JACQUES JOSSE
Accueil

 

"Seul à bord, dans une salle jaune, au cinquième étage d'un immeuble qui longe, sur cent mètres, une rue déserte et trouée, il garde - de quart sous l'ampoule, en cette nuit de tempête - un peu de naïveté en réserve dans ses soutes mentales..."



Les éditions Wigwam
: "Marrant comme cette petite collection de Jacques Josse peut être un lieu pour des poèmes qui ont besoin d’être seuls. " (de « Cuisine: Vivre, écrire le travail du poème au jour le jour » par Antoine Emaz)

Le Blog de Jacques Josse

 


La Chronique 842

Interview "Débarqué"

Interview sur Univers.fm


le réalgar, 2024

Dessin de Sandra Sanseverino

JACQUES JOSSE
Trop épris de solitude

"Je suis de retour, dit-il à l'homme qui l'invite à prendre place sur le divan. Je rentre après deux siècles d'errance. Mon périple est parsemé de fines poussières. J'ai longuement marché, une bougie à la main, de hameaux déserts en zones désaffectées, avançant entre des murs de suie et des troncs d'arbres calcinés. Tout autour, le chant des grillons peuplait la nuit. Au loin, l'enfant que je fus jadis pleurait apeuré dans le lit froid où ont dormi tant de morts.
Je suis sans âge, couvert de cendre, contraint de traverser les générations pour souffler sur les braises de la mémoire familiale."

 

"Hirsute,
rentre des bois,
son chien sur les talons,
la boîte de bière à la main
et l'urne bleue sous le bras.
A passé l'après-midi assis sur une souche.
A boire et à causer avec le frère.
Devant la maison à vendre
et la carcasse rouillée
d'une voiture enfouie
sous les ronces."

(15.01.2014)


Editions Folle Avoine 2023

JACQUES JOSSE
Postier posté
Pastels à l'huile de GEORGES LE BAYON

"La ville que je découvre, qui possède un nom étrange (qui me fait instantanément penser oubli, cellule, cachot, réclusion) et où je viens pour travailler au centre de tri postal, se situe dans la banlieue ouest. C'est une cité dortoir tressée de rues grises et cernée par les rails qui partent en fuseaux vers une interminable aire de triage. Des paravents bétonnés chargés d'atténuer le raffut régulier des voitures coupent la commune en deux. Il y a d'un côté les friches et la zone industrielle et de l'autre l'ancienne ville entourée de barres et de tours dont certaines affichent sur leur façade des arbres peints en vert et en rouge avec fruits et fleurs à volonté. C'est au septième étage de la dernière d'entre elles que se trouve le logement qui m'est réservé, au milieu d'une plaine où subsistent encore plusieurs hectares de terres agricoles. Trois autres postiers logent là." 

"Tout autour, friches, bornes, plots, cônes, rangées de barbelés, cabanes de chantier et hangars métalliques cohabitent. Des bulldozers et des tractopelles sont disséminés dans le paysage. Les grues barrent l'horizon. On distingue leurs bras levés à l'arrêt dans la brume. Des tronçons bitumés s'arrêtent en plein champ. Il y a de grandes plaques de ciment au sol. Et des centaines de câbles. Des piles de buses. Quelques tabliers de ponts se dressent dans la plaine. Ici, on construit la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines."


Médiapop, 2022

JACQUES JOSSE
Des escapades rouge et noir

"Je rentre au bercail peu avant minuit, retrouvant mes papiers là où je les avais abandonnés, en vrac, sur le bureau dans la chambre.
J'ouvre la baie vitrée qui donne sur le balcon. En bas, au Bardac, les irréductibles, les passionnés s'égaient en terrasse. Ils ont encore une bonne heure devant eux.
Notant rapidement les imprévus, déambulations et improvisations de la journée, je m'aperçois que je n'ai, aujourd'hui encore, adressé la parole à personne. Même pas au cavalier gris qui m'a pourtant offert la sienne sur les berges de la rivière. Et cela me désole profondément."


Quidam, 2021

JACQUES JOSSE
Le manège des oubliés

"De temps à autre, il ouvre sa sacoche. Il en sort quelques photos, les étale sur la table, les présente une à une. Il y a là une flopée de poètes morts. D'anciens broyeurs de noir qui s'emparaient de la réalité pour la couper en tranches fines. Des énergumènes qui se levaient chaque jour vers midi avec une gueule de bois carabinée qu'ils offraient en pâture aux vents de l'Hudson qui les lavaient, les giflaient, leur balançaient des beignes salées pour qu'ils recouvrent au plus vite fraîcheur et désir d'en découdre. C'est pour mieux s'imprégner de leur présence qu'il se permet de mentir dans les grandes largeurs. Il n'hésite pas à murmurer qu'il s'est rendu là-bas, incognito. Il a fait le pied de grue sur le trottoir, s'est imbibé de blues et de rumeurs urbaines et a fini, après avoir longuement hésité, par traverser la rue, pousser la porte et entrer. Il décrit, dans la foulée, l'intérieur d'une taverne où il n'a évidemment jamais mis les pieds. Il en a conscience mais il est lancé et ne peut s'arrêter. Il a beaucoup rêvé, peu vécu et son compte à rebours est bien entamé. Il lui faut rattraper ce qu'il a raté. Ne sait comment s'y prendre avec ces manques qui s'empilent. La prochaine fois, il essaiera de calmer ses ardeurs et d'éviter les bobards. Il citera d'autres noms. Des contemporains solitaires et sans chapelle qui lui ont, un jour ou l'autre, dédicacé un de leurs livres. Comme toujours, les regards brilleront dans la pénombre. Il déposera des recueils colorés sur la table. Les incitera à les feuilleter. Leur parlera des chemins étroits que ceux-là creusent au couteau, à même la page, l'expédiant à chaque lecture dans des territoires qu'il n'explore qu'a minima, par peur de se brûler à leur contact. Il s'exprimera posément, avec retenue, en espérant se rapprocher du vieux sage qui apparaît, épisodiquement, dans un coin de sa tête, et auquel il aimerait tant ressembler."


