HERMAN MELVILLE
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HERMAN MELVILLE
Billy Budd, marin
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Pierre Leyris

"Qui, dans l'arc-en-ciel, peut marquer l'endroit où finit le violet et où commence l'orange? Nous voyons distinctement la différence des couleurs, mais où exactement l'une commence-t-elle à se mêler à l'autre? Ainsi de la raison et de la folie. Dans les cas patents, on ne pose aucune question à leur sujet. Mais dans certains cas douteux, que l'on suppose, à des degrés divers, moins prononcés, peu de gens se risqueront à tracer la ligne de démarcation précise, encore que, moyennant un salaire congru, certains experts professionnels n'hésiteront pas à le faire. Il n'y a rien au monde que certaines gens ne fassent ou n'entreprennent de faire s'ils sont payés pour cela."

(posthume, le roman n'est publié qu'en 1924, après que le manuscrit a été retrouvé dans un pot à biscuits.


1852

HERMAN MELVILLE
Bartleby le scribe
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Bernard Hoepffner

« Bartleby! Vite, j'attends. »
J'entendis les pieds de sa chaise grincer lentement sur le plancher nu, et bientôt il apparut à l'entrée de son ermitage.
« Que désirez-vous? demanda-t-il suavement.
— Les copies, les copies, dis-je d'un ton pressé. Nous allons les comparer. Tenez... » Et je lui tendis le quatrième duplicata.
«Je préférerais pas », dit-il, et il disparut doucement derrière le paravent.


HERMAN MELVILLE
Cocorico
Le bonheur dans l'échec

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Laurent Folliot

"L'air était froid, brumeux, humide, désagréable. La campagne avait l'air mal cuite, son jus cru giclait tous azimuts."

"Ecoutez ! Là, encore ! Une bénédiction ! Jamais, avant, on n'a entendu un coq claironner comme ça sur la terre ! Le cri est clair, perçant, plein de cran, plein de feu, plein d'entrain, plein d'allégresse. Il dit haut et fort : "Jamais ne faut désespérer !" Mes amis, voilà qui est extraordinaire, non?"

« – Mon garçon ! dit enfin mon oncle, en levant la tête.
Je le regardai avec émotion, et me réjouis de voir que la terrible flétrissure avait pratiquement disparu de son visage. – Mon garçon, il n’y a plus grand-chose qu’un vieil homme puisse inventer en ce vieux monde.
Je gardai le silence.
– Mon garçon, suis mon conseil : n’essaie jamais d’inventer quoi que ce soit – hormis le bonheur.
Je gardai le silence.
– Mon garçon, vire de bord, et allons chercher la caisse.
– Mon cher oncle !
– Elle fera une excellente caisse à fagots, mon garçon. Et le fidèle vieux Yorpy pourra vendre la ferraille pour s’acheter du tabac. »

1850


1851

HERMAN MELVILLE
Moby Dick
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono

"Le matin, peu après le petit-déjeuner, fidèle à son habitude, Achab monta sur le pont. C’est là que la plupart des capitaines font leur promenade à cette heure, comme les messieurs de la campagne, après le même repas, font quelques tours de jardin.

Bientôt, on entendit son pas d’ivoire régulier, tandis qu’il faisait de long en large sa vieille ronde sur des planches si accoutumées à sa démarche que, telles des pierres géologiques, elles étaient partout marquées par son pas singulier. Et si l’on fixait ce front tout aussi cabossé et marqué, on voyait également des empreintes, et plus étranges encore : les empreintes d’une pensée unique, toujours en marche, et qui ne dormait jamais.

Ce matin-là, ces marques paraissaient plus profondes ; de même, son pas nerveux creusait plus profondément le bois. Achab était si plein de cette pensée qu’à chaque identique demi-tour qu’il faisait tantôt au grand mât, tantôt à l’habitacle, on pouvait presque voir sa pensée tourner en lui quand il tournait, marcher en lui quand il marchait."


HERMAN MELVILLE
Mardi
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Cestre et Armel Guerne

"Tout écumant, l'océan d'au-delà se lance vers les nuages.
Et dans le blanc sillage de ma barque, là-bas, fonce en avant un canot. Trois spectres immobiles se penchent sur sa proue, lance au poing.
Et c'est ainsi que poursuivants et poursuivi fuient sur un océan sans bords."

1849


HERMAN MELVILLE
Taïpi
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Miriam Dou-Desportes

"Selon toute apparence, il n'existait ni tribunal ni cour d'équité; il n'y avait pas de police municipale pour appréhender les vagabonds ou les turbulents. Bref, on ne connaissait aucune disposition légale pour la préservation du bien public et de la société, ce qui est le but éclairé de toute législation civilisée. Et pourtant tout se passait dans la vallée avec une harmonie et une douceur sans égales, j'ose l'affirmer, dans aucune communauté de mortels de la chrétienté, fût-elle la plus choisie, la plus raffinée et la plus pieuse à la fois. Comment expliquer cette énigme? Ces insulaires n'étaient que des païens! des sauvages! voire des cannibales! comment donc arrivaient-ils, sans le secours d'aucune loi établie, à faire preuve, à un degré si éminent, de cet ordre qui est le plus grand bienfait et la fierté d'un état social?"

1846