AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Accueil

2023

AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Eden

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Je ne sais pas vraiment pourquoi je me mets subitement à penser au chien d’Álfur. Chaque fois que son maître me rend visite pour vérifier la progression des travaux, l’animal se comporte toujours de la même manière, il n’arrête pas de me flairer. Ce chien exige une constante attention et tant qu’on ne le caresse pas, il jappe.
La dernière fois, mon voisin m’a dit que c’était un chien de pure race islandaise. "

"Le brouillon de la nécrologie est arrivé dans ma boîte mail le lendemain. J’ai parcouru la première phrase. Hlynur Garðarson aimait les arbres. Puis la deuxième. Nous possédions un jardin en commun, mais Hlynur ne verra plus d’autres printemps où écloront les feuilles de son arbre préféré. Combien de printemps vit un être humain ? Nous sommes à chaque instant au centre de notre existence, disait Hlynur. Mon père m’a appelée avant de m’envoyer le mail pour m’expliquer comment il envisageait de structurer son texte.
— Après le premier paragraphe, je partirai en mer pour présenter le commandant Hlynur, puis je reviendrai sur la terre ferme et j’évoquerai sa passion pour les arbres et son amour de la peinture qu’il pratiquait à ses heures perdues.
— Ah, il peignait ?
— Oui, des arbres. "


AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
La vérité sur la lumière

Traduction de l'islandais de Eric Boury

 "Le plus surprenant, toutefois, c’est sa façon de passer du plus petit au plus grand au sein d’un seul et même paragraphe, elle parle d’une feuille ou d’une maille de tricot et vous fait tout à coup remarquer que les étoiles d’une même constellation sont distantes de plusieurs millions d’années-lumière. Je me dis parfois qu’elle ne faisait aucune différence entre l’infime et l’infini, entre le principal et l’accessoire. Ou plutôt que dans sa tête, l’infime était l’infini et l’infini l’infime. Ce qui est en adéquation avec son intime conviction selon laquelle tout est lié. En

 "Puis il se tourne vers la fenêtre pour regarder dehors. Un goéland au bec jaune et aux plumes ébouriffées est perché sur un réverbère dans la rue, je le regarde descendre en planant vers le trottoir et battre des ailes entre les voitures dans la clarté jaunâtre.
J’ai laissé la fenêtre du salon ouverte pour aérer la nuit dernière et une petite pellicule blanche de givre s’est déposée sur le rebord. Je devrais peut-être rempoter mon bégonia."

2020



2019

 

AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Miss Islande
Traduction de l'islandais de Eric Boury

"L’autocar de Reykjavík laisse dans son sillage un nuage de poussière. La route en terre, tout en creux et en bosses, serpente de virage en virage et on ne voit déjà presque plus rien par les vitres sales. Le cadre de la Saga des Gens du Val-au-Saumon aura bientôt disparu derrière un écran de boue.
La boîte de vitesses grince à chaque fois qu’on descend ou qu’on gravit une colline, et j’ai comme l’impression que l’autocar n’a pas de freins. L’énorme fissure qui traverse le pare-brise de part en part ne semble pas gêner le chauffeur. Il n’y a pas grand-monde sur la route."


AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Ör
Traduction de l'islandais de Catherine Eyjólfsson

"Y a-t -il quelque chose que j'aie encore envie d'essayer ? Rien qui me vienne à l'esprit. J'ai tenu dans mes bras un nouveau-né rouge et visqueux, j'ai abattu un arbre de Noël dans un bosquet de conifères en décembre, j'ai appris à un enfant à faire du vélo, changé un pneu seul la nuit sur une route de montagne en pleine tempête de neige, tressé les cheveux de ma fille, roulé dans une vallée polluée pleine d'usines à l'étranger, j'ai été ballotté dans le dernier wagon d'un petit train, j'ai fait cuire des pommes de terre sur un réchaud à gaz en plein désert de sable noir, je me suis colleté plusieurs fois avec la vérité là où les ombres sont tantôt longues tantôt courtes, et je sais que l'homme peut rire et pleurer, qu'il souffre et qu'il aime, qu'il est doté d'un pouce et qu'il écrit des poèmes et je sais que l'homme sait qu'il est mortel.
Qu'est-ce qu'il me reste à faire ? Ecouter le gazouillis du rossignol? Manger du pigeon blanc ?"