JACQUES JOSSE
Vision claire d'un semblant d'absence au monde

"Le soir il marche lentement sur le sentier qui mène de Bréhec à la Pointe de la Tour. Passé le mur de pierre et les herbes folles, au fin fond du hameau des « Rochers rouges », il bifurque pour remonter vers la chapelle Sainte-Eugénie. À peine un quart d’heure plus tard, parvenu là-haut, debout sur le dos de la colline qui surplombe la baie, il se laisse submerger par le côté « hors du temps » qui se dégage des lieux. Il pousse la porte, foule une grande dalle froide avant de s’engouffrer dans ce réduit sombre et humide… La simplicité de l’édifice, son intérieur austère, les traits reproduits sur les visages en bois – pour la plupart ceux de marins péris en mer – qui semblent souffrir paisiblement, immobiles et un peu poussiéreux dans leur coin d’ombre, tout cela le plonge dans un silence et un état d’hébétude où il retrouve tous les arpenteurs de solitudes qui se sont, un jour ou l’autre, absentés du monde pour ne plus jamais y revenir. "

"Ailleurs
Venues de l'Est, du loin des vagues où ça ondule, venues comme un vol vert sous la lune, rue du barrage de l'éternité, deux ombres, deux jeunes femmes se figent et devinent, derrière l'unique fenêtre éclairée de la nuit, sous le claquement régulier d'une vieille machine à écrire, la présence de Bohumil Hrabal en tricot sale, du tabac dans les poils, au travail près d'un seau de bière ramené en autocar du « Tigre d'or » jusqu'à Kersko."

Editions Le Réalgar, 2020
(Réédition, Apogée, 2003)
Couverture: Jean-Luc Brignola


Le Réalgar, 2018

JACQUES JOSSE
Lettre ouverte au grand-père capitaine

"La fontaine près du lavoir était aussi sèche que celui-ci. A un moment donné, une mobylette conduite par un vieux type casqué portant des bottes en caoutchouc vertes est passée en pétaradant. Elle a brièvement cisaillé le silence avant que l'absence ne reprenne ses droits. J'avais, durant tout ce temps, ton visage en tête. J'ai marmonné des mots fragiles pour partager un peu d'été et de solitude avec toi, regrettant de ne pas trouver, comme c'est le cas pour le poète Antonio Machado au cimetière de Collioure, une boîte aux lettres à ton nom fixée à côté de la pierre sous laquelle tu reposes. J'y aurais volontiers déposé ces quelques feuillets rédigés en ta mémoire."



Au nom du père...

Rencontre Jacques Josse et Guy Boley

Deux écrivains, deux hommes et une relation au père très forte pour chacun. Jacques Josse dans Débarqué et Guy Boley dans Dieu boxait en amateur livrent de magnifiques portraits d’hommes.

 

Rennes.Champs Libres. Café littéraire. Jeudi 18 octobre 2018


La Contre Allée, 2018

JACQUES JOSSE
Débarqué

"Son ombre sur le mur
L'entrée de l'hôpital tourne le dos à la mer. Seule la façade nord lui fait face. Il faut pénétrer à l'intérieur, passer devant l'accueil, laisser derrière soi le hall central et prendre le monte-charge pour s'en rendre compte. Si l'on est admis en cardiologie, dans l'une des chambres situées au troisième étage, et que l'on a encore assez de force pour se lever, on peut apercevoir, derrière les pins parasols qui bordent la côte, de nombreuses petites îles, quelques balises qui clignotent au loin et, par temps clair, le trait lumineux de la ligne d'horizon qui bascule vers le grand large. C'est dans l'une de ces chambres que mon père est mort, dans sa quatre-vingt deuxième année, en février 2008."

 

 


Les Hauts-Fonds, 2017

JACQUES JOSSE
Comptoir des ombres

Préface de Michel Dugué
Photographies de Michel Thamin

"Pendant des années, la peur ne lâche rien. Elle creuse, se déplace, longe les zones floues de l'intelligence. Elle plonge ses mains dans le grand sac de l'enfance. Touche de la boue, des copeaux frais, de la cire fondue."

"La mer n'est jamais loin. Novembre non plus. Qui pèse dans la mémoire. Honore des os et des planches. S'en prend à la lumière. Porte les séquelles d'un ciel sale qui vire au-dessus du cimetière en frôlant les feuilles de marbre où des restes de fleurs rouges saignent et maculent les noms dorés des morts de l'année."

Note d'Alain Roussel


JACQUES JOSSE
Chapelle ardente

"Ce  sont des porteurs de corps froids. Des types qui gardent des chapelets de mots enroulés au fond de leur gorge. Ils ont les traits tirés. Ne s'expriment qu'en fin de mission. Les gens du deuil les respectent. Adoptent volontiers leurs mines graves et tendues. Ces guides les aident. Ils sont là pour faire bloc avec eux. Tous réunis autour du barman mort."

