SÉBASTIEN MÉNARD
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 publie.net 2021

SÉBASTIEN MÉNARD
Quelque chose que je rends à la terre


" la poésie patiemment
a dégraissé une chaîne de vélo
des pignons
un dérailleur
la poésie patiemment
a tourné la petite vis de tension
du dérailleur
pour trouver
la bonne indexation la poésie
cherche la bonne tension la poésie
a fauché l’herbe du potager la poésie
a planté deux bâtons ! deux bâtons !
pour des pois
la poésie
et quinze fraisiers
ou de l’ail des ours la poésie
avec la même stupeur
découpe un morceau de tissu
ou des feuilles de mélisse
de la roquette sauvage
(graines ramenées de l’est lointain
la Transylvanie)
du chou perpétuel
(une bouture prise chez mon très cher
ami)
des feuilles de moutarde la poésie
qu’est-ce que c’est
la poésie c’est comme ça
qu’elle sauve le monde non

non la poésie ne sauve de rien
la poésie crie
elle ne fait que
crier
et encore
  elle crie dans son silence
c’est du silence crié la poésie du silence

crié"

 

"... le poème continuera ras-la-gueule, le nom des herbes, le goût des terres, le son des pluies, l’écorce des arbres matière lignée ligneuse papier là que j’écris ou terres rares, écrans plats, sommes-nous si bêtes devenus ?"

"J’aimerais croiser encore dans la nuit le regard d’un animal ce qui, d’une certaine manière, me ferait taire."


"« Ces pages sont aux errants — aux cailloux — aux poussières et à l’humus. Elles sont à la pourriture ligneuse, aux lichens, lichens — aux rongeurs. Ces pages sont aux noms des bois — à ceux des forêts tout autant qu’aux innommés. Ces pages sont aux bruyères — aux fougères — aux tourbes et aux lombrics. Elles sont aux terriers. Elles sont à l’irrégularité. À l’imprévu. Au perpétuel. À l’enfoui — au très très enfoui. »

Et je m’obstine, m’acharne, ahane — continue. Voici un rassemblement. C’est trempé, truffé, couturé, de recopillages — travail à façon de reconnaître quelques dettes et les « grands alliés substantiels ». J’ai cherché les traces, les poussières, les surgissements et les refuges. Mais la poésie hein. Elle sait, elle. C’était du gros de matière laissée à lentement macérer, parfois brassée — à manière de fabrication de terre — quoi fut ensuite distillé à l’issue de plus d’une année d’attente — et donc, cher lecteur, courage, vivons, répétons, portons nos amis dans la nuit, dans la brume." Sébastien Ménard


SÉBASTIEN MÉNARD
Notre désir de tendresse est infini

"J’ai un texte là tout près.

(et se répètent comme gimmick dans le break rythmique d’un blues les mots)

Il y aurait des pluies.

Ça commencerait comme ça :

« C’était un soir — et les pluies l’automne s’écroulaient ocres et lents ».

Un blues.

Un blues de l’automne.

Le jazz des pluies d’octobre — le jazz de la fin d’une saison — des routes dessinées à la main — des cartes ouvertes. Le jazz des soirées sombres — le jazz de la mer Égée — le poème du mot bouzouki — le souffle des vents du Caucase.

Un blues des flottes — des bruits de pas dans les flaques — des voix chaudes dans les eaux fraîches. Un jazz des flammes humides — et les doigts pincent des cordes en suant. Un jazz des feux qui dansent et des corps sous les abris.

Un jazz des gouttes de novembre — un blues des ombres ivres — un jazz des hivers attendus — un blues des feux qu’on regarde tenir dans la nuit.

Le jazz dingue de nos corps chancelants — nos tremblés nos virées nos nuits douces et sauvages.

Le saxophone des herbes humides.

Des pas dans le noir.

Une trompette
dans la nuit.

J’ai un texte là
tout près.

Ça finirait comme ça :

« Et sur nos peaux s’écroulaient les pluies qui gouttaient des arbres et des abris. »

Après
c’était faire un feu pour tenir la nuit."

 

publie.net 2017


publie.net 2017

SÉBASTIEN MÉNARD
Notre Est lointain

"Alors on fermerait les livres. On fermerait tout. La porte de nos cabanes. Les lieux qu’on n’a pas. La caravane de nos songeries. Les cartons — les microphones et les portes. Alors ce serait le début de la quête du héros moderne. Le début des routes. Le début des soleils qui tombent sur les herbes jaune jaune. Les pluies sur nos peaux. Les matins dans les bois. Et les nuits dehors. "

"C’était à cette époque où déjà les étés ne ressemblaient plus à ceux qu’on nous avait décrits lorsque nous étions jeunes. Le monde se vautrait à une vitesse ahurissante. Dans une sorte de ralenti ocre et poussière nous observions cette chute sans plus savoir comment parler. Il nous restait la vague idée d’un récit — des désirs de cabane — et du jus pour tenir."

"Nous autres nous avons un couteau pliable dans la poche et nous le nettoyons chaque soir en regardant le soleil plonger vers l’ouest  — puis nous prenons note des jours et des vents — des pistes et de nos désirs. La vie voilà la vie encore la route et les chemins. Nous donc à la poursuite de quoi heureux les monstres qui savent encore hurler à la lune — s’endormir sur une colline — attendre les premiers instants du jour. Parfois — dans la nuit — sur la route ou entre les pluies — à travers les chemins les collines et les jours qui filent — il nous arrive de répéter les mots du poème :

notre désir de tendresse est infini
désordre et caresse notre désir de tendresse
est inconsolable
et chaud."


SÉBASTIEN MÉNARD
Soleil gasoil

"Dans cette plaine — les saisons changent la terre c’est la poussière la boue la glace — quand les pluies viennent alors le froid avec les boues — et les chiens sont là tous à longer les murs en béton — et quand les neiges et le froid alors c’est la glace et les chiens — les chiens sont tous à nicher en boule et puis c’est le printemps alors il faut peu de temps pour que tout redevienne poussière et que ça soit tout autour pareil comme un grand nuage jaune brun — alors les chiens — les chiens sont là tous à chercher l’ombre. "

Les routes: "Celle en plein désert — au loin il y a le sable qui se soulève en tornade et le ciel est un mélange de bleu de brun poussière et il fait chaud — ça dépasse les quarante degrés et ça sent le gasoil — ça sent le gasoil et l’huile chaude — ça sent la pisse et les chiens crevés — un camion passe et vacarme — un bruit de ferraille de gomme chaude et de bielles — tu es assis sur les marches et les sacs plastiques et tu ne penses pas."

publie.net 2015