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GABRIELA CABEZÓN CÁMARA
Les aventures de China Iron

Traduction de l'espagnol (Argentine) par Guillaume Contré

"C’était l’éclat. Le chiot sautillait, lumineux, parmi les pattes poussiéreuses et usées des rares habitants qui traînaient encore là-bas : la misère encourage la fissure, l’élagage ; elle égratigne lentement, à l’air libre, la peau de ceux qu’elle a fait naître ; elle en fait du cuir sec, la craquelle, impose une morphologie à ses créatures. Ce n’était pas encore le cas du chiot, il irradiait la joie d’être en vie, d’une lumière n’ayant pas encore souffert la triste opacité d’une pauvreté qui, j’en suis convaincue, était davantage un manque d’idées que de quoi que ce soit d’autre. "

JAUME CABRE
Confiteor

"Ce n'est qu'hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j'ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j'ai vu clairement que j'avais toujours été seul, que je n'avais jamais pu compter sur mes parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions, même si, au fur et à mesure que je grandissais, j'avais pris l'habitude de faire assumer par des croyances imprécises et des lectures très variées le poids de ma pensée et la responsabilité de mes actes. Hier, mardi soir, en revenant de chez Dalmau, tout en recevant l'averse, je suis arrivé à la conclusion que cette charge m'incombe à moi seul. Et que mes succès et mes erreurs sont de ma responsabilité, de ma seule responsabilité. Il m'a fallu soixante ans pour voir ça."

GUILLERMO CABRERA INFANTE
La Havane pour un infante défunt

"C'est la première fois que je montais un escalier. Au village il n'y avait pas beaucoup de maisons de plus d'un étage, et elles me demeuraient inaccessibles."

LAURENT CACHARD
Paco
fantasia flamenca

"J'aurais pensé que ça ferait plus mal, que j'aurais plus de temps pour la voir venir. C'est le côté idiot de la scène que j'ai pris en pleine face car il y a pire endroit que Cancun pour mourir — sable blanc, mer turquoise, soleil de plomb — et des conditions plus brutales, même si Diego mettra du temps à s'en remettre : on ne voit pas son père tomber devant soi sans souffrir beaucoup. Surtout si on l'a forcé à venir jouer au foot. Je n'ai jamais su résister à l'appel du ballon, je n'allais pas commencer aujourd'hui ! C'est le destin, ou autre chose, je ne sais pas, mais c'était fatal : la tournée avait été longue, et puis on oublie qu'à 66 ans, on n'est pas de la première jeunesse. J'ai compris que lutter ne servirait à rien, qu'elle me prendrait comme j'avais voulu qu'elle me prenne, plus tôt qu'espéré, seulement. Je n'ai pas le temps de mourir., disais-je aux musiciens, quand ils s'inquiétaient de me voir continuer sur ce rythme, et aligner les concerts comme quand j'avais vingt ans, avec la même fébrilité que lorsque les premières notes percent dans une salle bondée, pendant les balances, quand on joue à vide, que le son se diffuse partout, et que seuls les débutants paniquent."

 

 

OLIVIER CADIOT

OLIVIER CADIOT
Retour définitif et durable de l'être aimé

"Il faut que je file.

Changer de coin, disparaître, personne ne le saura, ça ne va pas faire d'histoire, ça n'intéresse personne, un autre livre explique que : nombre d'événements réputés historiques n'ont jamais été les souvenirs de personne, je comprends sans comprendre mais il y a quelque chose de juste là-dessous, même s'il se passe quelque chose d'important, y être ne change rien, il faut rester en dehors de la bataille pour comprendre, si on est trop dedans, on pense que c'est juste une bagarre.

Si on est un héros."


"Quand on y sera, on inventera des chansons spéciales, prières maison, on se construira un endroit pratique pour les chanter, sans être dérangé, dans un vrai cadre végétal.

Une vraie vie antidote.

Ajouter ici la polyrythmie d'un cœur de lapin qui bat la chamade, vif-argent sous la fourrure verte, fixe, calme, sculpté dans le noir, regardant droit vers la droite, droite, pattes repliées, tempo doux, note à 60, on sera bien, on aurait calculé la bonne proportion entre les choses extérieures qui vous frappent et la connaissance précieuse des rapports que les choses entretiennent à l'intérieur d'elles-mêmes et leurs rapports avec d'autres choses qui entretiennent à l'intérieur d'elles aussi un autre rapport.

Ça tourne.

Lapin fluo, à mes pieds, mon cobaye persistant, comme deux têtes de lion séparées sur des chenets de cuivre."


OLIVIER CADIOT
Un mage en été

On se souvient pour l'éternité de certaines personnes à cause d'un infime conseil. À chaque fois que je me fais un café, s'il est soluble, je pense à mon frère qui disait chaque matin d'un ton grave de ne verser qu'une seule cuillère, même si la tasse était grande. S'il est filtre, je pense immanquablement à celle qui insistait sur le truc de ne remplir la casserole d'eau à bouillir qu'en plusieurs fois, à petits coups, pendant que le café passe, pour gagner du temps. On pense toujours à son grand-père en disposant les bûches en forme de petite maison pour réussir un feu de cheminée. Ça peut être un usage de table déguisant une superstition et devenu mondain, comme celui de retourner la coquille vide de l'œuf à la coque avant de la briser d'un coup sec et désinvolte, Parole du Père. Éviter un danger : ne jamais toucher un interrupteur électrique les mains mouillées. On pourrait classer ces conseils en catégories en opposant par exemple ceux qui sont là pour éviter une mort certaine à ceux qui vous facilitent la vie, etc. Mais l'essentiel, c'est qu'ils vous font penser automatiquement à quelqu'un, chaque tasse de café soluble m'oblige à saluer un frère, comme ces croix sur le talus des routes à la mémoire de X Renversé Ici, que l'on salue chaque jour dans le même tournant près de chez soi.


OLIVIER CADIOT
Futur, ancien, fugitif

Comment représenter la ligne claire de l'eau et la ligne des herbes ? Comment représenter la ligne claire de l'eau et la ligne des herbes ondulantes aspirées filaments articulés ? Comment représenter la ligne claire de l'eau et la ligne des herbes ondulantes aspirées filaments articulés ?

Comment représenter la ligne des herbes dans le courant rapide glacé rapide courant ? Comment représenter la ligne claire de l'eau et la ligne des herbes ondulantes aspirées filaments articulés dans le courant rapide glacé rapide courant avec le reflet du ciel bleu pur imprimé avec le chant strident des oiseaux en vol le vert profond des haies circulant haut en spirale ff-fff ?


OLIVIER CADIOT
Le colonel des zouaves

"Et si je construisais une maquette de la rivière. L'eau en coupe. Les arbres tombés en miniature. Ombre des feuilles sur papier métal. Le chant des oiseaux reproduits par des haut-parleurs habilement dissimulés dans les parois du ciel.

"Je suis domestique. Souple, flexible, adaptable aux désirs du client. Nursering maximal et contrôle de tout. C'est ça l'Art Ménager aujourd'hui. Du travail pur. Et puis un jour, ils vous désactivent sans prévenir. Vous y restez ad vitam sans savoir que c'est fini. Ronde de nuit inutile. Plans à jeter. Matériel en trop. Exil volontaire. Célibat forcé. Robinson pour toujours. Très grande forme physique pour rien."

JEAN-CLAUDE CAËR
Sépulture du souffle

Je fais face au vent des pensées amères qui me tourmentent

 

ANNE CALAS
honneur aux serrures

« Trous d’air, truffes blanches, noires = à dater de ce
 jour, je soussignée m’engage fidèlement à ne plus
 trembler. Feuillage tout le long du vivant courant à
la rivière et encore du courage et rester assise. Plus
 que quelques millions d’années à venir coudre, à
 flétrir, à cravacher famille ci-devant homo-Sapiens,
 le père la mère, la fille le fils la fille la fille la fille.
Coup de bruine douche tiède, fanal dans le port,
aiguilles électriques mucus jaune et gluant des
routes sillonnant le ciel. J’apporte enfin une chaise
pour m’asseoir »


« Et puis cuts cuts-outs découpés colzas jaunes, incroyablement jaunes. Et j'ose traverser les pages my Rosie Rose. Emue, nerfs nus, lumière sans faille, colza du train. Plein de l'oeil et le corps encore inondé des nappes de colza du train de l'œil, plein les champs tout au long le cœur les nappes du train, plein de l'œil inondé, un jet de sperme découpé bleu. »

 

HENRI CALET

HENRI CALET
Les deux bouts

"Depuis longtemps, les foules m'attirent, tout de même que le vide, ou l'océan. J'éprouve parfois l'envie de me jeter dedans, de m'y noyer, de m'y perdre.
Elles m'attirent et elles me font peur en même temps, cela n'est pas contradictoire.
Je songe plus particulièrement aux foules de Paris, parce que je les vois souvent.
Foules du matin, de midi et du soir. Grands rassemblements quotidiens de personnes des deux sexes, de tous âges, qui s'assemblent, qui se ressemblent, comme dans le proverbe, qui se bousculent, qui se pressent les unes contre les autres, qui se coudoient, qui se réchauffent sans se connaître. Hommes et femmes se rendant à leur bureau, à leur atelier, ou qui en reviennent. Cela flue et reflue, à heures fixes, telle une marée entraînant avec elle des milliers de petits poissons. Et je voyais surtout le grand escalier de la gare Saint-Lazare, le matin, lorsqu'il est pareil à une cascade, faite d'êtres humains, qui coule de là dans la ville, au risque de la faire déborder."

 


HENRI CALET
Le tout sur le tout

Chez la charcutière, j'arrivai à temps pour entendre une dame déclarer :
« Noire ou blanche, c'est quand même un être humain. »
Je compris qu'il s'agissait d'une femme de couleur. Nous ne sommes pas racistes.
« Donnez-moi un peu de votre museau de bœuf, ajouta la dame. Il est esseki. »
J'achetai moi aussi du museau de bœuf (cent grammes). Mais je ne sus pas comment la Négresse s'était tuée, ni non plus pour­quoi.
C'est ainsi que le quartier se dépeuple. La dame avait entièrement raison : ce museau de bœuf est esseki.


HENRI CALET
peau d'ours

C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.

Je suis déjà un peu parti, absent.
Faites comme si je n’étais pas là.
Ma voix ne porte plus très loin.

Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie.

Il faut se quitter déjà?

Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.


HENRI CALET
les grandes largeurs

"Je me rappelle que j'ai joué autour de ces tas de sable; il y a si longtemps; j'étais si petit que je me distingue à peine."

"Ma mère m’a répété que c’est sur cette place de l’Etoile que j’ai eu ma première grande colère d’enfant. C’était plutôt une révolte violente et profonde.
Voici ce qui s’est passé là : j' étais en train de confectionner avec soin un de ces petits pâtés de sable.C’est difficile. Il y faut de l’application, de la délicatesse, de l’ambition. J ’avais encore tout cela. On tapote sur les bords et sur le fond, puis on soulève le seau doucement, sans trembler. Et alors, le pâté apparaît, monolithique. Avant d’y parvenir on a connu bien des échecs. Il me semble que j' éprouve, à présent le même émoi délicieux qu’alors. J ’entends comme un crissement... Plus jamais je ne saurai faire d’aussi beaux pâtés ni rien qui me donne un tel contentement.
Donc, j'en étais à ce point où l'on doit apporter une pleine attention à la manoeuvre en cours, lorsqu'un garçon, un peu plus âgé que moi, mieux habillé aussi, s'est approché (sournoisement si l'on veut) de mon pâté. Puis sans rien me dire, il l'a détruit d'un coup de pied...A qurante ans de distance, je vois la scène."

ARNO CALLEJA
tu ouvres les yeux tu vois le titre

"Maintenant page 37 c'est le chapitre trois. C'est une famille: le père est professeur, la mère est morte. L'enfant est surdoué. Les autres enfants le mettent à l'écart, à l'école.
L'enfant est surdoué par les chiffres et par les langues. Les langues il en parle neuf, quand on lui demande. Il multiplie tout avec n'importe quoi, de tête, et divise tout avec tout nombre divisible, sur demande. Jamais il n'est hautain. Il est surdoué dans son rectangle. Il passe le temps dans sa chambre. Il ne sort qu'au matin pour l'école, où les autres enfants le mettent à l'écart.
A la maison, l'enfant monte des maquettes: des avions, des bateaux. Il est patient avec ses mains. Il pratique la solitude avec minutie. Il sort la langue de la bouche et il est concentré sur la maquette."

ITALO CALVINO
Les villes invisibles

"En partant de là et en allant trois jours vers le levant, l'homme se trouve à Diomira, une ville avec soixante coupoles d'argent, des statues en bronze de tous les dieux, des rues pavées d'étain, un théâtre en cristal, un coq en or qui chante chaque matin sur une tour. Toutes ces beautés, le voyageur les connaît déjà pour les avoir vues aussi dans d'autres villes. Mais le propre de celle-ci est que si l'on y arrive un soir de septembre, quand les jours raccourcissent et que les lampes multicolores s'allument toutes ensemble aux portes des friteries, et que d'une terrasse une voix de femme crie : hou !, on en vient à envier ceux qui à l'heure présente pensent qu'ils ont déjà vécu une soirée pareille et qu'ils ont été cette fois-là heureux."

