ALAIN ROUSSEL
Le texte impossible,
suivi de Le vent effacera mes traces
"Ça me prend comme ça, au dépourvu. Je ressens d'abord, face au monde, un vide immense, presque douloureux. Le sentiment m'assaille que plus rien ne passe entre nous, que la communication avec l'univers est rompue. Dans ces moments-là, il me semble que la banalité acquiert une existence réelle, dangereuse. Je vois en elle une puissance maligne qui grignote les choses, les fond en une sorte de masse. Son chef-d'œuvre est sans nul doute la foule anonyme déambulant dans les rues des grandes villes."
"Ma joie d'exister est telle actuellement que je m'accommoderais du plus futile des événements. Je bois ma bière : ma vie est là, tout entière, dans cet acte dérisoire. Le spectacle de la salle m'assaille, à la fois m'enlace et m'agresse de toutes parts. Des présences qui s'entassent là, dans un bruyant tohubohu, je n'ai rien perçu tout d'abord. C'est souvent ainsi quand j'entre dans un café et que la lumière au dehors est trop vive. La pénombre m'envahit d'un voile noir et c'est à peine si j'arrive à discerner ces grandes taches grises rectangulaires que forment les tables et dont les coins acérés me lardent la hanche au passage, tels des fauves à l'affût."