JOËL BASTARD
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JOËL BASTARD
Les couvertures contemporaines / Le principe souterrain

"Nous accumulons des strates et des strates de connaissances. Le pied de l’enfant cognera la pierre du matin. Cognera encore une fois la pierre du matin. Nous ne savons rien de plus que cette dernière illusion dense ! Un éclat de rire défait les auréoles et nous nous endormons les bras sur l’essentiel. Il regardait de loin les réveils, les tendances actuelles, les dernières levées. Qui parlait à sa place ? Toute son absence était aux aguets de lui-même. L’autre voulait en connaître plus sur son ambition. Réclamait de la matière et du rangement. Réclamait toute l’écoute de la symphonie du siècle en cours."

"Sans forme ni caractère, il ne voulait pas s’avancer vers lui. Restait dans la faille du temps, comme on dit de celle d’un rocher, de celle d’une tempête interstellaire. Comme on dit de celle d’un raisonnement. Dans la faille ! Mais souhaitait-il seulement exister pour apparaître un tant soit peu dans ce temps de la race ? Dans ce temps de la faille ? Il regardait de loin les réveils, les tendances actuelles, les dernières levées. Qui parlait à sa place ? Toute son absence était aux aguets de lui-même. L’autre voulait en connaître plus sur son ambition. Réclamait de la matière et du rangement. Réclamait toute l’écoute de la symphonie du siècle en cours."


"Les fleurs en silence entre nous et nous.

Envahi du temps de sa naissance, il ouvre une porte dans l’enfance et se retrouve, une existence plus tard, la mémoire pantelante, dans son propre verger, un sécateur à la main ! Des abeilles, des demoiselles d’azur, passent d’un temps à l’autre en un léger bruit de transport de masses éphémères."

"Au contraire de ce qui va là et en revient, la pierre, gardienne de tous mouvements et de toutes connivences, porte en elle la densité du voyage et celle de sa propre disparition."

2024


2024

JOËL BASTARD
Filumena

"Stefanu nous a écrit trois mots. C’est difficile pour lui d’écrire en français et personne ici n’écrit notre langue. Il n’est pas allé à l’école très longtemps lui non plus. On parle tous le français bien entendu, mais, heureusement, on parle surtout notre langue. Les objets dans notre langue sont plus réels, tu vois, je le sens au fond de moi. Ils ont du physique. Un bâton dans notre langue, on le tient mieux dans la main. "


JOËL BASTARD
Jeanne ne conduit pas

"L'incinération s'était correctement déroulée, dans le marbre rose et les automatismes. À commencer par l'entrée toute métallique du crématorium. Dans un bassin de résine bleue, quelques poissons rouges, de type Shubunkin, stationnaient sous une cascade artificielle. En face, dans une vitrine profilée d'or, un grand choix d'urnes funéraires en bois, en métal ou en pierre, attendaient, couvercles dévissés, les cendres. Certaines de ces dernières demeures étaient peut-être bien aussi en Bakélite, en ivoirine jaunâtre et autres matières synthétiques froides aux plans de joints douteux pour les moins onéreuses. L'on proposait même d'extraire 0,001 gramme de cendre d'un corps calciné pour le déposer dans un bijou creux à porter en pendentif ou dans le cœur en or d'une bague de luxe."

Note de Jacques Josse

2019


2018

JOËL BASTARD
Des lézards, des liqueurs

"Il y a des lézards, des liqueurs et du sens. Les mains claquent comme des voiles sur les hommes au sang couvert de grandeurs. Il y a une question émiettée sur la table, l’éclat de rire d’un arbre dans le jardin d’eau claire. Un fruit dans la parole du passager clandestin. Organisons la fête des clous et du fumier, de l’acier et des sangles de cuir. Des planches de retour sur la scène évidente, des papiers en retard arrachés de la lampe."