"Quand les croque-morts remonteront, avec la lenteur et la componction qui les caractérisent, le jeu de cordes ayant servi à placer la caisse au fond, et que tous les gens du deuil se seront penchés, l'un après l'autre, au bord de la fosse pour lui jeter des pétales de roses, c'en sera fini de la présence du bistrotier sur terre. II lui faudra, sitôt franchi cette frontière extrême, mais cela ne dépendra plus que des vivants, commencer à bouger dans les mémoires, circuler librement de l'une à l'autre, s'échapper à l'improviste, s'en aller planer à l'air libre dans des alcôves qui sentiront bon la bière, le vin et les alcools forts et se revivifier au fil des histoires et anecdotes que beaucoup auront à coeur de reconstituer et de partager, tard le soir, dans les bars de la côte nord. "

 

Le Réalgar, 2017


La Contre Allée, 2016

JACQUES JOSSE
L'ultime parade de Bohumil Hrabal

"Au début des années 1980, une Ford blanche longeait souvent, en lisière de nuit, les arbres difformes et les hauts murs de béton gris qui entouraient les villas disséminées de la proche banlieue de Prague. La voiture aux yeux borgnes roulait à vive allure en se dirigeant vers la forêt. Elle tressautait sur les plaques de bitume après avoir quitté le centre-ville à la tombée du jour et laissé la Vltava, les bars, les ponts, les églises, les stades, le Château et l'hôpital de Bulovka disparaître en douceur dans une brume bleutée et froide."


JACQUES JOSSE
Au célibataire,
Retour des champs

"Pris dans l'odeur du cidre
qu'il tire à la clé
le soir au cellier
suit le parcours de la lumière.
Sa part de ténèbres. Son feu intérieur.
Dénude, croise, répare deux fils électriques
qui pendent au plafond.
Cause au chien (attentif).
De l'usure qui tue. Du courant qui ruisselle
comme de l'eau invisible.
Et du distrait de la maison d'en face. Mort au hameau.
Le corps secoué par du 220 volts."

(16.12.2013)

Tristan Hordé

 

le phare du cousseix, 2015


La Contre Allée, 2015

JACQUES JOSSE
Marco Pantani a débranché la prise

"L'effort en altitude ne convient qu'à quelques solitaires de son acabit. Il faut du souffle, de la légèreté, de la spontanéité, de l'harmonie dans tous les mouvements du corps pour pouvoir s'éjecter hors d'un groupe. Les métronomes trop épais ne peuvent rivaliser avec ces lutins qui multiplient les banderilles et sortent de leur boîte sans crier gare. Ce sont eux les vrais rois de la montagne. Avant ils se nommaient Charly Gaul, Federico Bahamontes, Julio Jiménez, Lucho Herrera, Lucien Van Impe. Marco semble un des rares à pouvoir prétendre se hisser à leur hauteur. Il part à la conquête des sommets comme ils le faisaient. Il les gravit avec fougue, en majesté. Il les effleure, les respecte. Il apprécie les forts pourcentages. Il aime couper la pente rude des virages en épingle en appuyant toujours un peu plus sur les pédales. Ses muscles fins répondent du tac au tac. Son cœur ne s'affole jamais. Il l'entend battre avec précision sous sa peau. Il respire amplement. Il suit à distance la moto qui ouvre la course en fendant la foule qui devient de plus en plus compacte, pressante et bruyante au fur et à mesure qu'il s'approche de l'ultime sommet. Il grimpe sans se déhancher."


Le Réalgar, 2015

JACQUES JOSSE
Au bout de la route

Gravures de Scanreigh

"Il faut se méfier des petits pas fielleux de la mort et des approches tout aussi redoutables de la nuit. L'une et l'autre portent sur elles des lames qui scintillent et la première profite souvent de la seconde pour s'offrir une tenue de camouflage à moindre frais. Son reflet s'imprime avec aisance sur les façades et palissades où elle aime se dandiner en portant son imparable faux au tranchant inversé à l'épaule. Elle longe les murs à l'improviste en se mettant à miauler pour ne pas inquiéter les éventuels promeneurs. Elle multiplie les sorties en ville, enjambe les terrains vagues, se frotte à l'écorce des premiers arbres. Elle saute un fossé, un talus, une rivière. Traverse un hameau, un désert, des prés, des landes et des bancs de brume. On dirait qu'elle se nourrit de la fluidité du vent qui ondule à la surface d'un champ de blé."

Le papier d' Alain Roussel


JACQUES JOSSE ALAIN LE BEUZE MAYA MEMIN
Sahara/Iroise

"C'est l'heure où les phares du Stiff, de la Jument, de Nividic, de Kereon et du Créac'h s'assemblent et broient tout le noir alentour pour traverser puis cisailler d'une simple lame rouge, jaune ou blanche des murs de brumes ou de pluies serrées. Ils jettent les feux de leur lanterne au-delà de la ligne d'horizon, loin, de part et d'autre de ce rail invisible conçu pour guider les cargos, pétroliers et porte-conteneurs qui viennent ou s'en retournent, certains du Panamà ou de mer de Chine, d'autres de New York ou de Singapour."

"Maxence depuis son arrivée dans l'île voici trois ans pour remplacer la prof de français Melle Colombe, mutée à Bordeaux, ne cesse de contempler ces aplats de bleus et de gris tourmentés par les gros nuages qui accourent de l'horizon et qui sèment sans relâche l'ivraie des mauvais jours."

S'emmêler,2014




Prix
Loin du marketing
Sixième édition

 

Comme son nom l’indique, le prix Loin du marketing est voué à honorer un écrivain dont les éditeurs n’ont pas les moyens de se payer placards en chêne dans la presse pipeule, attachées de presse aux jolies menottes, cocktails aux tam-tams et diners de connivence, renvois d’ascenseurs et de monte-charges, et, donc,ont peu de chances de voir leurs livres chroniqués dans les médias, et moins encore d’être invités par les bonimenteurs des radios et télés, pas plus que d’intéresser la plupart des libraires l’œil scotché sur le compteur des « meilleures ventes » et contraints de « faire du chiffre » pour payer le loyer.

Le prix Loin du marketing est donc voué à honorer un écrivain qui n’a pas bénéficié des stratégies conçues pour que ça marche et qui ne peut compter que sur la qualité de ses écrits pour qu’on s’y intéresse.