ARNO CAMENISCH
Ustrinkata

"Comment ça de l’eau, dit la Tante à la grande table des habitués dans l’Helvezia, elle fixe l’Alexi, mais t’es marteau. Elle secoue la tête et glisse une Mary Long entre ses lèvres, ça j’irai pas te chercher de l’eau, vas-y toi-même si vraiment t’y tiens, tu sais où sont les verres hein, elle prend une allumette dans la boîte sur la table et elle allume sa Mary Long. L’Alexi veut se lever, le Luis lui saisit le bras, toi tu restes assis, ici personne boit de l’eau, on est pas tombé si bas, t’en veux une sur la tronche ou quoi, peut-être bien que ça veut te remettre les idées en place."


ARNO CAMENISCH
Derrière la gare

"On monte au premier étage. Le Gion Bi est debout sur le seuil. Il porte le manteau de fourrure de sa mère morte. Sur la table du salon, le Gion Bi a un sacancuir à rabat. Il appartenait aussi à sa mère. Quand il vient à l’Helvezia, il a son manteau de fourrure et son sacancuir à rabat avec lui. Dedans il met ses poesias, qu’il sort en s’asseyant avec les habitués. Dans sa poche, il prend ses lunettes décaïe, les pose sur son nez et lit sa poesia à haute voix jusqu’à ce que la table soit vide et que la Tata dise bon basta. Entrez là, dit le Gion Bi en montrant la cuisine. On s’assoit sur le banc. Le Gion Bi a la même maschinacaffè que la Nona. Il prend trois petits verres et une bouteille. De la liqueur d’œufs, il dit, ça veut pas vous tuer, vualà, faut boire cul sec."

VALERIE CANAT DE CHISY
même si

Même si
Peu
Au fil de l'eau
Il reste des lettres
A tracer à lire
Même si
S'écoule le sable
Dans le temps
Requin
Filtre la peau.

Ed. pré # carré

ELIAS CANETTI
Les Voix de Marrakech

"J'ai découvert la séduction de cette existence qui réduit tout à la forme la plus simple de répétition. Y avait-il beaucoup ou peu de diversité dans l'activité des artisans que je voyais travailler dans leurs petites échoppes? Dans le marchandage des commerçants? Dans les pas des danseurs? Dans les innombrables verres de thé à la menthe que boivent ici tous les invités? Quelle diversité y a-t-il dans l'argent? Et combien dans la faim?"


KAREL CAPEK
La guerre des salamandres

"Si vous cherchez la petite île de Tana Masa sur la carte, vous la trouverez en plein sur l'équateur, un peu à louest de Sumatra ; mais si vous montez sur le pont du Kandong Bandoeng pour demander au capitaine J. Van Toch ce que c'est que cette Tana Masa devant laquelle il vient de jeter l'ancre, il lâchera une bordée de jurons, puis il vous dira que c'est le plus sale coin de l'archipel de la Sonde, encore plus minable que Taba Bala et tout aussi perdu que Pini ou Banjak; qu'il n'y vit, sauf votre respect, qu'un seul homme — sans compter, bien sûr, ces pouilleux de Bataks - et que c'est un agent commercial, un soûlard, un bâtard de Cubain et de Portugais, plus voleur, mécréant et cochon que tous les Cubains et tous les Blancs pris ensemble ; et que s'il y a au monde quelque chose de foutu, c'est bien cette foutue vie sur cette foutue Tana Masa, c'est moi qui vous le dis, Monsieur ! "


KAREL CAPEK
La fabrique d'absolu

"Le 1er janvier 1943, G.-H. Bondy, Président du Conseil d'Administration des Entreprises MEAS, était en train de lire les journaux comme n'importe quel autre jour; il sauta quelque peu irrespectueusement les derniers communiqués des divers champs de bataille, esquiva la crise ministérielle, et plongea résolument dans la page économique du Lidové noviny. Il y tira quelques brasses, de-ci, de-là, puis se laissa porter et balancer par les vagues d'une amère rêverie."

FABRICE CAPIZZANO
Le Ventre de la péniche

"—Rappelle-lui bien s’il te plaît que l’obéissance n’est pas une fatalité, c’est un choix, comme la lâcheté, personne n’est fait pour rentrer dans les cases, personne, on n’est pas nés pour être carrés, on est là pour casser les angles et faire des ronds dans l’eau.

— Oui Gladys, mais, je t’en prie ma belle, respire lentement. "

 

CAROLE CARCILLO MESROBIAN
Foulées désultoires

"Ciel fuit
Précocement balancé et démantibulé
Rayonnement suspendu
Errant sans clos ni porte échelonne le pas reclus
la distance
Escorté par hier où tout poussait racines en terre
Vacille maille à maille
Tari."

"Trop perçu de milliers d'angles morts."

"Impétueux silence
Duvet dans les plissures de tous qui endormis
Ne sont comme à la veille qu'un souffle entreposé dans
le rien du dedans."

"...Dans le silence figé de lunes écaillées qui portent vie
sans ombre."


"Il n'y a rien d'autre que le chant des sirènes fini. C'est peut-être pour cela écrire, pour tenter de capturer la vacuité du sens, terreau fertile s'il en est, pour visser le silence sur la page, capter l'inaudible. Gageure. Tâche commutative. Et surtout tout échappe, nous le savons malgré la lutte. Les mots aussi qui vivent, se moquent des assemblages fous pour finir par trahir. C'est aussi pour cela écrire. Mutismes à intervalles quand on atteint les cimes."

JACQUES CARION
JULIEN GRACQ et la poétique du paysage

"Et l'on ne peut s'empêcher de penser qu'en suivant ces diverses voies interprétatives qui traversent l'épaisseur du texte et cernent les thèmes de l'eau ou de la forêt, de l'attente ou de l'initiation, on a trop souvent oublié de rester à la surface du texte. Là où la lecture, emportée par ce que l'auteur appelle la coulée unie et sans rupture des phrases, est amenée à saisir les traces de l'imagination verbale de Julien Gracq."

ALEJO CARPENTIER
Le Siècle des Lumières

traduction de l'espagnol (Cuba) de René-L.-F. Durand

Derrière restait une adolescence dont les paysages familiers m'étaient aussi lointains, au bout de trois ans, que l'être dolent et prostré que j'avais été avant que Quelqu'un ne nous arrivât, un certain soir, enveloppé dans un tonnerre de coups de heurtoir ; aussi lointains que l'était pour moi, maintenant, le témoin, le guide, l'éclaireur d'autrefois, antérieur au sombre mandataire qui, penché au-dessus du bastingage, méditait près du noir rectangle enfermé dans sa housse d'inquisition, oscillant comme l'aiguille d'une balance au rythme de chaque vague. L'eau s'éclairait parfois, d'un éclat d'écaillés, ou au passage de quelque errante couronne de sargasses.

 

1962


1953

ALEJO CARPENTIER
Le partage des eaux

traduction de l'espagnol (Cuba) de René-L.-F. Durand

De l'asphalte des rues s'élevait une chaleur bleutée d'essence, traversée par des relents chimiques, qui stagnait dans des cours sentant le détritus, où un chien haletant s'étirait comme un lapin écorché, pour trouver des filons de fraîcheur dans la tiédeur du pavé.


ALEJO CARPENTIER
Chasse à l'homme
traduction de l'espagnol (Cuba) de René-L.-F. Durand

« Sinfonia Eroica, composta per festeggïare il souvvenire di un grand'Uomo, e dedicata a Sua Alteza Serenissima il Principe di Lobkowitz, da Luigi Van Beethoveny op. 53, N° 111 delle Sinfonie... » Et ce fut le claquement de porte qui le fit sursauter, brisant l'orgueil puéril qu'il éprouvait à comprendre ce texte. Les franges du rideau balayèrent sa tête, puis revinrent à leur place en tournant plusieurs pages du livre. Tiré de sa lecture, il associa des idées de surdité, — le Sourd, les inutiles cornets acoustiques... — à la sensation qu'il avait de percevoir à nouveau le vacarme qui l'entourait.

1956

 

GERARD CARTIER

GERARD CARTIER
L'ultime Thulé

"Ils vont sans se lasser         silencieux         le corps dépouillé des instincts animaux

longues collines étagées         3 infinis perdus dans l’azuline         leçons de perspective pratique

forêts natives         rivières dans un souffle

on ne saurait peindre         le paradis

épis vineux         prés d'angéliques         rien de semblable ici         ni l’or broyé au miel         ni le sang séché

un faisan parfois         ou une perdrix         à peine échappés au pinceau qui les fit

large au-dessous le fleuve         la moitié du ciel

TERRE PEINTE         que les siècles survolent sans la flétrir

des mots sans force         pour l’égaler         des couleurs indigentes "


 

GERARD CARTIER
Le Voyage de Bougainville


"Les passions ont fui      mais rien
Qui ne m’ébranle en secret faveur de l’âge
Partout ma vie pétrifiée      dans la craie une hélice
Et le gouffre des années m’aspire
Chantier de Sangatte l’eau saumâtre qui suinte
Et l’odeur du gazole      royaume érébéen
Que l’abbé Delille a oublié de célébrer
Roches et machines dont une main adroite
Aurait composé d’impeccables vers français
La craie du Boulonnais et l’argile du Gault
Le tunnelier halète pompes et pistons les pics
Déchirent le Crétacé la mer s’infiltre
Moiteur suffocante      et tandis qu’à Sarajevo
La lourde roue de l’Histoire broyait les utopies
Je jubilais casqué deux cents pieds sous la mer
Parmi les ingénieurs de Bonaparte un fossile
Sous la loupe      l’âge depuis m’a jeté dans les arbres
Gui chevelu passereaux aux jumelles      mais rien
Qui ne reste mien      autant que les grives
L’Histoire      et la tresse de l’ammonite "


GERARD CARTIER
Méridien de Greenwich

"Ce qui est peut parfois nous combler
Mais plus précieux ce qui manque Seul à ma page
Face au carreau nu que frappe le vent d’est
Comme une femme à son miroir La main suspendue
Et l’oreille fermée je te cherche Jamais
Rien de l’autre
... L’absence est un bien
Que rien n’égale Rien n’est comme la distance
Délectable Tracer d’une encre malhabile
Les formes de la beauté L’épaule le front bombé
Et les lèvres mobiles Rien comme le silence
N’est fertile Je retrouve un instant
Ce que tous ont su autrefois Frissonnant
Dans cette chambre dressée sur l’eau noire
Retenant le mot qui dira d’un seul souffle
Le don et la privation..."


GERARD CARTIER
Le Désert et le Monde

Les jours ne pèsent pas sur leur rocher les partisans
Passent silencieux août 43 est-ce
Notre temps dans l’effusion des arbres vingt fois
L’enclos traversé sur les tombes humides les fleurs
Renouvelées que parfois visite un souffle
Merles et pies pendus aux branches pour qui chantent
Les oiseaux ? les fruits mûrissants sous les feuilles
Et le vaste horizon qui bleuit où est
Notre guerre ? durer et face au ciel
S’amollir dans la pénitence… vingt fois la nuit
Dressée dans sa cuirasse comme le marbre
De Septime Sévère tout fait silence
Les blessés paisibles dans leurs langes les amants
Accordés un furtif pavillon de buis
Étroite union…

 


GERARD CARTIER
Introduction au désert

"Et j’ânonne à mon tour l’implacable leçon
jamais           ne changera           nunquam...

ne poursuivant déjà que l’herbe et le vent
étages mobiles qui recouvrent la trace
des supplices           et disent           la douleur est moins
que l’esprit du vent           moins les plaintes
et les noms répandus           que les tiges oscillantes

comme sont loin ces lieux amers           retirés
sous la houle des herbes           où seul parfois
si le pied bute           le cœur se trouble et devine "

RAYMOND CARVER
Les trois roses jaunes

"Il a repris le contrôle en soulevant des gerbes de cailloux sous ses pneus dans l'allée. Puis il s'est dirigé vers la route, en m'adressant un petit coup de klaxon. Pouet-pouet. Les historiens devraient user plus souvent de ce genre d'onomatopées Pouet-pouet. Tut-tut. Bip-bip. Surtout dans des moments graves: juste après un massacre, ou quand un terrible fléau menace d'anéantir une nation entière. C'est à de pareils moments qu'un mot comme pouet-pouet
serait utile, et même salutaire."


 

RAYMOND CARVER
Les vitamines du bonheur

"La femme s'appelait Miss Dent, et plus tôt dans la soirée, elle avait braqué un revolver sur un homme. Elle l'avait fait mettre à plat ventre dans la boue pour la supplier de lui laisser la vie. Pendant que l'homme, les yeux, pleins de larmes, tripotait des feuilles par terre, elle le tenait sous la menace et lui disait ses quatre vérités. Elle essayait de lui faire comprendre qu'il ne pouvait pas continuer à piétiner les sentiments des gens. «Pas un geste!» dit-elle. Pourtant, il ne faisait qu'enfoncer un peu ses doigts dans la terre, en remuant vaguement les jambes, de peur. Quand elle eut fini de parler, qu'elle eut dit tout ce qu'elle avait pu trouver à lui dire, elle lui posa le pied sur la nuque et lui enfonça le visage dans la boue. Puis elle remit le revolver dans son sac et retourna à pied à la gare."


RAYMOND CARVER
Tais-toi, je t'en prie

"Quand Ralph Wyman quitta la maison familiale pour la première fois, à l'âge de dix-huit ans, son père, principal de l'école élémentaire Thomas-Jefferson et trompettiste dans l'orchestre du club des Elks de Weaverville, l'avertit que la vie était une affaire des plus sérieuses, une entreprise notoirement ardue, et néanmoins gratifiante, dans laquelle un jeune homme qui s'essaye à voler de ses propres ailes doit s'armer d'un grand courage et d'une vision claire de sa destinée telle était la conviction du père de Ralph Wyman, et c'est en ces termes qu'il l'exprima."

