"Vous me proposez ville en défi. Je n'avais pas prévu cet écart. Comment aborder la traversée d'un mot pareil ? Je suis à l'aise au désert et partout dans les forêts ; j'espérais plage ou plaine, rive ou mer, voire océan, n'importe quoi de grand. Je veux bien m'attaquer aux lisières, à l'imprévisible faille d'une frontière naturelle. Au lieu de cela je dois regarder ville et sans doute au-delà : franchir. Dans la ville, à mes yeux, les êtres se figent et s'évanouissent. J'y croise les regards absents de l'humanité mécanisée. Je m'y sens fou et déshérité. Mais aussi attendu. Espéré à distance. La ville m'attire pour cette foule absente à elle-même et sans innocence, pour son architecture, l'énormité de son existence, sa puissance claire, entièrement dévoilée mais pourtant lointaine, pour ses richesses exagérées, ses perspectives souveraines, inutiles. La ville m'attire par son exotisme implacable et peuplé d'interdits tentants."
"La ville d'aujourd'hui est construite comme un réseau de conducteurs - le modèle électronique lui ressemble - sur la base de chemins continus, différenciés et balisés, valant pour chaque usage. Chacun d'eux est filant, bordé, signalé et parfois colorié. Le vocabulaire urbain est très surprenant, il ne semble composé que de contraintes fonctionnelles, comme si le but essentiel de la ville n'était pas d'abriter l'humanité mais de la faire circuler.
Trottoir, bordure, chaussée, caniveau, passage piétonnier, passerelle, souterrain, tunnel, cul-de-sac, rue, ruelle, impasse, avenue, boulevard, cours, barrière, guichet, porte... Rien ne prévoit la divagation, sauf quelques jardins inscrits dans le flux comme des pauses.