GEORGES HALDAS
La confession d'une graine
L'émergence
"Sous cette férule paternelle, d'un type très particulier, comme sous la contrainte scolaire, jamais je ne pouvais être vraiment moi-même. Ou, plus exactement, je ne pouvais l'être - et cela, je pense, a joué un certain rôle dans la genèse de tout ce qui allait venir — que de manière clandestine. Ce qui, tout naturellement, implique l'angoisse. Et, sous le coup de celle-ci, une ruse continuelle pour déjouer, en toute circonstance, la double tutelle familiale et scolaire. Mais ce n'était pas tout. Ne pouvant jamais me montrer tel que j'étais, mais tel que mon père voulait que je sois, sans cesse je me sentais non seulement en porte-à-faux, mais coupable de n'être pas naturellement conforme à l'idée qu'il se faisait de ce que je devais être. Et que j'aurais mortellement déçu, j'en étais certain, si je m'étais révélé dans ma nature véritable. La petite mère, elle, devinait peut-être ce qu'il en était pour moi. Mais par attachement à mon père, pour ne pas le contrarier non plus, ni ajouter à son tourment, elle participait dans une certaine mesure — ou du moins faisait semblant — à ce projet de faire de moi un écolier hors ligne ; et par la suite, et sans trop savoir exactement ce que cela représentait, « quelqu'un ». Non par rapport, hélas, à une valeur réelle, mais bien, et là était le drame, à un personnage ayant acquis, selon une des expressions les plus sottes que je connaisse, et dont mon propre père se gaussait quand il l'entendait dans la bouche des autres, « une certaine surface sociale ». Or, être le premier de la classe, n'était-ce pas déjà avoir cette surface ? Déjà être, par conséquent, en état d'imposture ? De mensonge. Et tout cela, cette lamentable équivoque, chez des êtres aussi braves et honnêtes que mon père et ma mère, pour mon bien. Quelles hontes, quels méfaits, quels désastres on ne prépare pas pour le bien des hommes. Que de crimes, en religion comme en politique, n'a-t-on pas commis au nom du bien toujours. Jamais du mal. La couverture de la tyrannie, c'est le bien. C'est de lui, en définitive, dont on a tout à craindre."