Le prix Loin du marketing sera décerné chaque année le 15 août pendant le sommeil des commerciaux.

Le prix Loin du marketing est un prix strictement honorifique. Son lauréat sera au mieux gratifié d’une bonne bouffe arrosée à sa convenance s’il s’aventure jusqu’à Saint Nazaire. Sa seule récompense sera de pouvoir dire : c’est moi qui l’ai mérité !

Le sixième prix Loin du marketing a été attribué le 15 août 2014
 à Jacques Josse pour l’ensemble de son œuvre.

Jacques Josse aime les poètes et les buveurs de bière. Mais, si ses livres ont un lectorat, ce n’est pas parce que le marketing les a fait mousser. Cette reconnaissance, d’ailleurs peu tapageuse, doit tout à la qualité de ses textes. Poète et romancier,Jacques Josse a écrit tranquillement quelques uns des livres les plus touchants de ces trente dernières années. Une confrérie de lecteurs s’en régale, la choppe à la main, et le nez sur le granit breton qu’il sait si bien évoquer quand le souffle rugueux du vent y pousse les vagues et que les pluies salées arrosent les hommes qui tanguent fort à la sortie des bars.De ces Habitués des courants d’air, Josse a su dire toutes les fêlures comme les maigres joies, dans une langue simple sans être simpliste qui porte l’émotion comme le coude lève le verre.
Son œuvre est aussi habitée de livres comme un havre accueille les bateaux : Des livres ayant auparavant pris soin d’érafler les bordures des trottoirs, des livres aux mots extirpés par pincées de flaques sales (…) où plusieurs éclopés de l’âme ne cessaient de tirailler, d’étirer, de déconstruire de réinventer une langue qu’ils savaient malléable à souhait. Fondateur,par ailleurs, des éditions Wigwam où, pendant 19 ans, il a« hébergé les indiens de la littérature », Jacques Josse a également été directeur de la Maison de la poésie de Rennes.
C’est donc, à tous points de vue, un solide « passeur » que le prix Loin du marketing se plait à saluer.

Gérard Lambert-Ullmann

Un autre "billet assez doux sur Jacques" de Jean-Claude Leroy


Jacques Brémond, 2014

JACQUES JOSSE
Hameau mort

Encres de Thierry Dohollau

"De retour dans la lenteur de l'aube., sur une route qui file le long du littoral, érafler l'herbe rase, le sable, localiser deux blockhaus, n'en rien dire mais retourner, sans cesse, les poches de nos pensées perdues au creux des vagues, voire même en-dessous, là où veille à coup sûr un souffleur, un jeteur de mots tapi dans la position du péri définitif, capable de nous inviter à l'oublier un instant, de façon à ne pas rater l'éclat, la lumière, le sourire de la femme allemande qui se balade sur les bas-côtés."


La Digitale, 2014

JACQUES JOSSE
J'ai pas mal d'écume dans le cigare

"Il est des pages que l'on aimerait ne pas avoir à ouvrir. Celle-ci en est une. De tristesse sans nom. Alain Jégou s'en est allé peu avant l'aube, le six mai 2013, chercher des vents plus porteurs, découvrir de nouveaux ressacs et sillonner d'autres océans. Son dernier livre, Une meurtrière dans l'éternité, a été publié en 2012, quelques mois après la parution d un roman noir, Ne laisse pas la mer t'avaler, où il revenait, sur fond d'intrigues portuaires, en se dédoublant avec tact, sur ce qui le décida, un beau jour, à rompre les amarres pour devenir marin-pêcheur. Il exerça ce métier durant près de trente ans, appareillant en pleine nuit, départ de Doëlan ou de Lorient-Keroman, l'œil rivé sur les points de repères lumineux disséminés tout autour. Outre ses poèmes, où la mer en furie s'allie souvent à ses propres bourrasques intérieures, il a écrit plusieurs textes en prose, notamment Passe Ouest, livre dans lequel il dit, avec cette grande énergie qui l'animait, la dureté de son quotidien en pêche et son plaisir à frotter sa carcasse, ses méninges et son imaginaire à plus fort que lui, loin des entourloupes côtières. Il fut également à l'origine du très riche ouvrage collectif Je suis un cut-up vivant, réalisé autour de l'œuvre du poète Claude Pélieu."

"Tchao amigo. Un de ces jours, tu nous verras venir pointer nous aussi, éjectés de la charrette, jetés à la baille sans ménagement, l'un après l'autre, la gueule enfarinée, avec des valises violettes sous nos yeux pochés, avec nos corps mal en point et nos mémoires rafistolées avec de la petite ficelle récupérée dans des tas de filets de pêche abandonnés le long des quais et recouverts d une pellicule de sel et de poussière. En attendant, bon vent, bonne route, bonne pioche camarade, gracias a la vida et à bientôt."

"dans l'ardeur des marées
des envolées be bop
et des désirs derviches"

 



Apogée, 2014

JACQUES JOSSE
Liscorno

"D'autres livres, en d'autres nuits, des livres ayant auparavant pris soin d'érafler les bordures des trottoirs, des livres aux mots extirpés par pincées de flaques sales où pas un ciel bleu n'aurait osé répandre ses reflets, des livres écrits il y a quelques décennies, dans des villes (Hambourg, Londres, Bruges, Anvers, Bruxelles) où plusieurs éclopés de l'âme ne cessaient de tirailler, d'étirer, de déconstruire, de réinventer une langue qu'ils savaient malléable à souhait, ont ensuite, et très vite, déserté les rayons vaguement encombrés des librairies pour se blottir et serrer leurs hivers, leurs plaines, leurs monts, leurs rues et leurs canaux de papier dans mon espace réduit sous la charpente."


