JEAN-CLAUDE LEROY
Un cahier sans école
(écrire ne pas)
suivi de Se sentir seule
"Ma timidité devant l'écriture prise au sérieux, condition de l'écriture comme elle est condition de l'amour. De cette peur surmontée, j'ai dû et je dois gagner en hardiesse et partager mon envie, me faire entraîneur d'un «devenir soi» exemplaire. Timidité devant l'écriture qui n'est rien à côté de ce que fut ma timidité devant mes congénères, et de mon incapacité à parler devant eux, à - notamment- tenir un propos devant un aréopage ou au sein d'une assemblée. Le recours à l'écriture, induisant que l'expression est différée -puisqu'on écrit toujours trop tard, devait me sauver du désastre et de l'aliénation. Pour un handicapé de l'expression orale, l'écriture n'est pas un choix, elle est le seul passage possible pour la parole. Ecriture d'autant plus oratoire que la voix manque, le volume des mots se reconstruit sur la feuille comme celui de la voix se déploierait dans l'espace.
Quant à la lecture, qui est son extrémité, elle fait figure de première audace et d'apprentissage avant de passer à la pratique et rejoindre la république de ces êtres de papier que sont les écrivassiers, les grimauds, les stylistes, les barbouilleurs. Le lecteur féru finit par rédiger des réponses à ses lectures, des lettres aux auteurs, des livres aux éditeurs, des retours de lumière ou d'émotion destinés à l'humanité. La lecture est en soi bien plus extraordinaire sans doute que l'écriture, elle est sportive et magique, elle transporte l'imagination et perce le temps. Elle ne prétend à rien, est intelligence avérée."