"ça cogne à l'entrée de l'hôtel. La roche est noire, habitée de rampements serviles, de reptations obligées. De promiscuités obscures. L'horizon n'a pas accès aux luminaires assombris de l'emphase au fond du couloir. La partie de cartes est en cours, les navires en miettes. Une créature côtière se penche sur l'inconsolable : le sable, les galets, les goélands désarticulés - peut-être des jambes d'hommes, des seins de femmes, pourquoi pas des mains d'enfants ! Les lames prétentieuses sont réduites aux clapots essoufflés. Défaits les innombrables périmés, gonflés, à l'abandon. Défait l'alphabet de la conscience. Ressac, ressac. Tout redeviendra sans connaissance, au grand air. A la laisse épanouie."

 


2016

JOËL BASTARD
Une cuisine en Bretagne

"De l'herbe a poussé depuis le temps de son enfance. Je murmure
et remurmure cette phrase devant le reflet de la pluie qui ruisselle
sur les murs de la cuisine. De mémoire, le mystère de son visage
apparaît un instant et les chemins piétinés, les herbages déplacés,
les buissons, la rivière. Tous ces mystères aussi que l'on tente de
dévisager en soi. Une source, comme un oeil d'eau claire, cligne
dans un pré.



Pont-Melvez, un chien interdit au bord des labours."


2014

JOËL BASTARD
Les appuis de lumière

Livre peint par Claire Alary

"Les brumes traînent. Grisailles au-dessus des hurlements,
des bras levés des vignes qui ne s'élèvent pas plus haut que
le ventre des hommes. "


2013

JOËL BASTARD
Entre deux livres

"Entre deux livres nous sommes au vent. À l'enterrement de ceux qui n'écouteront plus le dialogue incertain de la pluie et de la rivière. Nous sommes au temps qui demeure un point d'interrogation sur l'aile d un oiseau qui fond au silence de l'horizon."


2013

JOËL BASTARD
La clameur des lucioles

"Je vais sortir. Je dois sortir. Marcher dans les rues, écouter la ville. Voir le pas des maisons. Voir les habitants entrer dans ces maisons et en sortir. Plus que tout, je dois aller voir le fleuve, le chemin qui marche, le Magtogoek des amérindiens, le fleuve aux grandes eaux. Le Saint Laurent. Mais peut-être ne sera-t-il plus là. Peut-être que le fleuve aura disparu au fond de la nuit dans le cerveau d’un  homme qui le rêvait. Peut-être que le fleuve et tous ses transports de pommes douces, de sel et de farine, coule pour toujours dans le crâne d’un inconnu disparu en forêt. Peut-être que le fleuve que nous voyons là est une illusion, le reflet de la pensée d’un homme étendu sous les branches et que le chemin qui marche le protège maintenant de son absence."


JOËL BASTARD
Ce soir Neil Armstrong marchera sur la lune

Encres Patrick Devreux

"Mon nom est Saïd et je vole dans le ciel. Pour le moment je suis encore vivant. Je vole dans les yeux d'un berger. Je traverse l'auréole lumineuse de ses yeux. Au moins, lui, nous aura vus voler juste avant que Neil Armstrong ne marche sur la lune et que le monde se taise devant l'image bleutée d'une télévision. Près de moi Zacharie regarde le paysage en bas. Des bêtes cheminent dans les sentiers étroits. Il regarde la finesse du pont romain, la rivière."

2013


2011

JOËL BASTARD
Bâton rouge

"Des têtes de chat tombent lentement. Traversant en diagonale le triptyque voûté de ma fenêtre. Des têtes de chat et parfois des feuilles presque aussi grandes que celles de mon carnet de poche. Des pages blanches fondantes recouvrent la pelouse. Le magnolia Stellata s'épaissit, ses branches se distinguent dans l'air maintenant une à une. Il n'y a plus rien à écrire. Le blanc gagne la forêt, les grumes, le chemin, le travail d'hier. Les oiseaux, à nouveau absents.

[...]

Voir, voir, voir. Quoi de plus neuf que de voir ! Quoi de plus revigorant, risqué ? Quoi de plus contemporain ? Quoi de plus difficile ? Quoi de plus instructif que de voir ? Quoi de plus cinglant, magique, enrichissant, lyrique, envoûtant, érotique que de voir ? Etre un véritable aveugle sans doute. Et ce n'est pas une pirouette stylistique. Un jeu d'esprit."


