CORMAC MCCARTHY
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CORMAC McCARTHY
Stella Marris
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Paule Guivarch

 " L’Institut avait été fondé pour lui et un autre mathématicien du nom de Dieudonné, par un Russe fortuné du nom de Motchane – si c’était bien son vrai nom – qui était fou à lier. L’Institut s’inspirait du modèle de l’IAS. À Princeton. Oppenheimer faisait partie du conseil scientifique. J’y suis restée un an, mais les fonds avaient déjà commencé à se tarir. Finalement je n’ai pas touché la totalité de ma bourse. J’étais la seule femme là-bas. Au début tout le monde croyait que je travaillais à la cuisine. "

2022


CORMAC McCARTHY
Le passager
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Serge Chauvin

 " Emmitouflé dans une couverture de survie grise qu’il avait sortie du sac de secours il buvait du thé brûlant. La mer sombre clapotait autour de lui. Le bateau des garde-côtes ancré à cent mètres ballottait dans la houle feux de mouillage allumés et au-delà à dix milles au nord on voyait les phares des camions progresser vers l’est sur la route 90 en quittant La Nouvelle-Orléans pour rejoindre Pass Christian, Biloxi, Mobile. Le concerto pour violon no 2 de Mozart résonnait dans le magnéto. Il faisait six degrés et il était trois heures dix-sept du matin."

" Le printemps venu, des oiseaux commencèrent à affluer sur la plage après avoir traversé le golfe. Des passereaux exténués. Des viréos. Des tyrans et des gros-becs. Trop épuisés pour bouger. On pouvait les ramasser dans le sable et les tenir dans sa paume tout tremblants. Leur petit cœur battant, leurs yeux papillotant. Toute la nuit il arpentait la plage avec sa lampe torche pour repousser les prédateurs et à l’approche de l’aube il s’endormait dans le sable avec les oiseaux. Afin que nul ne trouble ces passagers. "

2022


CORMAC McCARTHY
La route

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Francis Hirsch

"Ils mangeaient plus chichement. Il ne leur restait presque rien. Le petit était debout sur la route avec la carte dans la main. Ils écoutaient mais n'entendaient rien. Pourtant il voyait les terres nues qui s'étendaient en direction de l'est et l'air était différent. Ce fut au sortir d'un tournant de la route qu'ils l'aperçurent et ils s'arrêtèrent et restèrent immobiles avec le vent qui leur soufflait dans les cheveux maintenant qu'ils avaient baissé les capuchons de leurs vestes pour écouter. Là-bas c'était la plage grise avec les lents rouleaux des vagues mornes couleur de plomb et leur lointaine rumeur. Telle la désolation d'une mer extraterrestre se brisant sur les grèves d'un monde inconnu. Là-bas dans la zone des estrans un pétrolier à moitié couché sur le côté. Au-delà l'océan vaste et froid et si lourd dans ses mouvements comme une cuve de mâchefer lentement ballottée et plus loin le front froid de cendre grise. Il regardait le petit. Il voyait la déception sur son visage. Je te demande pardon elle n'est pas bleue, dit-il. Tant pis, dit le petit. "

2006


1985

CORMAC McCARTHY
Méridien de sang

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Francis Hirsch

"Voici l’enfant. Il est pâle et maigre, sa chemise de toile est mince et en lambeaux. Il tisonne le feu près de la souillarde. Dehors s’étendent des terres sombres retournées piquées de lambeaux de neige et plus sombres au loin des bois où s’abritent encore les derniers loups. Sa famille ce sont des tâcherons, fendeurs de bois et puiseurs d’eau, mais en vérité son père a été maître d’école. Il ne dessoûle jamais, il cite des poètes dont les noms sont maintenant oubliés. Le petit est accroupi devant le feu et l’observe."

"Toute la nuit des nappes d’éclairs sans origine palpitèrent à l’occident derrière les nuées d’orages nocturnes, muant le désert en jour bleuâtre, les montagnes sur cet horizon éphémère massives et noires et livides comme une terre d’un autre ordre dont la vraie géologie n’était point la pierre mais la peur. "

" Les chevaux foulaient d’un pas morne ce sol d’un autre monde et la terre circulaire roulait en silence au-dessous d’eux, tournant dans le vide plus vaste dans lequel ils étaient contenus. Dans l’impartiale sévérité de ce terrain tous les phénomènes accédaient à une étrange égalité et il n’était rien, pas une araignée pas un caillou pas un brin d’herbe, qui pût revendiquer la préséance. La clarté même de ces choses en démentait la familiarité, car l’œil présuppose l’ensemble à partir d’un signe ou d’un fragment et tout ici était pareillement lumineux ou pareillement enveloppé d’ombre et dans la démocratie optique de ces paysages toute préférence devient un caprice et un homme et un rocher acquièrent des liens de parenté insoupçonnés."


CORMAC McCARTHY
Le gardien du verger
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de François Hirsch et Patricia Schaeffer

"À l’est de Knoxville, État du Tennessee, commencent les montagnes, arêtes et crêtes basses du pli appalachien qui tordent à leur guise les routes au sortir de la ville. Il y a d’abord Red Mountain ; du sommet on peut voir par temps clair comme une lointaine promesse une fraîche ligne bleue, la ligne de partage des eaux. "

"Il s’était découpé une canne dans du bois de hickory, l’avait taillée en octaèdre et en avait orné le haut de sculptures cabalistiques – des lunes avec un nez, des étoiles, des poissons d’aspect étrange issus du pléistocène. Prise dans la lumière croissante elle luisait d’une blancheur toute neuve, comme la tranche d’une demi-pomme."

1965