 

ADOLFO BIOY CASARES
Dormir au soleil

C'est la troisième fois que je vous écris. Craignant qu'on ne me laisse pas terminer cette lettre, j'en ai mis une première, très courte, dans une cachette. Demain, si je veux, je puis la reprendre. Elle est si brève et je l'ai écrite tellement à la hâte que moi-même j'ai peine à la comprendre.

ALEJANDRA CASTAMAGNA
Animaux domestiques

"La fille aînée pense que la mère ne va pas atteindre les soixante-dix ans parce que le jour de son anniversaire, très exactement, c'est demain. Et que ce soir elles ont juste trinqué aux 69 ans, comme c'est triste.

La fille cadette ne pense pas quand elle écrit mamanalhopital sans accents ni exclamations ni espaces, sans respiration, tout attaché, et qu'elle appuie sur send comme si elle appuyait sur le bouton de la bombe atomique.

L'homme pense qu'il s'est noyé dans le fossé.

La mère aurait pensé que le hululement de la sirène toujours plus proche était aussi le vol de ses perceptions atrophiées.

La cadette et l'aînée pensent qu'elles ont été surprises en flagrant délit par le hululement frénétique des rumeurs triangulées, et qu'elles donneraient n'importe quoi pour que l'hiverr suspende leur pouls, leur appétit, leur sang commun : ce courant soudain qui à présent les secoue."

CARLOS CASTANEDA
Voir
Les enseignements d'un sorcier yaqui

"Un homme de connaissance choisit un chemin-qui-a-du-coeur et le suit. Alors il regarde, se réjouit, et rit. Puis il voit et sait. Il sait que sa vie se terminera bien trop tôt. Il sait qu'il ne va nulle part, comme tous les autres. Il sait, parcequ'il voit, que rien n'est plus important qu'autre chose. Autrement dit, l'homme de connaissance n'a ni honneur, ni dignité, ni famille, ni nom, ni patrie, mais seulement une vie à vivre, et dans de telles circonstances son seul lien avec ses semblables est sa folie contrôlée."

 

HORACIO CASTELLANOS MOYA

La page Castellanos Moya sur Lieux-dits

MICHEL DEL CASTILLO
L'expulsion

"Après deux mois de température exceptionnellement clémente, l’hiver fondit sur Madrid dans la nuit du 16 au 17 mars 1609, attisé par le vent de la sierra qui souffla, glacial. La neige commença de tomber en début de soirée. Le matin, d’énormes congères s’étaient formées que des ouvriers en guenilles dégageaient dans les rues principales, laissant les quartiers populaires se débrouiller, chacun s’ingéniant à libérer un chemin par où passaient des silhouettes noires marchant d’un pas rapide. Tout juste leur regard se levait-il en entendant le bruit des charrettes et voyait-on les femmes se signer quand les hommes prenaient un cadavre et le balançaient dans leur véhicule."

"Il se rendait à la convocation du Conseil royal dont il était membre et qui avait pour but de procéder au vote, après délibération, de l’expulsion des morisques, cinq cent mille environ, principalement répartis entre le Levant et l’Aragon. Le duc de Lerma étant favorable à la mesure, le roi l’était aussi, le cardinal pensait donc que la cérémonie serait courte. Il n’y avait que peu de membres du Conseil à être hostiles au décret, parmi eux les Grands qui possédaient les domaines exploités par les morisques. Ceux-là défendaient leurs serfs, autant dire leur richesse, mais l’Église approuvait le texte et le cardinal avait publié deux mandements réclamant l’expulsion des apostats, car c’était le crime dont ces survivants des guerres étaient reconnus coupables. "


"1609-1610  : Philippe III d’Espagne et le duc de Lerma décident d'expulser les morisques de la Péninsule ibérique. Ces cinq cent mille hommes et femmes, nés en Andalousie, sont les descendants des populations musulmanes converties au christianisme plus d’un siècle auparavant, et, pour la plupart, travaillent sur les terres des Grands d’Espagne comme cultivateurs, jardiniers, artisans. 
Embarqués de force dans des navires loués aux Vénitiens, aux Génois et aux Français, les morisques sont envoyés malgré eux en Afrique du Nord, soupçonnés  d’apostasie et de trahison. 
Cette trame historique est la toile de fond du nouveau roman de Michel del Castillo, où se côtoient les figures emblématiques de cet épisode tragique de l’histoire d’Espagne : celles du roi et de son favori, des représentants de l’armée, des Grands, de l’Eglise, mais aussi celles, plus juvéniles et plus humbles, de leurs victimes ou de leurs ennemis."


MICHEL DEL CASTILLO
Goya : L'énergie du néant

"Arrivant de Fuendetodos, quel put être le sentiment du petit Francisco ? Comme tous les gosses de son âge, il ne restait guère dans le sombre logis d’où l’on apercevait avec peine un minuscule carré de ciel bleu. Toute la journée, il la passait dans la rue à jouer, à se battre, à courir. Il appartenait à un monde où les espaces de liberté étaient préservés, où les contraintes de la civilisation mécanique ne pesaient pas sur les enfants, où le « principe de précaution » était inconnu. Des troupes de mioches sauvages couraient en tous sens, se pourchassant en criant. Les maisons s’avançaient, chacune ayant l’air de vouloir prendre l’avantage sur la voisine. D’une fenêtre à l’autre, les gens s’interpellaient, s’injuriaient, plaisantaient. Des chants fusaient : une de ces jotas qui, avec le flamenco, expriment le mieux l’âme de l’Espagne, coplas de vaillance et de défi ironique. Un univers chaotique, désordonné, grouillant d’une vie intense, avec le linge séchant aux fenêtres, l’odeur de l’huile recuite, la rumeur des artisans travaillant dans leurs échoppes, les sonneries du petit couvent des Agonisants.
Au premier étage de la maison rebâtie, les parents et leurs cinq enfants se serraient ; la cadette, Jacinthe, mourra à l’âge de sept ans, premier de ces petits cadavres qui jalonneront la vie de Francisco. L’atelier, la remise à outils, une petite pièce pour recevoir les clients occupaient le rez-de-chaussée."


 "Et quand, le soir, le petit Francisco prêtait l’oreille aux disputes entre artistes, il prenait conscience que les figures disposées sur une toile, avec leur architecture secrète, leur géométrie savante, leurs ombres et leurs lumières, leurs couleurs éclatantes ou sourdes, produisaient une musique silencieuse. "

"Parallèlement à cet approfondissement, la couleur se condense. Elle cesse de flatter pour révéler, atteignant un raffinement inouï. Trois, quatre couleurs au plus. Des gris d’une sensualité troublante, rehaussés de reflets bleus évanescents, des noirs d’une profondeur dramatique, des accords d’une couleur havane dont l’élégance stupéfie, des mauves chatoyants aux reflets cuivrés. Une palette étroite, choisie chaque fois pour accompagner un regard, un pincement des lèvres, un mouvement de la main."

 "Mon œil ne perçoit jamais ni linéaments ni détails. Je ne compte pas les poils de la barbe de l’homme qui passe, et les boutonnières de son vêtement n’arrêtent pas davantage mon regard. Mon pinceau ne doit pas voir mieux que moi. "

" Si Bosch introduisait les hommes dans son univers infernal, écrit Malraux, Goya introduit l’infernal dans l’univers humain. "

Cavana

CAMILO JOSE CELA
La famille de Pascal Duarte

"Moi, monsieur, je ne suis pas méchant et pourtant j'aurais mes raisohs pour cela. Nous, mortels, nous avons tous en naissant la même peau, mais, à mesure que nous grandissons, le destin se plaît à nous diversifier, comme si nous étions de cire, et à nous mener par des sentiers multiples vers une seule fin : la mort. Il y a des hommes qui doivent prendre le chemin des fleurs, pendant que d'autres sont poussés à travers chardons et nopals. Les uns possèdent un regard tranquille et, au parfum de leur bonheur, ils sourient d'un visage innocent ; les autres, accablés du soleil violent de la plaine, se hérissent comme la vermine pour se défendre. D'un côté, pour embellir son corps, le fard et les parfums ; de l'autre, les tatouages que nul ensuite n'est capable d'effacer..."

 

LOUIS-FERDINAND CÉLINE
Guerre

 " J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête. "

 " De mon oreille on ne parlait jamais, c’était comme l’atrocité allemande, des choses pas acceptables, pas solubles, douteuses, pas convenables en somme, qui mettaient en peine la conception de remédiabilité de toutes choses de ce monde. J’étais trop malade, j’étais pas assez instruit surtout à l’époque pour déterminer dessus de ma tête très bourdonneuse l’ignominie dans leur comportement à mes vieux et à tous les espoirs, mais je sentais ça sur moi à chaque geste, chaque fois que je vais mal, comme une pieuvre bien gluante et lourde comme la merde, leur énorme optimiste, niaise, pourrie connerie, qu’ils rafistolaient envers et contre toutes les évidences à travers les hontes et les supplices intenses, extrêmes, saignants, hurlants sous les fenêtres mêmes de la pièce où nous bouffions, dans   mon drame à moi dont ils n’acceptaient même pas toutes les déchéances puisque les reconnaître c’était désespérer un peu du monde et de la vie et qu’ils ne voulaient désespérer de rien envers et contre tout, même de la guerre qui passait sous les fenêtres de M. Harnache à pleins bataillons et qu’on entendait ronfler encore à coups d’obus et plein d’échos dans toutes les vitres de la maison. Sur mon bras on ne tarissait pas d’éloges. Ça c’était une blessure plaisante sur laquelle l’optimisme pouvait se déchaîner. "


" C’est drôle y a des êtres comme ça ils sont chargés, ils arrivent de l’infini, viennent apporter devant vous leur grand barda de sentiments comme au marché. Ils se méfient pas, ils déballent n’importe comment leur marchandise. Ils savent pas comment présenter bien les choses. On a pas le temps de fouiller dans leurs affaires forcément, on passe, on se retourne pas, on est pressé soi-même. Ça doit leur faire du chagrin. Ils remballent peut-être ? Ils gaspillent ? Je ne sais pas. Qu’est-ce qu’ils deviennent ? On n’en sait rien du tout. Ils repartent peut-être jusqu’à ce qu’il leur en reste plus ? Et alors où qu’ils vont ? C’est énorme la vie quand même. On se perd partout. "

BLAISE CENDRARS
Mon voyage en Amérique

"Des vagues de granit avec des neivées blanches.
Un paysage alpestre d'eau, tout en frimas.

...

On perçoit l'Angleterre comme du noir sous un ongle."

 

JAVIER CERCAS

La page Javier Cercas sur Lieux-dits

LUIS CERNUDA
Variations sur thème mexicain

Vivre toujours ainsi. Que rien - ni l'aube, ni la plage, ni la solitude - ne soit la transition vers une autre heure, un autre endroit, un autre être. La mort ? Non. La vie encore, avec un en deçà et un au-delà, mais sans remords ni désirs.
Et entre avant et ensuite, comme entre ses deux valves la perle, ce moment irisé et parfait. Maintenant.


LUIS CERNUDA
Les plaisirs interdits

Si pour certains, la vie


Si pour certains, la vie, c'est marcher les pieds nus sur des éclats de verre ; pour les autres, la vie, c'est regarder le soleil en face.
La plage compte les jours et les heures pour chaque enfant qui meurt. Une fleur s'ouvre, une tour s'effondre.
Rien n'a changé. J'ai tendu le bras, pas de pluie. Marché sur du verre, pas de soleil. Regardé la lune, pas de plage.
Qu'importe. Ton destin, c'est de voir des tours que l'on élève, des boutons de fleur, des enfants qui meurent; à l'écart, comme une carte dont le jeu s'est perdu

 

MICHEL CHAILLOU
Le sentiment géographique

"Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, ici celle du Forez, basse plaine entre Roanne et Saint-Étienne, basse prose qui s'élabore à partir des trois premières pages de L'Astrée, roman dix-septième siècle d'Honoré d'Urfé, premier berger (j'allais dire écrivain) à s'engourdir de son troupeau (ne compte-t-on pas les moutons pour s'endormir?), à se couvrir de sa laine pour accéder au sommeil levant d'une fable dont l'herbe pousse, l'eau déborde (le rut des ruisseaux qui s'accélèrent), histoire de nous-même lisant, marchant, ruminant notre lecture dans un pays aussi un livre, région intime qu'écornent les pierres, le soupçon divagant d'un horizon reporté perpétuel à la phrase prochaine."

"...une jonchée à flairer, à sonder, à qualifier, le sommeil anéantit les fonctions supérieures, nous voici dans les communs de l'intelligence, parmi les idées à pelage."


MICHEL CHAILLOU
Domestique chez Montaigne

Toux, noir, fond de commode, d'armoire, fond, sac peut-être ? Toux, comme un raclement de sabots tirés hors d'hiver.
Pénombre, s'accoutumer. Une chose bouge, craquements. Le bruit fait le chien, renifle. Quatre pattes d'une table, nuit très haute, attachée à l'œil-de-bœuf. On dirait que l'instant s'épouille.
Flamme, main qui protège, clair d'un visage. Plus rien, noir encore, juron, autre allumette. Homme la cinquantaine incandescente, rides, tignasse, vague chemise, torchon des jambes nues, poils, posture accroupie, assiette, chandelle, pommes, poires à moitié rognées, carpette, nature morte au bas d'un lit, couleur qui brûle, panorama de pieds de chaise.

