ANTOINE CHOPLIN
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2022

ANTOINE CHOPLIN
Partie italienne

"Sur l’échiquier finement marqueté, les pièces projettent leurs ombres élégantes. Avec nonchalance, l’index de l’homme qui s’est assis en face de moi glisse un instant sur le plateau pour épouser les contours de deux ou trois d’entre elles. Et puis, après un regard vers moi, il pousse son pion en e4. "

 


2020

ANTOINE CHOPLIN
Nord-Est

 "Lorsqu’ils repèrent les ruines aux pierres noircies posées sur le piémont qui ferme le vallon à l’ouest, la foudre frappe désormais sans relâche les cimes qui les surplombent, leur fermant chaque fois les paupières. Du fracas répété du tonnerre, ils redoutent chaque fois l’explosion inaugurale, démesurée, aux résonances métalliques et qui, immanquablement, les fait sursauter. La pluie dégringole, en un chuintement continu. Elle coule sur les visages, glisse entre les lèvres et jusqu’au fond des gorges. "


ANTOINE CHOPLIN
Alberto

"Alors, comme ça, Alberto, vous dessinez des pommes ?
Oui, c'est ça. Des pommes. J'en fais beaucoup ces temps-ci, des pommes.
Ça agace mon père, d'ailleurs.
Que vous dessiniez des pommes, ça agace votre père ?
C'est-à-dire qu'il me reproche de les dessiner trop petites. C'est pourtant comme ça que je les vois. Lui, il dessine très bien les pommes, des grosses pommes. Mais en fin de compte, je ne les trouve pas si ressemblantes. Je n'ose pas toujours lui en faire la remarque, mais à chaque fois je me dis qu'il y a quelque chose qui cloche avec ses pommes à lui."

2017


ANTOINE CHOPLIN
Quelques jours dans la vie de Thomas Kusar

"Il entend le coup de trompe et l’air se met à vibrer avec l’approche du train. Tomas est revenu sur le quai. Il guette la progression de ce fracas tranquille et sans surprise, rythmé par le passage des boggies à la jonction des rails. Le train roule à vitesse faible et constante. Tomas agite sa lampe, lumière verte. Le mécanicien le salue d’un geste de bras. Le minerai emplissant les wagons produit des scintillements légers sous la clarté de la lune. Tomas pense à Václav. C’est qu’ils viennent de se quitter. Mais peut-être aussi que quelque chose le relie à ces lueurs en route au milieu de la nuit. À ces feux arrière aussi, qu’il regarde s’éloigner puis disparaître, captif comme chaque fois du même envoûtement. Après, tandis que le silence reprend lentement sa place, c’est toujours comme si quelque chose de neuf s’enclenchait au fond de lui. Il redresse le buste, inspire une grande goulée d’air. Il pense à la draisine. Demain, tiens, il retournera sans faute voir Kopecky pour lui demander si, oui ou non, il pourra la conduire un jour."

"J’aime ça, tes écorces, dit Václav. Je sais pas trop ce que ça vaut, dit Tomas. Pour l’instant, je trouve pas que ça ressemble tellement aux vraies écorces, à celles qu’on peut voir ici, dans la forêt. Et pourtant, c’est bien elles que je prends en photo. Je dois mal m’y prendre.
Et c’est ça que tu veux ? demande Václav. Tu voudrais que tes photos soient une copie parfaite de la réalité ? Je sais pas. Tomas semble réfléchir un instant. J’aimerais surtout que ça ressemble un peu aux écorces que j’ai dans la tête. Bien sûr, approuve Václav. "

2016


2016

ANTOINE CHOPLIN
Dessins de CORINNE PENIN
Tectoniques

"On marchait
dans l'espoir des dièdres
et autres livres des parois

les langues des plaines
s'achevaient

et nos mains s'étaient usées
par manque de mots"


ANTOINE CHOPLIN
HUBERT MINGARELLI
L'incendie

"Ça m’amène à la deuxième chose et celle-là, je ne sais pas si tu la comprendras parce que je ne suis pas sûr de pouvoir bien te la dire. Regarder le monde comme il est, ce n’est pas si facile mais surtout, je me dis que ce n’est qu’une occupation parmi toutes celles qu’on peut avoir. Je trouve que c’est bien aussi de regarder le monde comme il pourrait être, ou comme on voudrait qu’il soit. Et c’est bien aussi de ne rien regarder du tout. Je crois que c’est souvent ce qui m’arrive quand je marche, et aussi quand je joue de la guitare. "

2015


2015

ANTOINE CHOPLIN
Une forêt d'arbres creux

 "Voilà peut-être pour ce qui est de ce regard du premier jour porté par Bedrich sur les deux ormes de la place de Terezin. S’y entrelacent, en lisière de cette désolation, l’élan et la contrainte, la vérité et l’illusion, le vivant et le mort. À eux seuls, les barbelés ne disent rien, pas plus que les arbres ; ce sont les deux ensemble qui témoignent de l’impensable. Il repense aux forêts aperçues depuis le train et à cette étrange sérénité que ces paysages lui ont procurée malgré tout. Les forêts portent les espoirs, il se dit. Elles ne trompent pas. On n’a jamais rapporté le cas d’une forêt d’arbres creux, n’est-ce pas ? "

 couverture : Transport – Bedrich Fritta (1906-1944)


