EDGAR MORIN
La Voie
pour l'avenir de l'humanité
"Si j’essaie de remonter aux sources subjectives de ce livre, La Voie, je trouve, dans mes années d’enfance, à partir de la lecture de La Case de l’oncle Tom, des romans de Gustave Aimard et de Fenimore Cooper, un irrépressible sentiment de compassion pour les Noirs esclavagisés et les peuples subjugués, asservis, méprisés des Amériques. Adolescent, j’ai ressenti une compassion semblable pour la misère humaine, pas seulement la détresse matérielle que me donnait à voir par exemple le film de Pabst L’Opéra de quat’ sous, mais aussi la misère intérieure qui vient de l’humiliation et de la solitude, que m’a révélée quand j’avais quinze ans Dostoïevski. "
" Ainsi, la perte d’un futur assuré, jointe à la précarité et aux angoisses du présent, engendrent des reflux vers le passé, c’est-à-dire vers les racines culturelles, ethniques, religieuses et nationales. "
"Or la pensée politique en est au degré zéro. Elle ignore les travaux sur le devenir des sociétés et sur le devenir du monde. « La marche du monde a cessé d’être pensée par la classe politique », dit l’économiste Jean-Luc Gréau. La classe politique se satisfait des rapports d’experts, des statistiques et des sondages. Elle n’a plus de pensée. Elle n’a plus de culture. "
"Notre mode de connaissance a sous-développé l’aptitude à contextualiser l’information et à l’intégrer dans un ensemble qui lui donne sens. Submergés par la surabondance des informations, nous pouvons de plus en plus difficilement les contextualiser, les organiser, les comprendre. Le morcellement et la compartimentation de la connaissance en disciplines non communicantes rendent inapte à percevoir et concevoir les problèmes fondamentaux et globaux. L’hyper-spécialisation brise le tissu complexe du réel, le primat du quantifiable occulte les réalités affectives des êtres humains. "