Approches, 2013

JACQUES JOSSE
La dernière pirouette de Bohumil Hrabal

"Si l'histoire, celle d'une vie commencée à Brno le 28 mars 1914, s'arrêta brutalement sur ce carré blanc teinté de rouge, c'est sans doute parce que son désir de rejoindre sa femme Poupette au cimetière de Hradistko - ainsi que ses parents, enfermés dans une vieille boîte en chêne, une ancienne caisse à bière récupérée dans les caves de la brasserie familiale - a, ce matin-là, définitivement supplanté celui qui l'aidait, jusque là, à survivre dans Une trop bruyante solitude... Il ne s'agissait plus de celle, rebelle, qu'il éprouva jadis au contact des livres en bout de course, ni de celle, guère réjouissante, d'être au fil des ans devenu l'un des derniers survivants du beau parloir situé au fond du Tigre d'or mais de l'autre, la grise, la morne, la voleuse, l'insupportable solitude, porteuse d'une souffrance indicible, calée au creux de ses os, tous, ou presque, rongés par les dents de rats de l'arthrose."


Chantiers navals, MP Nantes, 2012

JACQUES JOSSE
Retour à Nantes

"L'après-midi s'étire et s'apprête à glisser ses heures ternes dans la pénombre d'un soir de bruine. C'est un jour lent, presque ordinaire, un jour sans relief apparent qui s'achève. Le ciel s'affaisse simplement un peu plus que d'habitude, roulant sa grisaille lourde au-dessus des champs, des rivières et des hameaux traversés, comme s'il voulait signaler à ceux qui s'activent à ras de terre l'arrivée d'un novembre fidèle à ses principes de deuil pour tous."


"Nantes, je m'y pose à peine, bouge en dedans en ne donnant pas si facilement sa mémoire en pâture à ceux qui aimeraient tant la sonder en profondeur pour susciter l'émoi des écrivains, des peintres, passants, passeurs capables de relier deux ou trois siècles en un clin d'œil. C'est avec ce secret espoir en tête que je déambule ici, glissant de bar en bar et de rue en rue dans l'intention de croiser quelques ombres fragiles. Non pas celle de Julien Gracq que j'essaie, au contraire, d'éviter tant sa force d'attraction agit telle une lumière blanche et aveuglante, prompte à attirer puis à griller les ailes du promeneur attardé devenu insecte aimanté qui sait qu'il ne pourra dévier le cours de sa trajectoire s'il approche de trop près ce feu brûlant. Gracq, pour qui « le cœur de Nantes battra toujours (...) avec les coups de timbre métalliques des vieux tramways jaunes virant devant l'aubette de la place du Commerce, dans le soleil du dimanche matin (...) — jaunet et jeune, et râpeux comme le muscadet », je l'évite donc à regret et par nécessité, conscient que je ne manquerais pas de le fréquenter à nouveau, avec assiduité, dès mon retour. "


JACQUES JOSSE
Terminus Rennes

"Parfois des sirènes hurlent et ébrèchent le roulis lancinant du dehors. Je les entends à peine. Elles marquent le passage des ambulances. Celles des pompiers ou du SAMU 35. Qui glissent en douceur en faisant clignoter leur gyrophare dans la bruine avec à l'arrière les inanimés des terres noires. J'imagine, allongés sur les civières, des braconniers surpris, les mains serrées dans des pinces de ferraille, des pendus tombés de branches mortes ou des colosses victimes d'un cheval fou... Elles filent vers l'hôpital en frôlant les pylônes du carrefour Alma et les bordures de trottoirs d'une avenue trop large où les derniers piétons tanguent, entre la station de métro et les arbres d'en face.
Tous espèrent, à cette heure avancée de la nuit, rejoindre leur domicile sans heurt. Je les croise de temps à autre. Revenant de rendez-vous tardifs au centre-ville ou aux abords du stade, ou près de quelque entrepôt désaffecté gardé par des chiens qui hurlent, bavent et sautent contre de hauts grillages, j'évite de capter leurs yeux trop allumés, préférant laisser les reflets colorés de leurs brusques embardées disparaître dans la torpeur nocturne. "

Apogée, 2012





24 septembre 2011 : la fête WIGWAM



Approches, 2012

JACQUES JOSSE
Gwin Zegal

"le lieu, nommé gwin-zégal, qui s'étire des premiers lacets du sentier abrupt descendant droit vers la mer jusqu'à la brève avancée de sable ouvrant sur les vasières et les rangées de pieux noirs ou verts, doit sans doute son étrange appellation à ce qui poussait jadis là-haut, entre Beg Hastel et l'anse Cochat, sur les dernières terres arables, protégées d'un trop plein de vent par une série de murets et de talus, à ce froment - gwinizh - et à ce seigle - zégal - le premier destiné aux hommes et le second aux chevaux, les uns et les autres survivant côte à côte, tous accrochés au sol, mêlant leurs sabots, leurs souffles rauques, leur sang, leur sueur, leur force, leur fatigue pour tenter de racler, à flanc de roche, ces minuscules parcelles arrachées à 1a lande, retournées, fumées, ensemencées, choyées, colorées puis peu à peu abandonnées, les tracteurs au cul trop lourd ne pouvant pas s'y risquer, offertes en un éclair aux bras tordus des vieux buis, des arbustes et des quelques pins parasols qui veillent, sans savoir, sur des reliques couvertes de rouille, restes de herses, rouleaux, faucheuses et faneuses visibles en saison creuse..."

Livre peint par Claude Arnaud


JACQUES JOSSE
Lauter liebe leute

"Fur eine Sekunde durchfuhr die Lust seinen Schädel, seinen Toten einen Cognac zu spendieren, auf den Friedhof zu hasten und sich mit einer Lampe durch die Finsternis zu schlagen.
Um ihn her knackte das Gehölz, die Nacht war kalt, Einsamkeit schlug ihre Flügel. Nur ein unter die Erde gezwängter Schatten schien den Blick dieses Mannes zu beherrschen, der hinkend, die Pulle in der Tasche, die Strafse des Marktfleckens hinab ging."