ANTOINE CHOPLIN
Les gouffres

"On s’est trouvé un endroit au beau milieu des arbres. On s’est assis l’un à côté de l’autre, adossés à une souche moussue. La nuit est venue sans qu’on s’en rende compte vraiment. Quand il a fait noir, j’ai pensé à l’océan et j’ai frissonné en imaginant le bruit du ressac. La chose dont je me souviens, c’est l’épaule de Milton se collant à la mienne et son buste pesant un peu sur le mien mais surtout, me tenant chaud. "

2014


ANTOINE CHOPLIN
La nuit tombée

"En pensant à Nikolaï Fomitch Kalouguine, un père, et à Svetlana Alexievitch qui a fait écho à sa voix."

" Mais tu sais, dit Kouzma, tu retrouveras rien de ce que t’as connu là-bas. Il hésite avant de continuer. Comment dire. Au début, quand tu te promènes dans Pripiat, la seule chose que tu vois, c’est la ville morte. La ville fantôme. Les immeubles vides, les herbes qui poussent dans les fissures du béton. Toutes ces rues abandonnées. Au début, c’est ça qui te prend les tripes. Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt cette sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c’est ça qui te colle la trouille. Ça, c’est une vraie poisse, un truc qui t’attrape partout. Et d’abord là-dedans. De son pouce, il tapote plusieurs fois son crâne. Je sais de quoi je parle.
Gouri pose sa joue sur son poing fermé. "

2012


2011

ANTOINE CHOPLIN
Le héron de Guernica

"D’abord, la question de cette immobilité. C’est curieux comme de ces poses qu’aime prendre le héron, de ces postures qu’il sait rendre parfaitement inertes, émane pourtant une sorte de palpitation. Même à vingt ou trente mètres, on le perçoit, le frémissement invisible, le battement profond qui cogne aux parois de ce corps figé.
Basilio se dit que la peinture ne pourra jamais rendre ça. C’est déjà difficile de conférer par le pinceau un peu d’allant à la représentation d’un être en mouvement ; mais s’il renonce à bouger ne serait-ce qu’un cil, alors là. Il s’y essaye pourtant sans relâche, Basilio. Il s’invente quelques stratagèmes pour cela ; en constate les limites ; en expérimente de nouveaux.
Tous ont en commun de l’amener à tricher un peu, d’une manière ou d’une autre. À courber le rectiligne, à barbouiller un peu l’évidence du réel visible. À éroder les lignes trop nettes, les contours trop prononcés. Et dans les meilleurs jours, il a parfois l’impression de peindre à l’unisson de cette vibration secrète, celle qui du héron immobile fait avant tout un être en train de vivre. Mais il est possible aussi que dans la sincérité de cette vibration, le héron lui-même finisse par se perdre."

"Basilio se dit qu’il conviendrait peut-être un jour ou l’autre de se résoudre à oublier le héron lui-même pour ne s’intéresser qu’à l’abîme qui s’ouvre à l’interstice de son regard. Plonger un peu là-dedans, et seulement ça. D’ailleurs, de cette façon, on pourrait au passage abandonner tout le reste. Le héron lui-même donc, son plumage, ses allures fières, la flèche de son bec, mais aussi tout ce qui façonne son environnement. La roselière, les aulnes, les reflets dans l’eau du marais, la couleur du ciel. Dans cette exploration réduite aux entrailles du modèle, on cesserait de se poser la question du dehors ; de la place du dehors dans la peinture. "

 


ANTOINE CHOPLIN
cour Nord

"De temps à autre, je jette un coup d’œil vers lui. Dans le regard incessant qu’il porte au dehors, il y a cette curiosité discrète pour les choses que je lui connais, mais aussi cette sorte de rêverie, d’absence, teintée de lassitude. Les cheminées des aciéries, les lumières de l’aéroport, les avions stationnés au loin. La voie rapide, un peu encombrée à cette heure d’embauche. Je lui demande si je peux mettre un peu de musique. Il dit que oui, que ce serait vraiment bien si c’était une musique qu’on a jouée hier au concert. Dans l’autoradio, je glisse la cassette avec le Straight, no chaser de 1966 et je guette les traits de son visage. Mais lui, toujours pareil, tendu vers les paysages."

2009


ANTOINE CHOPLIN
L'impasse

 "Partout dans la ville en ruine, la neige fondue se mélangeait à la terre, produisant cette sorte de boue, mouillée et grise. Pour les hommes, pour les chiens qui n’avaient pas fui, il y avait, ce matin encore, l’étonnement du silence revenu. Aux yeux incrédules, plissés par l’effet de la lumière nouvelle, on pouvait lire ça, qu’il en faudrait d’autres, des heures et des jours de paix, d’air immobile, pour que s’estompe l’écho de toutes les semaines de feu."

2006