J’écoute le fracas des vagues.
M’installe face à la mer, les yeux perdus dans cette nasse d’air où mouettes et goélands s’immobilisent quelquefois, crucifiés en plein ciel.
Le soir, je file à Camaret.
Contemple les bateaux ou pense à Saint-Pol-Roux, me dirigeant vers le cimetière pour me recueillir quelques minutes devant le tombeau :
Allez bien doucement, Messieurs les Fossoyeurs.
et, me promenant sur la butte voisine, rejoins ce lieu, le plus admirable, le plus angoissant et paisible ensemble que je sache, où il bâtit son manoir, lequel n’est plus qu’une ruine contre quoi, faute de mots, des jeunes gens fracassent en riant des bouteilles de bière.
Je ne l’avais pas lu, à quinze ans, l’auteur de La Dame à la faulx auquel Breton, tu vois, tout s’enchaîne, dédia son Clair de terre, et notre matière de Bretagne, extraite d’une page du Lagarde et Michard, n’était pas plus la sienne que celle du roi Arthur.
Tristan, Iseut, le Chevalier à la Charrette, l’Enchanteur et les fées assises en cercle dans une clairière du Val sans retour, l’indolente Mélusine, Morgane peut-être, qui dans nos rêveries avaient la lèvre boudeuse d’une quelconque Martine, ou d’une Monique, d’une Josette — c’est ça, moque-toi… —, n’appartenaient pas encore à notre principauté mentale.
Rutebeuf, si. Et Villon, je l’ai rappelé tout à l’heure.
Jusqu’à ce Clément Marot, de Cahors en Quercy, dont nous prisions la faconde et, plus clandestinement, les vers que le manuel taisait :
Tetin qui fais honte à la Rose,
Tetin plus beau que nulle chose,
Tetin dur, non pas tetin, voyre,
Mais petite boule d’Ivoyre
Au milieu duquel est assise
Une Fraise ou une Cerise
ou ce très beau poème, que je me récitais tout bas, serrant entre mes bras le fantôme d’une bien trop distraite amoureuse :
Anne (par jeu) me jecta de la Neige
Que je cuidoys froide certainement,
Mais c’estoit feu ; l’experience en ay je ;
Car embrasé je fuz soubdainement.
Puis que le feu loge secretement
Dedans la Neige, où trouveray je place
Pour n’ardre point ? Anne, ta seule grace
Estaindre peult le feu que je sens bien ;
Non point par Eau, par Neige ne par Glace,
Mais par sentir ung feu pareil au mien.
On s’enthousiasme vite, à cet âge.
Mais ce qui tant nous séduisait, que nous imitions, besogneux, troussant ballades et sonnets dont on n’entendait qu’un bruit de béquilles, toute cette rhétorique, joueuse, badine ou savante ne comblait pas le vide qui, sous la strophe facile, chaque jour un peu plus se creusait.
Nous avions peur. Et soif.
Comme les adultes s’en foutaient, nous écrasâmes lourdement les points sur les i.
On appelle ça « l’échec scolaire ».
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