2016


2012

AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
L'exception
Traduction de l'islandais de Catherine Eyjólfsson

"Non, je n'ai nullement éprouvé le besoin de rechercher mon père biologique, non, je ne suis pas d'avis que mon histoire soit amputée de moitié du fait que je ne connais pas mon père; on ne peut regretter ce qu'on n'a jamais eu et je ne vis pas avec le sentiment d'avoir à recouvrer une partie de moi-même. Pourquoi aurais-je besoin d'un père pour savoir qui je suis, d'ailleurs la biographie est le summum de la fiction et les souvenirs l'apogée de l'art poétique, de arte poetica. Il pourrait bien avoir travaillé dans un cirque et vivre dans une roulotte avec sa septième femme. Que dire à un homme qui disparu de la circulation juste après vous avoir fabriquée? Je me suis davantage intéressée à ma lignée maternelle. Quand on creuse assez loin dans la généalogie, on finit par voir émergér des cimetières glacés du nord du pays une aïeule "aimant la poésie mais de courte taille"."

 


AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Rosa Candida
Traduction de l'islandais de Catherine Eyjólfsson

"Ce qui me sauve de l’impasse de pulsions charnelles, c’est la fenêtre ouverte de la cuisine. En droite ligne de mon oreiller, dans l’obscurité, se dresse le mur infranchissable du monastère et, derrière lui, du côté où la vigne sommeille, se trouvent mes parterres de roses que je dois absolument arroser demain. Je suis le seul homme à connaître l’existence d’une certaine variété de rose vivace, là-bas dans le noir, sous la lune jaune."

 


2007

AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
L'embellie

Traduction de l'islandais de Catherine Eyjólfsson

"Rien ne se présente comme à l’accoutumée, en cet ultime jour de novembre – un jour ténébreux sur l’île ; nous portons tous les deux un pull-over, le mien est blanc à col roulé, le sien est neuf, vert menthe, tricoté main, avec un motif à torsades et une capuche. La température est comparable à celle de Lisbonne le jour précédent, à ce que dit la radio, et l’on prévoit encore de la pluie et un réchauffement. C’est pourquoi une femme seule avec enfant ne devrait pas se trouver sans raison valable sur les routes, dans des zones sombres et inhabitées, et encore moins au voisinage de ponts à voie unique, les routes étant souvent inondées.
Je ne suis pas présomptueuse au point de m’attendre à voir surgir un nouvel amant à chaque pont à voie unique, sans vouloir toutefois exclure totalement une telle éventualité. À mieux considérer la photo, on distingue au second plan, à quelques pas du petit et de moi, un jeune homme d’environ dix-sept ans au visage un peu flou. Il a les traits plutôt délicats sous son bonnet et on dirait que son acné commence tout juste à s’arranger. L’air ensommeillé, yeux mi-clos, il s’appuie contre la pompe à essence."




2004


1998

AUDUR AVA OLAFSDOTTIR
Le rouge vif de la rhubarbe

Traduction de l'islandais de Catherine Eyjólfsson

"Elle avait promis à maintes reprises de ne pas descendre seule traîner sur le ponton. Avec ses béquilles, elle risquait de trébucher sur les déchets de poisson et de tomber dans la mer.
— Le ressac t'emportera, lui disait Nina.
Personne n'aurait pu imaginer qu'au lieu du ponton, Agustfna mettrait le cap sur sa plage privée. C'est qu'elle est du genre téméraire. À la voir crapahuter avec ses béquilles, on aurait pu croire le contraire. Pendant ce temps-là, Nina épluchait les pommes de terre sans se douter de rien."