CORMAC McCARTHY
Méridien de sang
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Francis Hirsch
"Voici l’enfant. Il est pâle et maigre, sa chemise de toile est mince et en lambeaux. Il tisonne le feu près de la souillarde. Dehors s’étendent des terres sombres retournées piquées de lambeaux de neige et plus sombres au loin des bois où s’abritent encore les derniers loups. Sa famille ce sont des tâcherons, fendeurs de bois et puiseurs d’eau, mais en vérité son père a été maître d’école. Il ne dessoûle jamais, il cite des poètes dont les noms sont maintenant oubliés. Le petit est accroupi devant le feu et l’observe."
"Toute la nuit des nappes d’éclairs sans origine palpitèrent à l’occident derrière les nuées d’orages nocturnes, muant le désert en jour bleuâtre, les montagnes sur cet horizon éphémère massives et noires et livides comme une terre d’un autre ordre dont la vraie géologie n’était point la pierre mais la peur. "
" Les chevaux foulaient d’un pas morne ce sol d’un autre monde et la terre circulaire roulait en silence au-dessous d’eux, tournant dans le vide plus vaste dans lequel ils étaient contenus. Dans l’impartiale sévérité de ce terrain tous les phénomènes accédaient à une étrange égalité et il n’était rien, pas une araignée pas un caillou pas un brin d’herbe, qui pût revendiquer la préséance. La clarté même de ces choses en démentait la familiarité, car l’œil présuppose l’ensemble à partir d’un signe ou d’un fragment et tout ici était pareillement lumineux ou pareillement enveloppé d’ombre et dans la démocratie optique de ces paysages toute préférence devient un caprice et un homme et un rocher acquièrent des liens de parenté insoupçonnés."