 

 

Verlag Ralf Liebe, 2011


JACQUES JOSSE
Cloués au port

"...Je leur dirai que le lien qui relie les hommes jadis vêtus de peaux de bêtes à ceux qui arborent désormais des costumes trois-pièces est tressé dans une seule et même corde. Apparemment, rien ne bouge. Le clapot des vagues n'a pas varié depuis la nuit des temps. Les aboiements des premiers chiens non plus. Je leur dirai que ceux qui sortent se soulager vite fait contre les pierres en profitent pour mêler mal-être au souffle rugueux du vent de mer et aux pluies salées, cinglantes, toniques venues de Glasgow, de Londres ou de Belfast. Sûr que, loquace et banal, j'ânonnerai des trucs usés. Après, j'accepterai, bien obligé, d'être comme eux: frappé de mutisme, attendant que le gravier crisse et que vous, les jeunes, futurs visiteurs, daigniez ponctuellement vous déplacer en bord de fosse. "

 

 

Quidam Editeur, 2011



Les Champs Libres. Rennes. Café Littéraire. jeudi 17 février 2011


Mordelles, le 4 février 2011, lecture avec Jean-Pascal Dubost


La Digitale , 2010

JACQUES JOSSE
Almaty, vol retour

"Les grandes portes de la salle d'embarquement grincent et s'ouvrent. Dehors, c'est la nuit noire. L'horloge marque trois heures. Je marche avec lenteur, payant au prix fort (stress, tremblote et sueurs froides) plusieurs nuits sans vrai sommeil. J'avance sous le grésil vers une passerelle balayée par un vent venu de Chine, arpentant un vaste terrain vague, transi dans l'air glacial qui anesthésie l'aéroport d'Almaty, l'ex-capitale du Kazakhstan. Annette m'accompagne. Nous sommes au milieu de deux cents autres passagers en partance pour Istanbul. Tout le monde se tait. Les journaux turcs, distribués à l'entrée de l'avion, annoncent l'imminence d'un bombardement américain sur Bagdad."




Folle Avoine, 2010

PAYSAGES ECRITS

Dessins de Georges Le Bayon

Textes de Alain Jégou - Jacques Josse - Yves Prié



Jacques Josse, Yves Prié à la Médiathèque de Saint-Grégoire (35) le 17 septembre 2010, avec Georges Le Bayon et Alain Jégou

"C'est pris dans un autre décor - avec vue sur les toits - , au cinquiéme étage d'un immeuble donnant sur une rue plus ou moins animée, que j'essaie d'assembler ces lignes, de les frotter, de leur donner un semblant d'assise.
Ici aussi, il y a baie et transparence. C'est d'ailleurs à travers elles que je scrute, devinant une vague ligne d'horizon derrière les tours.
Au loin, le ruban bitumé qui se perd au milieu des champs de colza doit descendre, via Nantes et quelques lignes portuaires, en zigzag jusqu'au golfe de Gascogne. Le soir, quand j'ai envie de voyager gratis et de me mettre un peu d'écume aux lèvres, je me lance dans des raccourcis de ce genre. Façon fragile de toucher la mer en quelques secondes. De capter un roulis, un bruit de fond, une gueulante larvée, des lames effilées, des couteaux jaunes (phares ou balises) capables de cisailler la noirceur du dehors en un clin d'oeil. A chaque fois les colères, les tourments, les spirales d'émotions à l'oeuvre chez Georges affleurent. Tout est tendu. En prise directe avec les éléments et les tripes...
je m'en vais chercher des mots tournant autour du même bois. Et oublier, un temps, le hameau, ses morts, sa mémoire (tout ce qui m'absorbe depuis des années) pour enfin vous retrouver."
Jacques Josse


"Ecrire, peindre, créer en évitant les eaux mortes, en se voulant clair et peu visible, me paraît d'une ardente nécessité. On quitte d'un coup l'univers du paraître pour entrer dans le monde de la rigueur et de la discrétion. Dans celui de la douleur aussi. De la fragilité face à ce qui lie la vie et le langage. Un flux difficile à maîtriser si on ne décide pas de se mettre en retrait, de se retrouver, certes « horrible travailleur », mais bien obligé de l'être."
Jacques Josse

 

Les tableaux de cette page sont de Georges Le Bayon


Apogée, 2010

JACQUES JOSSE
GEORGES LE BAYON
Journal d'absence

"L'ombre recherchée n'a pas la teneur grise de la sienne. Elle s'avère plus souple, plus légère et surtout moins en prise avec la terre boueuse qui recouvrait, dès novembre, une cour de ferme où lui et sa sœur aimaient à s'attarder les soirs de pluie. Cette ombre-là gambadait près de lui. Elle avait les joues colorées et le rire facile. Elle n'a désormais plus d'existence. Elle est morte sans jamais dévoiler sa douleur.
Elle a tenu à partir en fumée en se mêlant au vent jusqu'à devenir invisible et furtive. C'est ainsi qu'elle s'est diluée dans la bruine d'une fin d'après-midi, en mars 2004, dans les environs de Saint-Brieuc, avant de se perdre, pour de bon, dans le tumulte lumineux d'un ciel du bord de mer. "

Dessins Georges Le Bayon


 

Marché de la poésie. Rochefort-sur-Loire 2009

 

Publie.net, 2010

JACQUE JOSSE
Talc couleur océan

" nos visages surpris :
c’est absurde
on se croirait
sur le port de Lorient,
dans la poussière un peu
lasse des terrasses
puis dans la brume
d’une autre rencontre
un foulard, une paire
de lunettes sur un mur,
le talc ou le suintement des mots
évaporés à cause du noir
mensonge de la langue
égarée dans des failles
qui gardent, intacts, des cris décousus

… sur le cliquetis
métallique des machines à sous."