Maison de la Poésie de Rennes 2013

Rencontres à la Villa Beauséjour sur Radio univers.fm


"Ce que je vois, doublé d'un lierre."

Lieux communs





Poiesis à Chateaubriant le 30 mai 2010

JOËL BASTARD
Bakofè

"Midi, les ombres terreuses dans les jus noirs se vautrent. Traînées lentes se mouillent. Une brebis malingre le museau dans la jarre vide s'immobilise. Comme cet homme, dos au soleil, à la porte de son carré. La main dans un foulard de fortune, tête penchée à l'intérieur, la nuque s'offrant au couperet de l'obscurité. Dedans, le désir enfariné frémit dans un bouillon d'huile dorée ."

2009


2009

JOËL BASTARD
la compagnie des eaux


"En Ardèche, la rivière de minuit et ces corps comme portés debout dans la matrice. La berge étant d'étoiles et le sol du ciel comme de l'eau. Les paroles glissent mêlées au-dessus pour en dessous le lit, et nos mots sont les leurs. Les falaises anéanties pour un temps laissent passer la voix des baigneurs. Tout est là pour toujours en écho, alors que celui qui parle n'est plus. Au petit jour, à la sortie d'une truite de la cascade tranchante, un homme courbe une femme en avant, la prend dans le chemin, à la vue de tous. "


2009

JOËL BASTARD
All is one

"J'ai dans la bouche l'usure de ton
prénom, comme un galet d'eau dure. "




JOËL BASTARD
Manière

"Jas et soeur Christelle l'écoutaient effarés.

Je veux manger une pâtisserie blanche et crémeuse comme la robe que je porterais. J'aurais jeté la vieille dans la poubelle de la cabine d'essayage. Donnez-moi, chère amie, une pâtisserie comme ma robe. La serveuse s'inclinerait devant moi. Je veux prendre un taxi pour aller nulle part et revenir à la gare pour dire ramenez- moi où vous savez. Je veux dormir à l'hôtel."

2009


Rochefort-sur-Loire-2008


2007

JOËL BASTARD
Casaluna

"Descendant des fougères. Du populage des marais suspendus. Des trolles clinquants et de la paix des douves. Elle file au plus bas des gorges. Des étaux mordorés. Des roches contraignantes. Se calme un instant à la bouche des brebis en un large plateau frémissant. À l'ombre des laines. Quitte le lieu-dit Profonds souvenirs d'ici-bas. Reprend sa course, décomptant les pieds du troupeau de sa boue. Puis se jette dans l'autre qui passe toujours là sans l'attendre. Et disparaît, en ajoutant sa transparence à la sienne."


2005

JOËL BASTARD
Le sentiment du lièvre

"Les pointes souples de l'érable dessinent le vent sans retenir sa forme. Elles nous donnent à voir son corps qui passe longuement. Chargé d'épices, d'aubes musquées. Chargé du sentiment lointain des pelages. "

 


JOËL BASTARD
Au dire des pas

"Les nuits d'été, il y a comme un bruit d'eau à l'intérieur des arbres. Comme un transfert de fraîcheur qui profiterait de l'obscurité pour passer d'un instant à l'autre."

"Le sentiment du lièvre. Ce qui reste après son passage. Ce qui demeure. L'accueil!"

2004


2002

JOËL BASTARD
Se dessine déjà

"Lettre après lettre. Je regarde disparaître le reflet des lumières sur le bombé brillant de l'encre. Restent les mots secs dans l'amaigrissement. Les mots mats et le côté définitif d'une ancienne présence dans la rumeur du blanc. "


2000

JOËL BASTARD
Beule

" Le tronc des arbres est la tranche du livre que nous ne lirons pas. Et nous traversons l'immense bibliothèque avec les yeux perçants qui tentent de graver les écorces. Les essences nous promènent d'une question à une autre. Le bûcheron qui se déshabille le soir dort nu dans la sève. Et j'écris sur ce papier qui n'en contient pas. "