KRISTIN ROSS
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KRISTIN ROSS
La forme-Commune

"Quiconque a parcouru ces dernières années ces vastes étendues de la campagne française livrées à la monoculture sait combien le vieux paysage médiéval du bocage est devenu inhabituel. Il aura été témoin, sans le savoir peut-être, des forces qui ont détruit le bocage : une sorte de processus de réification rurale et de « redécoupage » agressif familière aux urbanistes qu’on appelle « remembrement » à la campagne. Déployé dans toute son intensité tout au long des années 1980 et 1990, le remembrement a lieu lorsqu’un territoire qui permettait jusque-là la subsistance est réorienté vers la maximisation des profits. Avec l’arrivée des grandes machines agricoles, les haies et les autres obstacles naturels ont été rasés pour créer de vastes parcelles individuelles destinées à la monoculture, en particulier en Bretagne. Arracher les haies et noyer les champs sous les produits chimiques permet d’obtenir des rendements plus élevés et des aliments moins chers mais tout cela se paye au prix fort : celui de l’épuisement des terres. Dès le XIXe siècle, Marx avait parfaitement conscience que ce qui passait pour le « progrès » à la campagne était aussi la cause de la dégradation des sols :

"Tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité.""


KRISTIN ROSS
Mai 68 et ses vies ultérieures

"J'utilise l'expression « vies ultérieures » pour bien marquer que ce que l'on désigne aujourd'hui comme « les événements de Mai 68 » ne peut être considéré indépendamment de la mémoire et de l'oubli collectifs qui les entourent. C'est l'histoire des manifestations concrètes de ce couple mémoire/oubli que je souhaiterais retracer dans ce livre. Trente ans après, la gestion de la mémoire de Mai 68 - ou, autrement dit, la façon dont les commentaires et les interprétations ont fini par vider l'événement de ses dimensions politiques - est au centre même de sa perception historique."

"C'est à travers la culture de Mai que s'est opéré le retour à ce que nous pourrions appeler une thématique de l'égalité : en comblant le fossé entre travail manuel et intellectuel, en refusant la qualification professionnelle ou culturelle comme justification des hiérarchies sociales et de la représentation politique, en rejetant toute délégation, en sapant la spécialisation, bref, en perturbant violemment les rôles, les places ou les fonctions assignées. En encourageant le refus des rôles ou des places prédéterminées par le système social, le mouvement de Mai s'est, au fil de son existence, orienté vers une critique de la division sociale du travail. "


Editorial du N°1 des Révoltes logiques, janvier 1975(Membres du collectif: Daniele et Jacques Rancière, Geneviève Fraisse, Jean Borrel...)


« Révoltes logiques voudrait simplement réentendre ce que l'histoire sociale a montré, restituer, dans ses débats et ses enjeux, la pensée d'en bas. L'écart entre les généalogies officielles de la subversion - par exemple l'"histoire du mouvement ouvrier" - et ses formes réelles d'élaboration, de circulation, de réappropriation, de résurgence.
La disparité des formes de la révolte.
Ses caractères contradictoires.
Ses phénomènes internes de micro-pouvoirs.
Son inattendu.
Avec l'idée, simple, que les luttes de classe ne cessent pas d'être, pour n'être pas conformes à ce qu'on apprend à l'école (de l'État, du Parti, ou du groupuscule) [...]
Révoltes logiques [...] essaiera de suivre les parcours et les chemins de traverse de la révolte, ses contradictions, son vécu et ses rêves. »

Editorial du N°5, printemps-été 1977

"La «leçon» de l'histoire consiste, au mieux, à « reconnaître le moment d'un choix, d'un imprévisible, bref, l'émergence d'une liberté ; [à] tirer de l'histoire non des leçons ni exactement une "explication" mais le principe d'une vigilance à ce qu'il y a de singulier dans chaque appel de l'ordre et dans chaque affrontement.»



KRISTIN ROSS
L'imaginaire de la Commune

"L'émancipation a lieu quand l'univers de l'expérience quotidienne devient traduisible en écriture, et c'est une chose matérielle qui devient la passerelle assurant la traduction entre deux esprits."

"...les circonstances de la Commune s'avèrent extrêmement productives, en créant des façons de formuler ou de lire ou de participer sur le moment qui modifièrent ensuite le cadre de perception et ouvrirent le champ du possible."

 

 


KRISTIN ROSS
Rimbaud, la Commune de Paris et l'invention de l'histoire spatiale

"Aujourd'hui, après l'année 2011 et le « printemps arabe », le mouvement Occupy, les indignés et les insurrections de masse qui ont secoué le monde, d'Athènes au Québec, on peut supposer que nous sommes de nouveau entrés dans une période de forte visibilité pour la Commune de Paris. La démocratie radicale mise en œuvre par les Communards, l'interrogation sur les objectifs et le financement de l'enseignement public, le renversement de toute forme de discipline et de hiérarchie sociales, le profond internationalisme et l'alliance avec les intérêts des travailleurs des campagnes, l'appropriation de l'espace social et le démantèlement de la bureaucratie étatique, toutes ces pratiques qui ont assuré ce que Marx appelait l'« existence en acte » de la Commune, tout cela pourrait bien se révéler capital pour une multitude de groupes et de mouvements populaires en guerre contre ce que l'on ne peut pas ne pas percevoir, au plan international, comme la consolidation d'un gouvernement mondial de la richesse."


«Tout, chez Rimbaud - sa jeunesse, sa classe sociale, ses origines provinciales, son extrême ambivalence face à l'idée de trouver une vocation ou de fonder un foyer, sa haine de l'"être poète" -, suggère que l'on ne saurait le comprendre seulement en lisant son œuvre. Il faut essayer de comprendre les personnes et les choses qui l'entouraient, et de l'envisager, lui, non comme un corps individuel mais comme une personnalité à moitié fondue dans la masse. Comme quelqu'un qui arpentait plusieurs mondes à la fois, quelqu'un à qui "plusieurs autres vies semblaient dues", quelqu'un qui, dans cette conjoncture historique particulièrement instable, où les travailleurs parisiens avaient pris en main leur orientation politique, fit le choix, du moins pendant quelques années, d'écrire de la poésie. À la différence de Flaubert et de Mallarmé, la vie de Rimbaud ne fut pas une vie d'artiste. »