accourt une barque de pêche haut gréée qui double vivement le cap telle une girafe blanche, très rapide et noble, laissant droit derrière elle une longue crête de sillage aux volutes d'argent, à vue d'oeil ne s'approchant point de la côte, mais voici que sa masse glisse vers la rive et nous, la crête à festons d'argent du remous frappant d'abord la côte au loin puis s'éployant au long de toute la courbe de la plage, et son tumulte et son tonnerre qui montent rejoignant à présent le tonnerre décroissant du train, enfin se brisant en rebonds sur notre rive, tandis que les radeaux, car il y a des radeaux de bois de flottage, ensemble se balancent, que tout s'entrechoque et en toute splendeur, se brasse et se tourmente et se froisse dans cette lisse houle d'argent, puis peu à peu se calme à nouveau, et l'on voit le reflet des lointains et blancs nuages d'orage dans l'eau, et à présent l'éclair au sein des nuages blancs dans les hauts-fonds, tandis que le bateau de pêche lui-même, au flanc duquel file dans le sillage d'argent la volute dorée qu'y mire la lumière d'une cabine, s'évanouit au tournant du cap, silence, puis de nouveau, au fond des blancs, blancs nuages d'albâtre de l'orage, loin au-delà des monts, c'est l'éclair d'or sans tonnerre dans la soirée bleue, d'outre-monde..."


1933

MALCOLM LOWRY
Ultramarine

Traduction de l'anglais de Clarisse Francillon et Jean-Roger Carroy

"Tout à coup, l’un après l’autre, les lampadaires de la rue explosèrent, leurs globes s’enlevèrent au ciel et la rue se peupla d’yeux : des yeux largement sur dilatés, dégoûtant de pellicules sèches, ou englués de poix visqueuse, des yeux qui contenaient l’éternité dans la fixité de leur regard, des yeux qui tremblotaient, qui s’étiraient puis, s’amenuisant prestement, étaient catapultés d’est en ouest ; des yeux qui étaient les carcasses des fenêtres d’une cathédrale noircie, vacuité du cerveau, et, à travers, des chauves-souris et des corbeaux tourbillonnaient, énormes déchets de cuir drossés par les vents arides ; mais un des yeux fit un bond hors du marécage, se braqua sur lui, le fixa sans le moindre clignotement. C’était l’œil d’un pigeon, humide, unique — et noyé de larmes. Où mourrait-il ? En mer. Son corps flottés, soutenu par de lentes pressions, poussé vers les fraisiers de mer, les éponges, les crabes-appelants. Roulé et soulevé, bruissant, poursuivant sa chute. Humus pour les poulpes, pour le béhémoth de l’océan, fomentateur d’orages."