CLAUDE CHAINON
Sous le pommier la pomme

"Le clocher d'Evran était beaucoup plus haut que tous ceux des communes des alentours. On l'apercevait de loin ; de tous les villages, même les plus éloignés du bourg, il était possible d'y lire l'heure, comme si le temps qui passait ne pouvait échapper à personne. C'était le clocher de mon village. Je m'étais habitué à lui depuis ma plus tendre enfance, du plus loin que je me souvienne. Je le voyais de la maison, de celle de mes grands-parents, plus tard de mon école et aussi de la prairie de Bétineuc."

SORJ CHALANDON
Le quatrième mur

Tripoli, nord du Liban
jeudi 27 octobre 1983

"Je suis tombé. Je me suis relevé. Je suis entré dans le garage, titubant entre les gravats. Les flammes, la fumée, la poussière, je recrachais le plâtre qui me brûlait la gorge. J'ai fermé les yeux, les mains sur les oreilles. J'ai heurté un muret, glissé sur des câbles. La moitié du plafond avait été arrachée par l'explosion. Le ciment en feu frappait tout autour avec un bruit de claques. Derrière une carcasse de voiture, un trou. Une crevasse de guerre, un bitume ouvert en pétales jusqu'à son cœur de sable. Je me suis jeté dans les éclats comme on trébuche, corps chiffon, le ventre en décombres. Je tremblais. Jamais je n'avais tremblé comme ça. Ma jambe droite voulait s'enfuir, me quitter, une sauterelle apeurée dans les herbes d'été. Je l'ai plaquée à deux mains sur le sol."

 

JEAN-PIERRE CHAMBON
Un écart de conscience

"Un monde de peu d’écho
à la lumière affaiblie.

C’est du sein de cette pénombre dilatée
sous la balafre de brefs éclairs
que je veux t’écrire."

"En vain je cherche un orbe
un angle, une saignée
l’esquisse d’un bornage
dans cette déliquescence

Sur cet arasement le doigt levé d’une tour
l’égarement d’un frêle appareil
entre les passes"

PATRICK CHAMOISEAU
L'empreinte à Crusoé

... avec mes techniques, mes codes et mes lois, mes imageries et mes principes, je n'avais constitué pendant toutes ces années qu'une pellicule infime sur une épaisseur que je n'avais pas été capable de seulement deviner; ou peut-être l'avais-je trop devinée, ce qui m'avait incité à vivre dans une semblance remplie de décors d'opérette, et de croyances fumeuses dont le socle était vide ;

L'atelier de l'empreinte
En fait c'est la plénitude individuelle qui ouvre aux solidarités les plus larges et les plus neuves. C'est la plénitude individuelle qui ouvre à Relation. L'égoïsme, le non-solidaire, le chacun pour soi, est en réalité une
maladie de l'individuation exacerbée par le capitalisme.


PATRICK CHAMOISEAU
Ecrire en pays dominé

"Comment écrire alors que ton imaginaire s'abreuve, du matin jusqu'aux rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes? Comment écrire quand ce que tu es végète en dehors des élans qui déterminent ta vie?
Comment écrire, dominé?
L'unique hurlement est en toi.
Un cri fixe qui te pourfend chaque jour : il s'oppose à ces radios, à ces télévisions, à ces emprises publicitaires, à ces prétendues informations, à ce monologue d'images occidentales fascinantes; il refuse cette aliénation active au Développement dans laqquelle les tiens ne sentent même plus que leur génie intime est congédié.
Un cri roide de chaque jour.
Un silencieux tocsin."

PIERRE CHAPPUIS
 Dans la lumière sourde de ce jardin


Futur, s’ourle
Comme vague, chant, comme éclairs en débris
Comme un martèlement par moments proches de nous


Et gratte, et fouille, creuse, exhume.
Peut-être ici, rien. Peut-être, à force d’entêtement, dos courbé, quelques fragment d’urne ou de hanap enfin –
Voués à l’enfoui
Pelle, pioche raclent bruyamment un sol caillouteux, peinent à dégager un bloc de pierre.


Soudain, dans l’immédiat, allant par les volutes et les sentes du vent, happés, heureux en dépit de la chute probable, avides de rejoindre les mouettes en vol autour de nous, libres comme l’air.
Se mêlent jusqu’à la dissonance grincements et cris d’oiseaux, nos têtes encore pleines d’une ruissellement de terre, de graviers.


La nuit, brusquement.
Des bulles d’ombre éclatent, se rassemblent, s’égaillent, maintiennent notre écoute tendue vers ce qui, à mesure, à démesure, n’a chance de se dévoiler qu’à l’improviste.
Nuit : stridences apaisées.

Violoncelle seul

Inévitablement, je parle d’autre chose.


PIERRE CHAPPUIS
la preuve par le vide

D'abord vivre, et même terre à terre; à partir de ce qui est dépensé sur-le-champ, perdu, englouti et que, écart impossible à combler, les mots trahissent en voulant le retenir, sur un autre plan aura lieu, ardeur et insatisfaction, la confrontation, au mieux la ressaisie. Alors autrui.

FRANÇOIS-H CHARVET
Miroirs en échos

"...On aura repoussé l'infime d'une paupière
et comme sur un banc de sable
laissé le flux se saisir de nous.
Nous modeler d'écueils et de ravines,
de joies souterraines et de fourmillements,
avec dans nos poches nos poings serrés
ne pas se laisser trop entrevoir,
comme s'arme de pierres et d'armures
la première nuit que la rose perlée fissurera."

ANDREE CHEDID
Le message

Le survivant

 

FRANCOIS CHENG
L'écriture poétique chinoise
suivi d'
Une anthologie des poèmes de Tang

"Le terme wen qui, par la suite désignera les caractères, les signes de la langue, et entrera dans de nombreuses combinaisons pour signifier langue, style, littérature etc., désignait à l'origine  les empreintes laissées par certains animaux ou les veines du bois et des pierres, ensemble de traces harmonieuses ou rythmiques par lesquelles la nature signifie."


FRANCOIS CHENG
Le dit Tianyi

Au commencement il y eut ce cri dans la nuit. Automne 1930. La Chine avec ses cinq mille ans d'histoire, et moi, avec presque six années de vie sur terre, puisque j'étais né en janvier 1925. Mes parents venaient de m'emmener pour la première fois à la campagne, fuyant la ville de Nanchang écrasée encore de chaleur et toute bruyante de scènes d'exécution capitale. Je me trouvais avec ma petite sœur dan la chambre où notre famille allait dormir, pendant que mes parents s'attardaient, malgré l'heure avancée, dans la chambre voisine pour parler avec la tante qui nous recevait. Nous étions en train de nous amuser avec les objets rustiques disposés à côté de l'unique grand lit lorsque, soudain, un long cri se fit entendre.


FRANCOIS CHENG
L'éternité n'est pas de trop

Au sommet, on respirait l'immémoriale senteur des pierres moussues et des arbres sans âge.

TRACY CHEVALIER
La brodeuse de Winchester

"Il émanait de lui une atmosphère de coins sombres, de métal oxydé et de mâchoire mal rasée. "


TRACY CHEVALIER
La jeune fille à la perle
La dernière fugitive
A l'orée du verger
Prodigieuses créatures

MIKHAÏL CHEVELEV
Une suite d'évènements

"Quant à l’élite qui ose se désigner elle-même de ce nom, nous avons même inventé une histoire drôle à ce sujet : « Élite est un terme d’agronomie utilisé dans la Russie d’aujourd’hui pour l’auto-identification d’un groupe de personnes qui a volé beaucoup d’argent. » Nous avons d’ailleurs de nombreuses autres blagues en réserve.
Et puis un jour, les plaisanteries ont pris fin. Et tout est devenu sérieux.
Quand est-ce arrivé ? Quand on a commencé à tuer des gens à Kiev ? Ou quand on a pris la Crimée ? Ou le Donbass ? Ou plus tôt ? Quand on a enfermé Khodorkovski ? Quand on a enterré la chaîne NTV ? Ou même avant ? Quand donc ? La deuxième guerre de Tchétchénie ? La première ? Les élections de 1996 ? Mais bon, à ce rythme-là, on risque de remonter jusqu’à la révolution de 1917…"

ATHANASE CHIMONAS
Ramon


Mauvais grec

 

MARC CHOLODENKO
je te fais un dessin

"Si l'arbre éraciné et ébranché déposé sur le plancher conserve sans rien concéder de sensible, son ciel, son sol et sa forêt, c'est qu'il ne peut être dépris de l'unisson de tout ce qui, seul, unique, exempt d'acception, est libre, pour être, d'exister. "

 

ANTOINE CHOPLIN

La page Antoine Choplin sur Lieux-dits


PATRICK CHOUISSA
Un rien d'Afrique
d'amer et d'innocence

Le lointain son voussoiement
comme une ondulation
la plus vive
quelques degrés de fièvre
gonflent l'empenne de son regard amoureux.

JEAN-MARC CHOUVEL
Le Livre du Phénix

« Le pressentiment que c’est là, à quelques mètres du réverbère rouge, qu’aura lieu la prochaine tentative. Je connais trop la magie de la lumière du soir - trop douce, trop colorée, trop absolument essentielle – mais ce n’est pas cela qui me fascine. C’est l’extraordinaire précision avec laquelle se condense le rythme de l’espace tout entier qui règne là. »


« La cinquième tentative…musique de l’impossible envol. Dans la matière informe des théories à naître, tous ces gestes se contrarient, tentent désespérément de s’appuyer l’un sur l’autre. Des nerfs tendus zèbrent le temps, se confient, pour peu, à quelques courants ascendants, se dispersent comme des cendres d’instants incapables. »

 

DRISS CHRAÏBI

DRISS CHRAÏBI
Succession ouverte

"Et, quand les haines devenaient tenaces autour de moi comme des mouches à viande, quand le désespoir s'emparait de mon âme et me soufflait de rejoindre l'autre camp, le mien, le meilleur, celui où l'on se battait pour l'indépendance et la dignité de l'homme, toujours je m'étais rappelé mon père, les mains de mon père, l'œuvre de ses mains."


DRISS CHRAÏBI
L'âne

Il enfourcha son âne et le mena d’un trot au prochain souk. Il ne lui dit rien, ne le regarda même pas. Il le troqua contre un bleu de mécano et une solide sacoche qu’il emplit d’instruments de coiffure et de lotions capillaires. Puis il alla prendre le train. Comme le convoi démarrait, il entendit braire. Il n’y avait aucun doute. C’était bien son âne. Il avait dû s’échapper et l’avait suivi. Il ne lui accorda pas un regard, pas un regret. Le passé ressuscite si aisément !"


DRISS CHRAÏBI
Les Boucs

" Leurs pieds quittaient à peine le sol, comme si la pesanteur eût reconnu en ces êtres de futurs et excellents minéraux et les eût déjà liés à la terre, chaussés de semelles qu'ils croyaient être du cuir, du caoutchouc ou du bois, simples formes de pieds découpées dans de vieux pneus ou dans de la tôle galvanisée et qui avaient fini par les mouler jusqu'aux ongles des orteils, jusqu'à la mécanisation du pas – et cela représentait d'incroyables godillots graissés au saindoux ou peints à la gouache, qui semblaient vides de tout pied, animés tout juste d'une ancestrale habitude qui les eût soulevés et fait retomber sur le pavé, gauches et dérisoires comme des souliers vides."


"La question m'a été posée – et je me la suis posée : suis-je encore capable, trente-cinq ans après, d'écrire un tel livre, aussi atroce ? Il m'est difficile d'y répondre, sinon par d'autres questions : trente-cinq ans après, le racisme existe-t-il encore en France ? Les immigrés – et leurs enfants qui sont nés dans ce pays « hautement civilisé »– sont-ils encore parqués à la lisière de la société et de l'humain ? Est-il toujours vrai, selon feu mon maître Albert Camus, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais ?"
Crest, mai 1989. D.C.


DRISS CHRAÏBI
Le passé simple

"Les muezzins se sont tus. Le vingt-quatrième soir de Ramadan m'engloutit. Je suis une file de charrettes que traînent des vieillards aux pieds nus. A chaque porte il y a un mendiant. Il cogne comme une fatalité et réclame, exige un bout de pain, un morceau de sucre ou du papier à cigarettes. Je sais cette mélopée, si consciencieusement feinte quelle est devenue réelle, et où, depuis saint abd El Kader jusqu'à saint Lyautey, dernier en date, tous les saints du Maghreb sont hurlés. Les mendiants sont aussi devant les boutiques, les cafés maures, Huns et sangsues, couverts de plaies, verbe diarrhéique, loques multicolores, yeux chassieux que picorent des mouches, les mêmes mouches qui éventent les denrées exposées à tout vent et que chasse vainement un plumeau en doums. "

 

CHRISTOS CHRYSSOPOULOS

CHRISTOS CHRYSSOPOULOS
La tentation du vide (Shunyata)

"20 mars 1951. Rien de particulièrement notable ne se produisit dans la tranquille bourgade de Williamstown, sur la côte Ouest. Et si un événement inédit marqua cette soirée-là, ce fut sans aucun doute celui qui se répéta à quatorze reprises dans le secret de onze demeures de la ville, entre les parois de chambres d’adolescents à l’étage. Mais personne ne se rendit compte de quoi que ce soit – avant le lendemain matin.
Le chanteur préféré de Williamstown était Perry Como. L’automobile dont rêvaient la plupart des habitants de la ville était une Cadillac, mais c’était plus souvent un pick-up Dodge que les garages abritaient. On aurait du mal à qualifier Williamstown de ville riche. Tout juste pourrait-on dire – et encore, en étant indulgent – qu’elle était née sous d’heureux auspices. Elle s’étendait sur un petit territoire assez fertile, la Williams Valley, et bénéficiait de la brise fraîche du Pacifique. Si l’on voulait vraiment la comparer à une femme (comme cela se produit souvent quand on parle d’une ville), il faudrait recourir à la figure archétypale, rassurante et amène de la mère américaine.
Williamstown se trouvait sur l’avant-dernière marche de sa jeunesse. Déjà les premières rides marquaient son visage lisse. Les enseignes en métal des boutiques de la rue commerçante commençaient de se ternir. Leurs couleurs prenaient la teinte blême des chambres d’hôpital. Celle du bureau de poste s’était décollée de son piton métallique et se balançait au vent en grinçant. La pancarte de la quincaillerie de Jonathan Wiggle était couverte de rouille depuis des années, mais Jonathan refusait de la remplacer. La rouille s’harmonisait bien avec les articles en fer-blanc exposés dans la vitrine."