JACQUE JOSSE
Dormants

"...Ce soir, entre ténèbres et bas-fonds, seul un
chien ivre a le coeur à boire du purin d'orties à petites
gorgées.

Elle, ensevelie dans sa tombe,
se souvient à peine de la couleur du marais et de la tourbe.

Allongée, morte,
paisible sous la terre,
occupée à coudre une à une les larmes de la rivière,
  elle confectionne une écharpe de deuil

  pour serrer le cou du chien."    

"Pour l’instant, il se contente d’ouvrir les persiennes de la mémoire. Regarde les trois peupliers argentés qui tremblotent en bordure de route. Avale une lampée. Se racle la gorge. Sait que désormais seul le chemin creux qui court en zigzag vers le bourg peut restituer la chute des corps frêles qui jadis calmaient ici leurs membres maladroits sur des lèvres d’eau, de mousse et de boue."

 

Publie.net, 2008



La Digitale, 2008

JACQUES JOSSE
Près du pilier

"Peu avant d'atteindre le resto, il s'arrête à nouveau, me serre le bras et me dit qu'un jour, un jour, Fildefer, si ça te tente, mais il faudra bien sûr qu'il y ait du fracas dans l'air pour que les armatures et toute la ferraille bétonnée du pont sifflent et gémissent ensemble, un jour de tempête force dix ou onze, un jour où ça bastonnera dans les mâts, un jour d'ardoises arrachées et jetées à terre par centaines, un jour je t'emmènerai au pilier. "


JACQUES JOSSE
La mort de Grégory Corso

"DIX-HUIT HEURES. La nuit tombe sur Minneapolis et Saint-Paul sombre peu à peu dans les brumes du Mississippi. La mort se penche sur le fleuve. Elle le toise à travers la vitre. Pour l'instant, elle se détend. Elle traîne au centre de l'atelier. Chaque soir, elle s'accorde ainsi quelques minutes de répit. Elle invite ses pensées à vaquer d'une berge à l'autre, au fil de l'eau, des lumières, des vapeurs... "

La Digitale, réédition 2008 (2000)



Apogée, 2008

JACQUES JOSSE
Les Lisières

En lisière de nuit

À Marcel Dupertuis

"J'aborde la ville aux premières lueurs de l'aube.C'est à cet instant que je la retrouve. Avec ses silences, ses gestes retenus, ses voiles flous qui glissent autour d'elle sans pour autant toucher terre. Je la frôle, de biais, en buvant un café face à la fenêtre...        La séquence reste infiniment marquée du sceau des habitudes...            .
Ce que j'esquisse (et vois) n'est que simple contact à travers les carreaux pour vérifier la présence du vent et des nuages ... La bruine est ordinaire, grise, striée, coupante. Comme chaque jour, je distingue, dans la pénombre du ciel qui tire son interminable rideau de flotte sous le halo des réverbères, les éléments d'un décor qui m'est peu à peu devenu familier. Celui-ci court du quartier Italie aux toits des maisons basses - celles des « Castors» - de la Binquenais pour finir au ras du boulevard Oscar Leroux où je me retrouve, hébété et à moitié essoufflé, vingt minutes plus tard, après avoir dévalé les marches blanches de l'escalier qui mène au dehors, à une heure où rien ne bouge alentour."


111 BRETONS
Des temps modernes aux Editions Armen

 


Marché de la poésie. Rochefort-sur-Loire 2008

Marché de la poésie. Rochefort-sur-Loire 2007


JACQUES JOSSE
Sur les quais

"Accoudé au zinc, près des pompes, avale un verre de blanc, s'essuie les lèvres, renoue avec un fait-divers resté à l'étroit sous sa langue. Suce et resuce. Détecte un clapot d'espoir dans la fange. Sous les galets, près des couteaux, cela dure. Même ce soir, de fête, tangos, relâche jusque tard sur les quais, la mort, banale, d'un homme (son frère) pris en grippe par un noroît rageur revient en force. Le bateau en miette a déjà été récupéré dix mille fois dans la rade. Il le confie à nouveau aux soins du bois, de la terre. Dit les vagues, oh putain les vagues, leurs gueules d'écume, virant du jaune au noir sous la lune, balançant sans cesse des tas de planches contre la digue ..."

 

 

Dessins de Georges Le Bayon

Traumfabrik, 2007





La Digitale, 2004

JACQUES JOSSE
Les Buveurs de Bière

"Lui, le capitaine, et les désoiffés, les goûteurs, les taiseux, les piliers réunis aux ex-Dunes, ont des dizaines de caisses de rêves en réserve. Cela leur permet de cavaler longuement sous les lumières tamisées ... De boire. De s'évader. De frôler, sans bouger, le vent du large et les lames de fond qui rasent, d'un trait, les joues creuses des types couchés dans les crevasses ... Et de se préparer (mais cela, pas besoin de le crier fort) à larguer les amarres, eux aussi, pour rejoindre tous les anonymes, tous les Raymond, tous les Popeye, tous les péris de Mauritanie ou d'ailleurs, tous les Hrabal, tous les Blavier, tous les Bukowski, tous ceux qui, par le passé, ont dû décamper sèchement, sans même pouvoir dire au revoir, et à la santé desquels il est bon de lever son verre et de raboter, du bout des lèvres, des morceaux d'écume ...
Jusqu'à ce que s'éteigne, vers deux heures du mat', l'enseigne rouge et or (Météor) qui éclaire, toutes les nuits, le versant nord de la falaise. "

 


Cadex, 2004

JACQUES JOSSE
Bavard au cheval mort et compagnie

Bleu de traîne

"Seul à bord, dans une salle jaune, au cinquième étage d'un immeuble qui longe, sur cent mètres, une rue déserte et trouée, il garde - de quart sous l'ampoule, en cette nuit de tempête - un peu de naïveté en réserve dans ses soutes mentales. C'est du bleu de traîne, une utopie à talon d'argile, rien de plus, mais dotée d'une légèreté qui l'aide à danser sur la passerelle sans se prendre le vent des douleurs en pleine poire ... "

 

dessins de Georges Le Bayon


Apogée, 2003

JACQUES JOSSE
Vision claire d'un semblant d'absence au monde

"de l'autre côté
de la vitre

le soleil
mange l'ombre
et les angles morts
du jour".


