TANGUY VIEL
Paris-Brest
"Il paraît, après la guerre, tandis que Brest était en ruines, qu'un architecte audacieux proposa, tant qu'à reconstruire, que tous les habitants puissent voir la mer : on aurait construit la ville en hémicycle, augmenté la hauteur des immeubles, avancé la ville au rebord de ses plages. En quelque sorte on aurait tout réinventé. On aurait tout réinventé, oui, s'il n'y avait pas eu quelques riches grincheux voulant récupérer leur bien, ou non pas leur bien puisque la ville était de cendres, mais l'emplacement de leur bien. Alors à Brest, comme à Lorient, comme à Saint-Nazaire, on n'a rien réinventé du tout, seulement empilé des pierres sur des ruines enfouies. Quand on arrive à Brest, ce qu'on voit c'est la ville un peu blanche en arrière-fond du port, un peu lumineuse aussi, mais plate, cubique et aplatie, tranchée comme une pyramide aztèque par un coup de faux horizontal. Voilà la ville qu'on dit avec quelques autres la plus affreuse de France, à cause de cette reconstruction malhabile qui fait des courants d'air dans les rues, à cause d'une vocation balnéaire ratée (complètement ratée même, puisque la seule plage de la ville au fond de la rade se trouve là abandonnée, en contrebas de la quatre-voies tumultueuse qui désengorge la ville), à cause de la pluie souvent, de la pluie persistante que en savent compenser les grandes lumières du ciel, de sorte que Brest ressemble au cerveau d'un marin, détaché du monde comme une presqu'île."