CHRISTOS CHRYSSOPOULOS
Terre de colère

" La colère produit la colère et a besoin d'une colère en face pour être supportable. Parce qu'il se produit également ceci : la colère dont on souffre le plus n'est pas celle que l'on subit, mais la sienne propre que l'on dirige contre les autres sans pouvoir la maîtriser. Et quand on est dans l'incapacité d'en affronter la cause, la seule solution, alors, est de faire en sorte que l'autre en face y soit sujet à son tour, qu'il soit mis sur le même plan que soi, et que le tort en revienne à chacun tout autant.
Sauf qu'ainsi, la fureur ne s'annule pas, comme deux forces contraires. La colère de l'un ne réduit pas à néant celle de l'autre. Ce qui se passe, c'est que le matériau est multiplié par deux. Il s'accumule et devient plus pesant.
La langue ne fait rien à l'affaire. Ni le lieu, ni les noms. Partout la fureur est la même. Nous vivons dans un territoire clos et soumis à une surveillance sévère. Sur un continent pour ainsi dire cerné de tous côtés par des barrières. Voilà pourquoi aujourd'hui nous finissons par être en colère en permanence. Mais nous vivons seuls les uns avec les autres, nous ne voulons personne à nos côtés, et notre colère se retourne inévitablement contre nous-mêmes. Nous enrageons les uns contre les autres - les uns avec les autres."


CHRISTOS CHRYSSOPOULOS
La Destruction du Parthénon

"Personne n'y croit. Tout le monde chuchote, effaré. Personne ne veut y croire. Chacun court voir de ses propres yeux, veut être sûr. C'est arrivé pour de vrai ? Ils pensent que leurs sens leur jouent des tours. Ils n'en croient pas leurs yeux. Rien n'est vraiment certain, rien n'est encore définitif. Qu'est-ce qu'il reste ? Un rocher éclaté, c'est tout. Le socle, ravagé par les flammes. Une fine colonne de fumée qui s'élève entre les piliers métalliques tordus au milieu des lumières orangées. Certains projecteurs fonctionnent encore. C'est la fin de l'après-midi. La tombée de la nuit. L'heure où le ciel, au-dessus de la ville, prend une couleur bleu outremer. Les réverbères dans les rues s'allument les uns après les autres et l'air se rafraîchit avec le souffle de la terre."

TATIANA CHTCHERBINA
Antivirus

Ma pensée revient en arrière,
lorsque sans corps ni gravitation
j'ai volé en ces lieux pour ma récréation

Couverture:encre de Chine sur papier, Christine Zeytounian-Beloüs
février 2005

IVAR CH'VAVAR
Le Marasme chaussé

(ma tête tout à coup serrée, cercle
de fer, insistant,
serré autour de mes tempes par
la nuit visqueuse odieusement
tranquille) se lever
avec la lune un paysage funéraire
et cinéraire
avec cyprès, ifs de bronze
loqueteux et fiers, urnes
de bronze, cloches
renversées la gueule
vers le haut noire
vers un ciel bruine
en encre -

 

WALTER VAN TILBURG CLARK
L'étrange incident


“Il restait peu d’hommes à présent. Ils parlaient tranquillement sous l’ombre bleue de l’arcade. Du haut en bas de la rue, on pouvait entendre les autres, le bruit de leurs bottes sur le trottoir, ou le trot de leurs chevaux. Ils s’appelaient les uns les autres, pour se dire que la chevauchée serait longue, ou pour recommander d’apporter une corde, ou encore pour dire où l’on pouvait emprunter un revolver, car la plupart d’entre eux avaient leurs ranchs loin du village. Dehors, le soleil était encore brillant, mais c’était déjà une lumière de fin d’après-midi, et le vent avait changé. Comme toujours au printemps, on avait chaud tant que l’air était calme, mais dès que le vent se faisait sentir, on avait une sensation de froid, même en plein soleil. L’air en ce moment était glacé. Je sortis dans la rue, pour jeter un coup d’œil vers l’ouest. Les nuages s’amoncelaient de plus en plus au-dessus des montagnes et montraient leurs ventres sombres.”

PHILIPPE CLAUDEL
Les âmes grises

"Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. les hommes et leurs âmes, c'est pareil...T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous..."

GILLES CLÉMENT

La page Gilles Clément sur ce site


WILLIAM CLIFF

La page William Cliff sur Lieux-dits

JEAN-LOUIS COATRIEUX
MARIANO OTERO
L'intérieur des terres

" Quand tu n'es pas plus haut que ça fixé sur
les photos noir et blanc ou couleurs
digitales du temps et quand tu te
reconnais en famille parmi les prés
fauchés de frais dessins de terre et d'eau
ma mère nous explique quelque chose du
pollen des regards et d'héritages anciens"

PAULO COELHO
L'Alchimiste
Traduction du portugais (Brésil) de Jean Orecchioni

"Il étendit sa cape sur le sol et s’allongea, en se servant comme oreiller du livre qu’il venait de terminer. Avant de s’endormir, il pensa qu’il devrait maintenant lire des ouvrages plus volumineux : il mettrait ainsi plus de temps à les finir, et ce seraient des oreillers plus confortables pour la nuit. "

"Il se nommait Santiago. Il arriva à la petite église abandonnée alors que la nuit était déjà tout près de tomber. Le sycomore poussait toujours dans la sacristie, et l’on pouvait toujours apercevoir les étoiles au travers de la toiture à demi effondrée. Il se souvint qu’une fois il était venu là avec ses brebis et qu’il avait passé une nuit paisible, à l’exception du rêve qu’il avait fait. Maintenant, il était là sans son troupeau. Mais il avait avec lui une pelle."

 

J.M. COETZEE

J.M. COETZEE
L'été de la vie

22 août 1972
Dans le Sunday Times d'hier, un reportage sur Francistown au Botswana. La semaine dernière, en pleine nuit, une voiture, modèle américain de couleur blanche, s'est arrêtée devant une maison dans un quartier résidentiel. Des hommes portant des passe-montagnes ont sauté du véhicule, ont enfoncé la porte à coups de pied, et se sont mis à tirer. Après quoi, ils ont mis le feu à la maison et sont repartis. Des cendres, les voisins ont tiré sept corps carbonisés: deux hommes, trois femmes, deux enfants.


J.M.COETZEE
Vers l'âge d'homme

Il habite un logement d'une seule pièce près de la gare de Mowbray, qui lui coûte onze guinées par mois. Le dernier jour ouvrable de chaque mois, il prend le train et se rend en ville, dans Loop Street, où A. & B. Levy, agents immobiliers, ont leur plaque de cuivre et un tout petit bureau. C'est à M. B. Levy, le cadet des frères Levy, qu'il tend l'enveloppe contenant le montant du loyer. M. Levy vide l'enveloppe sur son bureau encombré et compte l'argent. Il grogne et il transpire en rédigeant la quittance. « Voilà, jeune homme ! » dit-il et il la lui remet d'un geste théâtral.


J.M. COETZEE
Scènes de la vie d'un jeune garçon

Ils habitent dans un lotissement juste en dehors de la ville de Worcester, entre la voie ferrée et la route nationale. Les rues du lotissement ont des noms d'arbres, mais il n'y a pas encore d'arbres le long des rues. Leur adresse est 12, avenue des Peupliers. Toutes les maisons du lotissement sont neuves et identiques. Elles sont construites au milieu de grandes parcelles de terre rouge et argileuse où rien ne pousse, séparées les unes des autres par des clôtures de fil de fer. Sur le terrain à l'arrière de chaque maison se dresse une petite structure qui consiste en une pièce et des WC. Ils n'ont pas de bonne, mais ils appellent ces pièces « la chambre de bonne » et les « WC de la bonne ». La chambre de bonne leur sert de débarras où ils entreposent de vieux journaux, des bouteilles vides, une chaise cassée, un vieux matelas de crin.


J.-M COETZEE
Au coeur de ce pays


"C'est de ma propre voix que j'ai énoncé ma vie, d'un bout à l'autre (quelle consolation!), j'ai choisi à chaque instant ma propre destinée, qui est de mourir ici, dans ce jardin pétrifié, derrière des barrières cadenassées, près des ossements de mon père, dans un espace qui vibre de l'écho d'hymnes que j'aurais pu écrire mais n'ai jamais écrits, parce que (pensai-je) c'était trop facile."

RICARDO COLAUTTI
La trilogie de Sébastian Dun
Traduction de l'espagnol (Argentine) par Guillaume Contré

"Je me dis : « En me dépêchant, je pourrais arriver chez tante Julita pour le déjeuner. » Je sautai du lit et sortis rapidement de l’appartement, anxieux d’être à nouveau dans la rue, de profiter de la ville et du soleil. Je parcourus la rue Santa Fe en sifflant et chantant. Je marchais rapidement, je voulais arriver avant le déjeuner. Je me souviens que j’étais très content, je ne sais pourquoi. Aujourd’hui, je le suis rarement, je crois que c’est parce que je n’arrête pas de me demander pourquoi je devrais être content ; auparavant non, auparavant j’étais content et point à la ligne, je me sentais physiquement content. Il me suffisait de sentir le soleil, d’entendre la musique qui flotte en permanence rue Santa Fe, qui sort des galeries commerciales ; je marchais et sifflotais et lorsque j’entendais une belle mélodie, je m’arrêtais pour écouter. Quand le propriétaire du magasin voyait que je restais là à profiter de la musique, il arrêtait le disque, car les gens sont aussi mal intentionnés."

DANIELLE COLLOBERT
Chants des guerres

Les chants profonds
Des voix-lumières
montent des fleuves.

Les orchidées minérales
Surgissent
Des forêts de la nuit.


DANIELLE COLLOBERT
Meurtre

"Mais cela n'est pas si simple, par exemple lorsque s'épanouit le froid d'un couteau, un pouvoir quelconque de destruction, si petit soit-il, si détourné qu'il puisse être de son usage rituel. Des doutes alors surviennent, plus effrayants qu'un visage marqué par l'horreur, plus dangereux que tous les poisons. Les différentes possibilités s'enchaînent, se multiplient comme une hydre. Nous perdons pied dans l'espace, vide parfois, et sans limite."

Dire I

"Le monde crie, ce monde-ci, le monde maintenant, au-delà des murs de chambre chaudes, au-delà de nous liés. A travers les voix revient le grondement plus fort, plus puissant pour nous envahir. Appeler ta force pour supporter, te sortir de la douceur, t'apporter la dureté cruelle latente autour de nous. Qui se suicide. Qui se sépare. Toi et moi arrachés. Capitule, vivante encore. Je suis entre le tremblement désespéré et l'apaisement qui plane, éloigné, silencieux. Entraîné de l'un à l'autre par la peur."

Dire II

"Plongée dans le compact - peur de l'épaisseur - les mots agglomérés - recherche des franges - des trouées - les zones de pourrissement - de métamorphoses."

Il Donc

"corps sur corps - à corps
perdus
et cris

à proximité donc - des voix"

Survie

"jours de passion
lumière des veines qui vient
en surface l'articulation
je dit ardent énergie le cri ou comme brûle jamais dit"

 

MICHEL COLLOT

MICHEL COLLOT
Chaosmos

"Noirs de Soulages : révélateurs de la lumière. Ils lui tendent un miroir où se dévêtir enfin de ses oripeaux bigarrés, l'invitent à s'y réfléchir silencieusement, méditativement, au contact d'une matière elle-même une et nue, mais inépuisable. Renonçant aux couleurs du spectre, le peintre se concentre sur la lumière blanche, et la confronte à son contraire. Et voici que le plus opaque exalte la transparence, qui devient dense, comme tangible. Mieux que le prisme, il réussit à déployer la richesse de la lumière, sans la décomposer : il en démultiplie l'effet, en créant à la surface du tableau toute une variété d'accidents et d'incidences, par un jeu simple et savant de stries.
Sismogramme de la lumière, cette matière en enregistre tous les changements, donne à voir ses ondes et ses vibrations les plus imperceptibles. Produisant un vivant échange entre le tableau, l'atmosphère ambiante et le spectateur, qui interdit de clouer au mur ces toiles, tendues en l'air comme des voiles, pour capter les moindres souffles de la lumière.
L'oeuvre ne représente plus le réel, mais s'y tient présente, et le rend présent. Un jour, à Sète, regardant une de ses toiles fraîchement peintes, Soulages vit le noir devenir bleu : la mer, à laquelle le tableau faisait face, s'y reflétait. Plusieurs peintures ont interrogé cette rencontre inattendue. Le bleu y semble émerger du noir, comme le soir, dans la neige, la nuit paraît monter du sol, qui vire à l'indigo.
En s'ordonnant comme un cosmos parfaitement clos sur lui-même, l'oeuvre ne tourne pas le dos au monde. Si elle n'y renvoie pas, elle peut le réfléchir."

