FEDERICO FERRARI, JEAN-LUC NANCY
La fin des fins
"Le monde est la métamorphose de toute forme vers l'informe de la matière brute, ou vers ce qu'on pourrait appeler la vie pulsionnante. Or, cette métamorphose n'est déclin et décadence que par rapport à une forme figée. En fait, s'il n'y avait cette destruction des formes figées par la pulsion vitale défigurante, il n'y aurait pas de culture vivante, voire il n'y aurait plus de culture du tout, mais seulement idolâtrie d'une image morte."
"Il me paraît clair que, si le monde change, c'est parce que, pour chaque génération, il y a l'irruption de ceux qui ont vingt ans et qui, du seul levier de leur vitalité exubérante et incoercible, modifient le statu quo. Il est clair, de surcroît, que l'immobilité ressentie aujourd'hui en Occident tient justement au fait que les jeunes y ont été placés dans un état où l'impuissance est totale et qui les relègue en une adolescence qui ne parviendra jamais à être une véritable jeunesse. Ainsi, excluant les jeunes du monde des choix réels, délégant tout à ses sages, hommes mûrs, l'Occident vit dans une « crise du milieu de la vie » prolongée."
"Dans la succession des générations, des époques, des âges telle que la représentent les mythes, les contes, il y a du rythme. Peut-être l'histoire de l'Occident, ou 'histoire' à partir de l'Occident, a-t-elle perdu le rythme, entraîné à la fois dans une accélération illimitée et dans un étalement non moins illimité. Pourtant il y a eu des scansions, des syncopes, des relances: mais il semble que ce soit dans l'art qu'elles se soient jusqu'ici passées. La plus récente, musicale : le jazz, le rock et la musique électronique. Est-ce déjà fini?"
"Peut-être n'y a-t-il aucun commencement ni aucune fin, et toujours un entre-deux, toujours un passage, un milieu qui n'est pas un lieu mais un élément où ça flotte entre un début et une fin qui n'ont jamais lieu.
Le commencement et la fin sont au milieu de tout, invisibles, rapides comme un double éclair obscur.
Ni commencement ni fin n'existent. Ce sont chaque fois des artefacts, des projections d'un besoin de fixer des bornes, de tenir des points fixes. En réalité tout a toujours déjà commencé et tout continue toujours à finir."