YVES MARTIN
L'Enfant démesuré
"L’école se profile, typique, bourdonnante de liserons, de lierres, de vignes aux innombrables pierres de lune. Elle est séparée de la rue principale par une courte tunique de grillage. La maîtresse est là, le silence s’amuse d’une poignée de billes, de lacets qui grillent comme du maïs, d’un juron qui zozote, se froisse dans l’air comme le feuillage du merle, d’une noix ou d’une noisette qui arment, rien ne manque, pas même l’âne pianola aux oreilles virtuoses. La maîtresse paraît sévère à cause d’un front étroit, de petits yeux broyés et sans couleur ou couleur de gui, de lait masqué par une mouche. Cependant garçons et filles sont sensibles à sa poitrine chaleureuse qui s’esbrouffe comme un fantastique oiseau. Chacun rêve de dormir ou de caresser ses plumes, de lui dire ses gros chagrins ou ses immenses espoirs, ses premières amours cousues de larmes, ses disputes avec les parents qui tombent avec trop de majesté. La petite fille rêve comme ses compagnons et compagnes, mais avec plus de force, d’audace, de précision. Elle mordille la formidable mappemonde comme elle l’a vu faire à un monsieur moustachu sur une gravure du grenier soigneusement glissée dans un livre d’aventure pétillant d’or et d’écarlate."