"Il nous faut ces puits d’ombre, ces seuils disjoints, et l’obscure épaisseur des murs. La fenêtre ne vient qu’après, percée dans les ténèbres"

"Retour aux sources. Non pour s’y installer, mais pour en épouser l’élan."

"Verso du sol : les radicelles tissent la cicatrice de l’hiver. Un texte souterrain."


MICHEL COLLOT
La matière-émotion

Figures et rythmes permettent au poète de maîtriser les débordements de la matière sensible, verbale et affective, en l'ordonnant selon une forme et un sens. Mais en même temps ils confèrent au langage une consistance, l'empêchent de se résorber dans l'abstraction, le rapprochent de la " matière vive du vécu ". Cette réconciliation du sens et du sensible, de la matière et de la forme, de l'art et de la vie, est pour Gaspar la visée ultime de toute élaboration esthétique: "C'est bien à un approfondissement, à un élargissement de l'expression — qui en devient à la fois déploiement du vivant, élucidation et tentative de réunification des champs du sensible et du cognitif — que tendent ceux qui apprennent à se servir de quelque langage de l'art."


MICHEL COLLOT
Paysage et poésie
du romantisme à nos jours

En poésie comme ailleurs, le paysage est à la fois un lieu commun qui nous concerne tous et un espace de liberté offert à la sensibilité et à la créativité de chacun. En quoi il est sans doute un des terrains d'entente où l'individu peut, sans renoncer à lui-même, entrer en communication authentique avec la communauté, et où se joue le devenir d'une civilisation, qui est une oeuvre collective.


Une poésie comme celle de Pierre Chappuis s'enracine dans un terroir, et, dans ces temps de délocalisation et d'uniformisation de la planète, il est bon que le poète puisse parler de sa petite patrie ; en partant du lieu commun, il évite l'hermétisme et le solipsisme où se complaisent tant de ses congénères. Mais ce n'est qu'un point de départ. Car le paysage n'est pas le pays; il en déborde les frontières. L'horizon l'ouvre à l'inconnu que la poésie a pour tâche d'explorer et où le poète nous invite à le suivre. L'horizon fait du paysage une expérience universelle, en le reliant à l'univers, et une expérience poétique, parce qu'elle incite à une recréation permanente de la langue.

Car ce n'est qu'en faisant référence à un monde comme-un que le poète peut communiquer avec son public. Le souci de la relation n'a cessé de s'aiguiser chez Deguy, comme chez Glissant, à mesure que se développaient autour de nous, en même temps que la violence et l'indifférence envers l'Autre, une tendance menaçante à l'uniformisation du monde, des langues et des langages. Si la poésie a encore aujourd'hui quelque chose à voir avec le paysage, et qu'il nous offre un modèle pour penser la coexistence pacifique des êtres les plus divers, qui n'ont pas besoin de s'assimiler pour s'assembler et qui s'enrichissent d'échanger leurs différences.
Une poétique de la relation ne saurait oublier la terre, qui est le "milieu de la relation infinie". En s'isolant dans un idios cosmos ou dans un langage autoréférentiel, la poésie se rendrait complice du nihilisme contemporain, qui délaisse le champ de l'expérience au lieu de le cultiver...

[...]

L'abstraction grandissante des discours contribue à désertifier la terre, et à appauvrir la langue; car la langue plonge ses racines dans l'expérience concrète et se renouvelle à son contact, "originale phénoménologie faisant se lever les figurants de l'être dans son monde". Contre cette "déterrestration" et cette "déculturation", bien des réactions irrationnelles se font jour, de la revendication régionaliste ou nationaliste du terroir ou du territoire, jusqu'à l'exaltation plus ou moins mystique ou mythique de la Terre. Face à de telles régressions, ce qui fait le prix d'une "phénoménologie inventive" comme celle de Michel Deguy, c'est qu'elle prend en charge ce souci de la terre avec les moyens du logos : d'une pensée rationnelle et d'un langage qui rassemblent au lieu d'exclure, capables de mémoire et de création, fidèles à leurs origines mais ouvrant toujours de nouveaux horizons.


MICHEL COLLOT
De chair et d'air

A quelle alliance devons-nous
d'être jusqu'aux replis
les plus secrets de notre chair
irrigués d'air

FRANCISCO COLOANE
Le sillage de la baleine

Cette nuit-là, d'étranges incidents survinrent dans le petit port à bois de Quemchi. Habitués aux fureurs des grandes dépressions atmosphériques du sud-ouest, les gens ne s'inquiétèrent pas de la tempête qui s'était déchaînée en milieu d'après-midi.
Toutefois,un canot à voiles qui doublait le petit promontoire de Pinkén fut retourné par une violente rafale. Son seul homme d'équipage, un modeste père de famille en quête de bois, parvint à se hisser sur la quille et, juché dessus comrme sur le dos d'un cétacé, il s'y agrippa désespérément.

BEATRICE COMMENGE
Alger, rue des Bananiers

"Le hasard m’avait fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates, comme sur une tombe: 1830?-1962. Tel un corps, l’Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m’avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom?: rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j’avais appris les jeux et les rires, j’avais appris les différences, j’avais aimé l’école Au Soleil et le cinéma en matinée, j’avais découvert l’amitié et cultivé le goût du bonheur."


"Sur les étagères de la bibliothèque, les titres dansent devant mes yeux, jusqu’au vertige. À côté des cinq gros volumes j’ai trouvé un petit livre très mince, publié en 1958 : La Question, d’Henri Alleg. À l’intérieur j’ai eu la surprise de découvrir un vieil article signé Jean-Paul Sartre et publié par le « Centre d’informations et de coordination pour la défense des libertés et de la paix », un article si retentissant qu’il avait entraîné la saisie de certains journaux (cela, je le lis sur une note, rédigée au crayon, en marge du texte). Je me demande à quelle date Louis a glissé cet article entre les pages du livre (la petite note au crayon n’est pas de sa main). Quant au livre lui-même, censuré dès sa parution, j’ignore quand Louis se l’est procuré, j’ignore quand ses yeux l’ont lu. Clandestinement, le livre s’était imprimé – et vendu – à cent cinquante mille exemplaires. La Question faisait peur, La Question donnait vie, donnait vue, à un mot, un mot vague, de ce vague qui apaise les consciences : torture. Dans le livre, l’homme est là, présent, il est cet homme qui écrira le livre, qui choisira les mots pour raconter ses journées de torture. "

RUSSEL CONNOR
SOULAGES
AU-DELA DU NOIR

 

"Le noir pour moi est une couleur intense, plus intense que le jaune."

 

"Malgré, ou plutôt, par ce noir, ce dessin avait pour moi l'éclat d'un paysage de neige."A l'approche de la lumière....

"Quand je sais pourquoi j'aime une chose, je l'aime déjà un peu moins. L'oeuvre est intéressante dans la mesure où elle échappe aux intentions de son créateur et à l'explication du spectateur... Nous la faisons parler. On se croit d'accord, mais cet accord repose sur un malentendu - heureusement, car le malentendu est fécond. Je crois au contresens fructueux, à l'incompréhension productive..."


" Les matières, la couleur, les rythmes... qui constituent une peinture non figurative ont des qualités physionomiques, une saveur, un pouvoir d'émotion, un caractère que la sensibilité et l'imagination du spectateur interprètent, avec lesquels elles dialoguent. Le spectateur vit la toile avec l'expérience qu'il a du monde."

"C'est le spectateur qui découvre le tableau. Le tableau est là au moment où on le regarde. Parce que si l'on fait trois pas, ce n'est plus tout à fait le même tableau, donc le tableau se fait dans la minute, dans la seconde où on le voit. Il a une présence beaucoup plus forte, il est là. Il ne renvoie pas à quelque chose d'extérieur, ni à un poème, ni à un sentiment, ni à un moment privilégié vécu par un artiste génial...Je ne veux rien raconter au spectateur, mais lui proposer une peinture. Je ne veux pas dépeindre, mais peindre. Pas représenter, mais présenter."

JOSEPH CONRAD
Au coeur des ténèbres

La Tamise s'ouvrait devant nous vers la mer comme au commencement d'un chemin d'eau sans fin. Au loin la mer et le ciel se joignaient invisiblement, et dans l'espace lumineux les voiles tannées des barges dérivant avec la marée vers l'amont semblaient former des bouquets rouges de voilures aux pointes aiguës, avec des éclats de livardes vernies. Une brume dormait sur les côtes basses dont les aplats allaient s'effaçant vers la mer. L'air était sombre au-dessus de Gravesend et plus en deçà encore semblait condensé en triste pénombre et pesait immobile sur la plus vaste et la plus grande ville du monde.

CID CORMAN
Vivremourir
précédé de
Lieu

Je t'apporte
un sac
d'oranges -

les plus douces
oranges -
et tu les

sors une
à une et
les disposes sur

un plat blanc -
sphères d'une
pyramide.

PATRICK CORNEAU
Un souvenir qui s'ignore

" Le temps mort, c’est la mesure pour rien dans le tempo de l’existence, l’‘intervalle mort’ en musique ou la césure en poésie, temps de halte après la syllabe accentuée. Le moment de l’alternance entre deux polarisations ; cette latence entre temps excité et temps réfractaire, entre faim et satiété, entre désir et frustration, entre crise et rémission. Entre On et Off. C’est le temps de la maturation, le temps de l’incertitude. Le temps de la disponibilité, le temps des options divergentes qui doivent être confrontées l’une à l’autre. Pour certains, cet entre-deux constitue ‘la ouate de la vie quotidienne’ (Virginia Woolf) où s’accomplissent les gestes machinaux tandis que nous flottons ; pour d’autres, c’est un lieu géométrique et temporel secret, ils y sont ‘présents ailleurs’, dans l’angle mort, au ‘point-repos’ (still point) du monde :
Au point-repos du monde qui tourne. Ni chair ni privation de chair ;
Ni venant de, ni allant vers ; au point-repos, là est la danse ;
Mais ni arrêt ni mouvement. (T.S. Eliot)
Chez certains la paresse se pare du nom d’ennui ; cela évite de reconnaître qu’elle est une peur. Celle d’avoir à affronter « tout l’effrayant de ce qui est », comme disait Montherlant."

FRANCOIS de CORNIERES
des cailloux qui flottent

SILENCE BRACONNIER

Ciel
et canaux
couverts de ciel.
Le marais
comme pour traquer
la vie
à la passée des mots.
*
Bétail
au bord du temps
et des bruits d'horizon
où les arbres
s'adossent.
*
...

Couverture : aquarelle de Loïc Faucheux

RENE CORONA
Les mots de l'enfermement
clôtures et silences: Lexique et rhétorique de la douleur et du néant

" L'écriture du survivant transforme assurément la réalité beaucoup plus inquiétante. C'est cela qui fait de son témoignage quelque chose d'autre, non plus un simple vécu raconté, mais un vécu dont le détail poétique de l'écriture transforme le livre de mémoire en littérature."

« Je considère le langage de la poésie comme le plus efficace - car il remue le lecteur (et bien sûr le spectateur) au plus secret de lui-même - et le plus dangereux pour les ennemis qu'il combat. » Car la poésie peut ce que la narration empêche, le débordement, le regard droit dans les yeux du lecteur, ami ou ennemi, la poésie, comme disait Desnos, va bien au-delà et comme souligne Marie Bornand, toujours à propos de Charlotte Delbo :«(...) La forme poétique est nécessaire à la narration, car elle inscrit l'émotion suggestive dans le texte, elle exclut le discours et l'explication »


"Les écrivains de l'autodérision, les frangins de la tendresse":

-Henri Calet :"J'étais plein, j'avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes, il valait mieux que tout sorte. [...] et j'ai continué à pleurer tout près des sentinelles. J'avais moins de gêne en présence d'étrangers ; je pleurais dans une autre langue." Le bouquet

-Georges Hyvernaud : " Si j'étais romancier, sans doute ferais-je surgir, au-delà des actes épars, de la nullité des mots et des gestes et de toutes ces gluantes apparences, quelque image cohérente, serrée, lourde de sens et de tragique. " Le wagon à vaches

-Alexandre Vialatte :"Les prisons font une ombre longue. Il faut longtemps à un homme qui court pour en sortir." Le fidèle Berger

-Raymond Guérin :"Eh bien, non, non, non, jamais ! La captivité n'était pas une épreuve dont on sortirait meilleur et plus fort. La captivité n'était pas une épreuve qui vous aurait valu des amitiés inoubliables. La captivité n'était pas une épreuve où le temps avait paru long, où l'on avait manqué de tabac et de femmes. Elle n'était rien de tout cela et surtout elle n'était pas une épreuve qu'il convenait de surmonter si l'on voulait conserver quelque décence vis-à-vis de soi-même. La Captivité n'était rien d'autre qu'une saleté innommable et, si l'on avait un peu de cœur au ventre, justement, un tant soit peu de caractère, on se devait de l'ingurgiter, gorgée par gorgée, cette saleté, de la boire jusqu'à la lie pour mieux s'imprégner de sa nauséeuse saveur. C'était à cette seule condition que l'expérience risquait d'être salutaire. Il fallait qu'elle marquât pour toujours ceux qui l'auraient vécue. Et qu'ils en réchappassent ou qu'ils y périssent, il fallait qu'elle leur permît de comprendre ce qu'aurait pu être la Vie si l'ignominie des hommes n'en avait fait une telle abjection." Les poulpes


"De nouveau, l'exclusion se produit dans le silence de la langue, une langue qui ne correspond pas, officiellement, à la langue dite standard. Les accents sont encore grossiers, les phrases mal imbriquées, une syntaxe relâchée, redondante, un lexique choquant. On a l'impression qu'il faudrait un linguiste, comme Henri Frei, pour réécrire une « grammaire des fautes » et célébrer de nouveau ce français avancé. Avancé, par rapport à une norme bien souvent trop figée. Mais en est-il vraiment ainsi ? En vérité, la langue des banlieues « chaudes » n'est pas la seule à être considérée par les puristes comme une langue appauvrie. C'est aussi la langue de la plupart des gens qui ont terminé, souvent abandonné, leurs études et qui refusent la lecture (voire l'écriture, d'ailleurs, si naguère l'exercice de l'écriture passait à travers la correspondance, le fait indéniable est que le courrier, les lettres entre amoureux, entre amis, entre membres de la famille, a pratiquement disparu). Il reste un fait certain, cependant, c'est qu'au cours d'un colloque téléphonique pour chercher du travail, le fort accent teinté d'immigration attirera la réponse négative, on refusera à l'interlocuteur même un simple rendez-vous. L'habit ne fait pas le moine, aurait-on envie de crier, la langue ne fait pas le moine, hélas si. Pour les mentalités restreintes, un mauvais accent connote une peau la plupart du temps basanée et une aura de mauvaise réputation. Le racisme ne meurt pas, les camps n'auront servi à rien car la mémoire a disparu. On chasse les Roms vers les frontières, en Italie on prend les empreintes digitales à leurs enfants.