JACQUES JOSSE
De passage à Brest

« Tu me demandes souvent comment est le ciel de Brest, ne t'en souviens-tu pas? C'est le ciel le plus mal cicatrisé au monde. Parfois en plein hiver il s'épanche dans une plaie lumineuse et se referme avec le temps, il se coagule dans le brouillard. Il ne s'est passé que l'heure nécessaire pour attraper un rhume. C'est ce qui explique l'état d'esprit général de cet extrême ouest qui est ton extrême est . »

"Frantz Kerléroux habitait ici, jusqu'à ce qu'il quitte la ville - et la vie - (d'un simple coup de feu) vers 13 heures, le 5 juin 1988. Ce fut sa façon, définitive, de s'abstenir en ce jour (second tour) d'élection présidentielle ... Celui à qui il écrivit la lettre qui précède m'apprit sa mort, quelques jours plus tard, à la terrasse du Surcouf à Rennes. Depuis, il m'est difficile de lire cette fin de terre et ses lignes mobiles sans évoquer les siennes. Le remords et ses tenailles tardives resserrent en moi les écrous d'une paranoïa de bas étage. "

 

 

La Digitale, 2003


Jacques Brémond, 2002

Jacques Josse
Lettre à Hrabal

"Cher professeur,

J'aurai dû vous écrire plus tôt, quand il était encore temps, afin d'éviter de parler à une ombre, vous dire, au détour d'une gorgée de bière, en cognant timidement mon demi d'écume contre le vôtre, vous dire combien votre présence à l'autre bout du monde m'est certains soirs étrange, délicate et rassurante..."

 


JACQUES JOSSE
Ombres classées sans suite

"La nuit traîne dans nos mémoires. Elle attend huit, neuf heures. Elle a déjà enroulé les jambes immobiles de Ghérasim Luca dans les beaux draps de la Seine. Elle a ôté le rose aux pommettes fatiguées de Anne Hébert à Montréal et fait basculer le corps de Bohumil Hrabal par dessus la rambarde de sa chambre, au quatrième étage de l'hôpital Bulovka à Prague. Elle se prépare. Vérifie sa tenue, ses charmes. Se met en route, s'éloigne. Lentement laisse s'effilocher derrière elle des résidus de brume qui dansent à hauteur d'ardoise ou de tôle. "

Cadex, 2001


MAYA MEMIN
Linges rendus à la lumière fertile

plus loin
vers l'Orient,
les cendres d'une mère
flottent sur la rivière.

Jacques Josse

Maya Memin, 2001


JACQUES JOSSE
Café Rousseau

"Quelque part une horloge sonne dix heures du soir. Une autre puis une autre encore répètent alentour la même litanie. C'est à Lanloup, à Bréhec, à Plouézec ...
Dans la chambre, Rousseau traîne toujours dans des méandres d'aventures. Il flâne, il rôde. Il continue de hacher ses phrases. A ses côtés, Inizan malaxe les os des défunts de son village natal. Tous deux rendent visite à leurs morts."

 

La Digitale, 2000


JACQUES JOSSE
Un habitué des courants d'air

"Un homme sort de l'ombre. Il se lève. Reluque ses godasses.
Marmonne des paroles inaudibles. C'est le dernier d'une longue lignée. Une espèce de relique. Un lent croqueur d'hosties, un habitué des ors de tabernacles ... On peut le suivre dans la pénombre. Il joint les mains. Colle ses yeux à la vitre. Détourne la tête.
- «C'est un trou perdu sur la côte. J'y serai dans deux, trois jours », dit-il en décrivant un demi-cercle avec son doigt.
Il chuchote. Personne ne lui répond. Il touche le mur, le papier, la carte. La croix noire qu'il désigne du bout de l'index est située à l'extrême ouest, entre l'île et le ciel, dernière escale à Brest... Puis l'Iroise, le Trégor, le Goélo: ces noms-là lui permettent déjà de toucher la terre, les landes, l'écume. "

Cadex, 1999


JACQUES JOSSE
Des étoiles dans le coeur

Dessin de Eileen

"personne
ne s'est douté
de rien, et même pas lui,
j'en suis sûr,

il est tombé, comme ça
comme un oiseau qui perd
l'équilibre à cause des ailes

qui n'en peuvent plus de battre
l'air pour se maintenir
entre ciel et terre. "

Dana, 1997


JACQUES JOSSE
Le veilleur de brumes

"Ce n'est pas un journal mais le monologue d'un tocsin de nuit sur l'eau pâle où s'abîme la carlingue d'une vie banale. La boîte noire (déglinguée) dévale les falaises de Gwin-Zégal avant de disparaître dans les remous chétifs de la marée montante, entre les îlots de La Mauve et du Pommier. Ici débute le dérisoire."

Le Castor astral et La Rivière Echappée, 1995


Echo des brumes, 1994

JACQUES JOSSE
Des voyageurs égarés

"l'herbe
lie la herse
du pendu à l'arbre
qui n'oublie ni les râles
ni les mouches à l'heure
de la sieste il dort dehors
un suaire de mousse sur le torse
& des envies de cendres sous l'écorce. "