VICTOR DEL ARBOL
Personne sur cette terre
Traduction de l'espagnol de Alexandra Carrasco
"L’enfant s’assit sur le quai désert pour voir approcher le train de marchandises. Il passait toujours à la même heure, sans s’arrêter, dans un grand fracas métallique ; des wagons à n’en plus finir, des wagons marron, gris et vert, avec des lettres et des numéros peints, qui aspiraient l’air à leur passage et soulevaient des tourbillons de poussière qui tardaient à retomber. Parfois, le machiniste faisait sonner son sifflet et le saluait en sortant sa main par la fenêtre. L’enfant se relevait et le saluait à son tour, puis il restait là, au bord de la voie, jusqu’à ce que les lumières rouges du dernier wagon disparaissent en même temps que le bruit. Un étrange silence s’installait alors et, dans sa tête, une sensation de tristesse."
"Et j’ai eu un déclic, Julián. Je t’ai vu. J’ai compris que tu avais bonne mémoire. Que tu n’étais pas du genre à oublier ni à pardonner. Tu es de ceux qui attendent aussi longtemps qu’il faut. Trente ans si nécessaire. Je parie que tu étais comme lui à son âge : un visage rond surmonté d’une chevelure noire coupée à l’arrache, un air joyeux qui n’avait rien d’ingénu. Mais surtout, j’ai remarqué les yeux, si vifs et en même temps si mélancoliques, presque trop pour ceux d’un enfant, comme s’il avait connu d’avance son destin si funeste, et qu’il marchait au-devant de lui avec une insouciance résolue."