GERARD de CORTANZE
Assam

"Le sentier menant à l'autre rive était là, droit, visible, scintillant des reflets des premières heures de la matinée. Des martins-pêcheurs piaillaient dans le ciel. Le verre de thandai que lui tendit le serviteur, chiite de Lucknow, sentait si fort la cardamone et les clous de girofle qu'il dut se rendre à l'évidence. Le rêve de cette nuit relevait de la réalité la plus pure, la plus belle, la plus simple : celle que l'homme ne peut jamais , en aucun cas, expliquer."

JULIO CORTAZAR
Les discours du Pince-Gueule

FAÇON TRÈS SIMPLE DE DÉTRUIRE UNE VILLE

Il faut attendre, caché parmi les hautes herbes, qu'un grand nuage de l'espèce cumulus se trouve placé très exactement au-dessus de la ville exécrée. Il suffit alors de décocher la flèche pétrifiante, le nuage devient marbre, et le reste se passe de commentaires.


JULIO CORTAZAR
Marelle

Les nuages rouges et aplatis sur le Quartier latin, la nuit, l'air humide et les gouttes de pluie qu'un vent incertain jette contre la fenêtre faiblement éclairée, les vitres sales, l'une cassée et barrée de sparadrap rose. Plus haut, sous les gouttières de plomb, doivent dormir les pigeons, de plomb eux aussi, perdus en eux-mêmes, exemplairement antigargouilles. Protégé par la fenêtre, le parallélépipède moisi qui sent la vodka et la bougie, les vêtements mouillés et les restes de nourriture, vague atelier de Babs céramiste et de Ronald musicien, siège du Club, chaises de rotin, chaises longues déteintes, bouts de crayons et fils de fer par terre, une chouette empaillée à la tête mitée, un air banal, mal joué sur un vieux disque avec un âpre bruit de fond, un gratter crisser crépiter incessant, un saxo lamentable qui, un soir, en 28 ou en 29 a joué comme à tâtons sur un mauvais piano.

JOSE CORTI
Souvenirs désordonnés

"Je suis ce voyageur à sa dernière étape et je veux peupler ma solitude en appelant à moi les compagnons d'un moment et les amis de toujours ; ceux qui m'ont diverti, intéressé ; ceux que j'ai aimés durant ce voyage au cours duquel je ne me suis jamais senti las, en dépit du tunnel — du si long tunnel — qui m'a happé un jour, et plongé dans la nuit, après les bonheurs de tant de paysages si merveilleusement ensoleillés. Je suis celui qui revit un voyage qu'il a presque achevé et qui fait revivre des absents de toute sorte. Cela ne signifie en aucune manière refus du temps présent, démission ou fuite. Je ne me réfugie pas dans mon passé comme dans un rêve. Je participe toujours au monde. J'y suis présent et debout, je travaille. "

JEAN-GABRIEL COSCULLUELA
L'Affouille

Lentement le silence

saison nuée d'exils

les chemins hésitent

l'herbe : fils écharnés

l'échancrure de bleu
où se tend lentement
le silence

nul nom

l'églogue engorgée
émigrée

muetequeda


"...les oiseaux exilés sur ces espaces sourds"

"habiter
la lente étreinte des lézardes :

regarder"

"se vêtir de froid sur le banc rauque :
attente"

"les ravines sans lien
le bruit brutal des gorges

(laps de temps : serrement
effeuillement)

la mémoire raboteuse des friches"

 

MARIE COSNAY
l'allée du bout du monde

"Nous sommes à la fin de l’été, les soleils frappent fort le matin et dans la journée continuent, montent. Je me perche sur la terrasse qui donne sur le jardin et j’étudie les chances du monde mais je me décourage. D’ailleurs les haies sont hautes, les mûres pourrissent à toute allure, quant aux voisins ils s’insultent, c’est leur rite d’aurore. Je n’hésite pas, je n’ai pas une pensée pour ce que je laisse, je prends mon petit baluchon et je monte dans le train qui traverse le pays et poursuit. L’évasion me mènera dans des terres chauffées par les explosions successives de volcans devenus fous, dans des temps post-historiques dont j’ai eu cent fois l’idée. Nous parlerons une langue nouvelle faite de balbutiements et je demande à voir."


MARIE COSNAY
A notre humanité

"Je pense à Elisée Reclus marchant, merveilleusement seul ou avec son frère, de Strasbourg à Orthez et de la Nouvelle-Orléans en Colombie. La liberté formidable de Reclus me séduit, la fluidité de ses déplacements me paraît appartenir à ceux devant qui le monde s'ouvre ou à ceux qui le forcent à s'ouvrir devant eux. Cependant Maryama Silve, prisonnière au mois d'août 2010 du Centre de rétention d'Hendaye, ne peut rejoindre sa fille de deux ans au Portugal. Et Sibide Alpha aux multiples identités après trente deux jours d'enfermement explique que si on veut savoir qui il est, il faut le deviner en cheminant à travers l'Europe, je suis fils de fils de fils de fils d'esclave dit-il et tous mes noms sont frères. Je pense à la solitude de Benoist Malon, gardien de porcs près de Précieux dans la Loire, à la solitude de Benoist Malon à Garambaud puis à Chalamond, à toute la solitude silencieuse, intellectuelle et amoureuse d'étude des Malon et des Reclus. Elisée devient fou sur la route de Satory, toujours marchant, cette fois au cœur d'un troupeau enchaîné et blessé, après que Châtillon est tombé le 3 avril."

 

ALBERT COSSERY

ALBERT COSSERY
La maison de la mort certaine

C'était l'hiver, le terrible hiver de l'Egypte misérable. La journée avait commencé dans l'horreur d'un froid glacial. D'abord, le vent avait harcelé la ville moderne et ses bâtisses en béton armé, pareilles à d'invincibles forteresses. Puis, il avait déferlé comme un sauvage sur les quartiers populaires. Là, aucun obstacle sérieux ne s'opposait à l'énormité de son élan. Il avait pris d'assaut l'infini des masures et rempli les venelles de son souffle dévastateur. C'était un vent glacial, chargé d'une humidité nocive. Il passait à travers les cloisons branlantes des taudis ; il pétrissait des ruines ; il s'enroulait autour d'infâmes décombres, soulevant partout l'odeur pestilentielle de la misère.


ALBERT COSSERY
Les fainéants dans la vallée fertile

L'enfant chargea sa fronde et, l'haleine suspendue, visa longuement. Puis il tira, la tête rejetée en arrière, la bouche ouverte, tout le visage rayonnant d' une excitation étrange. La pierre partit d' un trait en sifflant, se perdit dans les branches du sycomore. Alors tous les oiseaux s envolèrent en même temps, avec de petits cris d'effroi. C'était un coup raté.


ALBERT COSSERY
Un complot de saltimbanques

Assis à la terrasse du café, Teymour se sentait aussi malchanceux qu'un pou sur la tête d'un chauve.
Toute son attitude exprimait le désoeuvrement, le vide morbide, la désolation qui affectaient son âme en cet instant mémorable où il découvrait sa ville natale après six années d'absence passées à l'étranger. Son excès d'infortune lui conférait une sorte de prestige fatal, le faisant ressembler à quelque monarque déchu, victime d'une trahison universelle. L'air complètement hagard, il semblait figé dans la douleur; une douleur suffocante et qui allait s'amplifiant à mesure que son regard tentait d'assimiler avec une vive répugnance le terne paysage environnant.

 


ALBERT COSSERY
Les couleurs de l'infamie

La multitude humaine qui déambulait au rythme nonchalant d'une flânerie estivale sur les trottoirs défoncés de la cité millénaire d'Al Qahira, semblait s'accomoder avec sérénité, et même un certain cynisme, de la dégradation incessante et irréversible de l'environnement.


ALBERT COSSERY
Une ambition dans le désert

C'est pendant qu'il faisait l'amour à Gawhara - une fillette âgée d'à peine une quinzaine d'années, mais douée d'une sensualité prodigieuse - que Samantar jugea opportun d'éclaircir le mystère de ces attentats à la bombe qui se succédaient depuis quelques temps dans la ville, provoquant, par leurs bruyants éclats, les sarcasmes d'une population avide de festivités, fussent-elles meurtrières.


 

ALBERT COSSERY
Mendiants et orgueilleux

L'homme, grand et large d'épaules, se tenait debout dans son échoppe, comme une momie dans son sarcophage. C'était une étroite boutique, large d'un demi-mètre et profonde de trente centimètres à peine; elle était pleine de petites bouteilles remplies d'essences, de pots d'onguents et de fioles contenant des élixirs contre l'impuissance et la stérilité. Elle dégageait une odeur de parfum lourd et tenace, qui rendait l'atmosphère irrespirable jusqu'au bout de la ruelle, et même plus loin encore.

La violence et la dérision

 

PATRICIA COTTRON-DAUBIGNE
Journal du houx vert et de la bruyère

"Je ne suis pas partie dans les pâleurs de l'aube. J'ai vu l'or du couchant et senti le mal dans mon dos à creuser le terreau humide, j'ai sali mes mains dans cette terre lourde et épaisse. Bruyère d'automne, j'ai acheté deux petits pots chez Leclerc, je les ai mis dans un pot plus grand. J'ai ajouté de la terre, la terre du compost que nous fabriquons dans un coin du jardin. Tu nous avais appris. Voilà mes bruyères, pour toi, je les ai placées sur le vieux puits, mauves, je les vois de la cuisine, la grande pièce à vivre,

Et tout jeter, la bruyère les poèmes et soi
plein de terre
papa est mort "

FABIENNE COURTADE
Le même geste

bleu jacinthe bleu fondu

ce sont froissements d'ailes rouges
sur bord de périphérie

 

je reviens sur mes pas

la lumière de la fenêtre est maintenant
à la verticale

gris noir
avec des variations


la poussière est fractionnée

 

le ciel est sec
et sans bruit

pas d'ombre non plus

je dessine un lieu circulaire

quelqu'un respire

en me retournant
je vois

 

noir opaque

les corps sont posés
au milieu

avec des reflets

 

heureusement les poumons sont immenses
et rien ne se passe comme prévu

ainsi on peut murmurer
ramener un peu d'air
jusqu'à soi

on peut tenir jusqu'au matin

avec l'air resté sous les doigts

 

MIA COUTO
Tombe, tombe au fond de l'eau

"Je ne suis heureux que par paresse. Le malheur, c'est trop de boulot! Plus crevant qu'une maladie! Il faut y entrer et en sortir, écarter ceux qui veulent nous consoler, et accepter des condoléances pour une parcelle de notre âme qui n'est même pas morte."


CAROLINE CRANSKENS
gypsy blues

Dans le jour vert au loin
Un bateau se rapproche
Et s'arrime au brasier
Comment vivre sur terre ?
[demande un marinier à l'ombre de géant
En roulant, en allant.
[répond Nanosh soufflant
Sur les mots rescapés
Un long couplet s'ensuit
L'homme de l'eau est en vie
Il nous tend un filet où dorment des poissons
D'argent et doucement
S'endort en écoutant Nanosh s'abandonner
Au verbe désaxé
Rieur et zigzagant


CAROLINE CRANSKENS
Le trou derrière la tête

"L'ombre s'enchante
L'angoisse au total est un élan sacré
L'amour puisque la tête est pleine se vide
Entends le râle immense des notes à nu vrillantes
Graves non ! Graves aux extrêmes
Tintantes
Le trébuchement des notes l'éclosion
La graine morte donne le ton sifflé des dents
Le cycle à la lanterne
Le monde pelé credo bam digéré s'efface
Le tour est joué
Suis-je encore dans la cage ? Toi ?
Dernier cri de fièvre là je dormirai maintenant clac !
Tout contre l'enfance
La trace du monde sur le ventre le cercle
Et puis le trou derrière la tête
Le trou plein unique prisé tendre
Je suis sans nom le passage bam !
Le trou sans fin
La lumière

retour aux sonorités du monde
(je garderai les yeux ouverts)
"


CAROLINE CRANSKENS
devant la Machine

"...le temps est décousu
les mots cerclés, repris
les pleins feux répétés
les mots lentement détruits
aucune révolte qui tienne
aucun chemin tanné de l'enfance
que j'ai
tu as, nous avons sur les toits
une infinité chromatique de points entremêlés..."


STEPHANE CREMER

STEPHANE CREMER
GILLES A. TIBERGHIEN
Des apparences bien suivies

"L'amitié n'a sans doute que peu à voir avec un temps qui ne serait que chronologique et donc facilement mesurable. L'une sera dite ancienne, l'autre toute récente, une autre encore, éphémère cette fois, ne devant son registre qu'à un moment partagé dans cette tessiture à nulle autre pareille. Mais toutes forment peut-être cette « famille » qui serait enfin sans hérédité, sans père ni mère comme sans dieu ni maître, une fratrie orpheline aux liens indéfectibles et cela, même dans l' éloignement, même dans la rupture, comme en témoignent par exemple les Noodles et Max de II était une fois en Amérique. L'amitié, en effet, est un « Nouveau Monde »."

 


STEPHANE CREMER
compost/composto

"Tandis que le boto chasse en soufflant
dressé sur le sable des hauts-fonds
le soleil se loge sur l'Araguaia
dans les yeux des crocodiles
leurs braises balisant le fleuve de queimadas
d'une rive à l'autre où restent les oiseaux
blottis avec leurs noms propres depuis l'aube des temps
et veillant en secret à ce que le rio suive
son cours à l'aplomb de la Voie lactée
tractée par le cerf-volant de nos rêves"


STEPHANE CREMER
le banc

Plutôt que parents volatiles et tous ancêtres cannibales, tuteurs, gouvernantes, mentors, entre les mains desquels étouffer et disparaître au fond de regards bienveillants, plutôt que bulletins, métiers, diplômes et distinctions, fonctions, rencontres même, même les savoir-faire, les talents, le génie que sais-je? M'asseoir sur un banc, m'y asseoir ou m'y étendre ou selon l'heure m'y dresser sur la pointe des pieds à moins que je ne m'abrite à son ombre, et n'y rien faire qu'espérer sentir vivre là les oiseaux du ciel et les oiseaux des buissons, les nuages des ciels de l'oiseau et la fleur de son buisson, les bêtes farouches comme les téméraires, la promenade des amours au petit bonheur des chemins et ses échos dans le heurt de mon sang, sentir mourir tout ce qui naît et oublier le détail de l'écume comme perdre le sens du courant, ne retenir des traversées que la mer entière dont je ne sais si elle est toujours profonde, des voyages que la terre entière dont je ne sais si elle est toujours ronde, du ciel que sa couleur dont je doute qu'elle fût jamais peinte, ruisselant d'anciens embruns ou de soieils éteints, en silence jusqu'à ce qu'un mot enfin réclame que je le prononce dans l'encore secrète phrase d'un poème peut-être à venir et digne un prochain jour (qui est alors chaque fois un jour nouveau) que vous le repreniez tel un refrain entre des couplets que j'ignore et dont je m'applique seulement, sur l'écorce et dans les nœuds de ce banc où je demeure, comme depuis son cœur, à noter l'air. À nul d'entre nous, à aucun règne, à pas un royaume - ni des ténèbres ni des deux: au diable les dieux! - n'appartient la chanson.

ANTONIN CRENN
l'épaisseur du trait

"Alors, si la composition de Mondrian avait été une ville, Alexandre aurait habité au bord de ce rectangle-là, le long de la zone de délimitation entre le blanc et le noir, juste dans l’épaisseur du trait. Et il aurait été poussé vers le coin du tableau à chaque soubresaut de la ligne, espérant qu’un cahot plus énergique le projetterait hors du cadre."

 

CHANTAL CREUSOT
Mai en automne

"Au début des années cinquante, sur les côtes du Cotentin, vivaient à la lisière d'un bois, dans une sombre maison délabrée, une femme et son enfant. Jamais personne ne leur rendait visite.

GASTON CRIEL
l'os quotidien

préface de Jacques Josse

"DANS LA VILLE DESERTE, des enfants désolés; plus de soldats, plus de chocolat. Les filles sont attristées, plus de PX. Les commerçants sont affolés...Et les dollars?

A la porte barbelée, un chien traîne tristement, reniflant les dernières boîtes de corned beef abandonnées à la sortie du camp."


 

OUVRAGES COLLECTIFS

 


Alphonse Allais, Jules Bailly, André Léo, René de Maricourt, Eugène Pottier, Émile Second, Olivier Souëtre, Michel Zévaco
Demain, la Commune !: Anticipations sur la Commune de Paris de 1871 - Une anthologie (1872-1899)

 "La Commune de Paris, son mythe plus exactement, est en tout cas toujours vivace aujourd’hui, dépassant assez largement les efforts des historiens pour cerner au mieux l’événement, son déroulement le plus factuel mais aussi ses coulisses les moins éclairées. Elle est le creuset au cœur duquel la lame émoussée et refroidie du rêve peut se retremper à la flamme de l’utopie. À une époque où, pour paraphraser les mots d’un Fredric Jameson repris par bien des auteurs, il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, la Commune, ce « sphinx » ainsi que Marx la qualifiait, fait figure de toile sur laquelle brosser les projets d’alternative les plus divers, une toile nécessairement plus vierge de germes mortifères que celle du communisme réellement existant du XXe siècle, la violence des communards eux-mêmes étant largement surpassée par celles des Versaillais lors de la fameuse "semaine sanglante"."

 


 

EUROPE. Mars 2017. ECRIRE L'ARCHITECTURE


Anne Roche, Guillemette Morel Journel, Agnès Verlet, Pierre Hyppolite, Paul Andreu, Jean-Louis Cohen, Jean-Baptiste Para, Emmanuel Rubio, Nina Rocipon, Jean-Paul Goux, Frédérique Villemur, Luc Schuiten, Philippe Madec, Luca Merlini, Denis Pondruel, Pascal Amphoux, Nicolas Tixier.

« Seule entre tous les arts, et dans un instant indivisible de vision, l'architecture charge notre âme du sentiment total des facultés humaines », affirmait Paul Valéry. Le terrain sur lequel se propose de s'aventurer ce numéro d'Europe est celui des relations entre architecture et littérature. Il s'agit d'un domaine qui ne se prête guère à des délimitations simples ou à des cartographies sommaires. On en retire plutôt l'impression d'un archipel, ou peut-être d'une constellation de situations qui attestent de l'existence de ces rapports selon des modalités nombreuses, complexes et nuancées, mais sans qu 'elles forment un paysage que la pensée embrasserait d'un seul tenant. Comme l'a noté David Spurr, « chacune à sa façon, l'architecture et la littérature sont potentiellement les formes artistiques les plus illimitées dans leur compréhension de l'existence humaine, et ce fait justifie à lui seul la tâche qui consiste à les mettre en relation l'une avec l'autre ». Si chacun de ces deux arts procède nécessairement de façon autonome et relève de temporalités et modes de création distincts, il n 'en demeure pas moins que comparaison, parallélisme, correspondances et interférences sont autant de termes qui expriment la diversité des liens entre l'architecture et la littérature. A cet égard, le présent numéro d "Europe ouvre des perspectives passionnantes. D'Italo Calvino à Georges Perec, de Jean-Christophe Bailly à Jean-Paul Goux, de FernandPouillon à Paul Andreu, d'Alain Robbe-Grillet à Peter Eisenman, de Paul Valéry à Le Corbusier ou encore de Paul Celan à Daniel Libeskind, les interactions et les écarts entre architecture et littérature nous offrent ici l'opportunité d'une réflexion audacieuse et féconde."

 

"j'écris: j'habite ma feuille de papier, je l'investis, je la parcours." Georges Perec. Espèces d'espaces

"Ce détour par les cabanes pourra sembler étrange dans un dossier où il est question d'architecture et littérature. Le propre de la cabane ne serait-il pas, justement, de ne pas relever d'un projet de construction prédéterminé ? Je me rassure en me souvenant de Le Corbusier qui a lui aussi pensé (dans ses moindres détails !), construit et habité un « Cabanon » entouré d'un jardin. Aussi de Jean-Marie Gleize qui, dans ses deux derniers livres, énonce à répétition : « il faut construire des cabanes ». La référence à l'action politique et à la construction effective de bâtiments provisoires y est explicite, avec la présence dans le texte du groupe de Tamac, ou la mention de l'occupation de terrains par exemple à Notre-Dame-des-Landes (« octobre 2012 évacuation des terrains occupés. JM Gleize, Le Livre des cabanes »). Mais les cabanes peuvent aussi prendre d'autres formes de résistance :

"II faut (il faut construire des cabanes)

Faire de chaque page un poste de tir
Faire de chaque phrase un poste de tir
"
JM Gleize, Tarnac, un acte préparatoire

A Philippe MADEC: Que voulez-vous dire quand vous affirmez que «l'éthique de l'architecture se fonde dans la poésie» ?

Philippe Madec: "... Les tâches de la poésie et de l'architecture tendent d'ailleurs l'une vers l'autre. Comment ne pas vouloir pour l'architecture, ce que Roberto Juarroz définit comme "première condition de toute poésie digne de ce nom : ouvrir l'échelle du réel. Briser le segment conventionnel et spasmodique des automatismes quotidiens, se situer dans l'infini réel ou, si l'on veut, dans le fini sans limites, comme le prétendent certains scientifiques" (Poésie et Réalité).
« La poésie moderne trace un chemin d'humanité et de désintéressement et l'architecture est en quête de cette force-là, non plus comme puissance pour changer le monde, mais force de révélation, d'attachement, force du côté de l'amour. Ensemble elles diflractent la vie, l'une est visible ardent d'invisible, l'autre est parole ardente d'inouï. Ensemble elles s'adressent au présent, elles ajoutent du réel au réel et créent chaque fois plus de réalité. Mais (et là tout change) ce que fait l'architecture à la force de la matière, la poésie le fait à la force du mot, donne à voir au-delà du mot : "Débaptiser le monde, / sacrifier le nom des choses / pour gagner leur présence", ajoute Juarroz. La poésie creuse cet écart entre le monde et le mot, où se trouve la place du sens, à partir duquel l'homme peut habiter. L'architecture s'en nourrit et s'y fonde."

 


BENEDICTE GORRILLOT
L'illisibilité en questions

Avec Michel Deguy, Jean-Marie Gleize, Christian Prigent, Nathalie Quintane

Le présent volume est issu du colloque international « Liberté, licence, illisibilité poétiques » co-organisé en Californie par l'Université de Valenciennes (France) et la Point Loma Nazarene University of San Diego (USA). Ces journées ont mis à la question l'illisibilité poétique moderne. Ce jugement - qui concerne en réalité une certaine partie de la production contemporaine - résulte d'un quiproquo. La majorité des lecteurs demandent encore à la poésie de parler du Monde (extérieur) et d'eux-mêmes (comme êtres de ce Monde), alors qu'elle s'occupe surtout d'interroger la fonction phénoménologique du langage et les conditions de (l'échec de) la communication verbale entre les êtres parlants. Ces journées ont donc remis en question l'évidence avec laquelle un large public qualifie volontiers celle-ci d'illisible. Le titre initial du colloque a été infléchi pour insister sur cette problématisation.

Michel Deguy, Jean-Marie Gleize, Christian Prigent et Nathalie Quintane étaient les invités d'honneur de ce congrès. Leur choix a été motivé par le désir d'interroger la variété des accusations contemporaines d'illisibilité poétique. D'autres auteurs français et anglo-saxons ont enrichi la manifestation de leur présence active (interventions, débats ou lectures) : Jean-Noël Chrisment, Raymond Federman, Jérôme Game, Pierre Joris et Jérome Rothenberg. Des communications sur d'autres poètes français ont élargi le spectre d'étude, même s'il ne pouvait être envisageable d'embrasser la totalité des écritures problématiques durant ce seul colloque.

"TOI AUSSI, TU AS DES ARMES"
poésie & politique

J.-C. Bailly, J.-M. Gleize, C. Hanna, H. Jallon, M. Joseph, J.-H. Michot, Y. Pagès, V. Pittolo, N. Quintane

J.-C. Bailly :"Le poème doit toujours se tenir sur le seuil, dans l'ouverture de l'accès où l'absolument distinct résonne."

"Mon livre est un livre engagé dans la mesure où il m'engage à vivre ce que j'ai écrit" (Pierre Guyotat)

J.-M. Gleize : "Je sais maintenant qu'il faut claquer la porte. Se tenir debout dehors et oublier les images. La question révolutionnaire est désormais une question musicale. Se tenir debout dehors, écouter le vent."

"Il va de soi que la prolifération des structures éditoriales autonomes, la multiplication des modes d'intervention publique, la culture de réseaux (en place du fonctionnement groupai), l'appropriation de tous les outils de la communication contemporaine, leur usage direct ou décalé, détourné, etc., tout cela participe d'une réponse politique à la pression du contexte. Nous construisons nos propres cabanes. Et les chemins qui les relient."


"Une certaine négation de la politique par la poésie est politique. Surtout si l'on veut bien admettre par ailleurs cette pratique de l'écriture de poésie comme négation endurante de «la» poésie : aucun message achevé, refus de la revendication, maintien à hauteur d'énigme, réalisme radical.

Encore et toujours pour tout ce qui parle «à voix intensément basse ».



De Jonas à Moby Dick
Variations autour d'un cachalot

Anthologie de textes inédits (sauf quatre) et d'oeuvres originales commandées à des auteurs et des plasticiens sur le thème des grands mammifères marins. Cette anthologie a été réunie par Bernard Lagny pour l'exposition du même nom qui sera présentée à partir de janvier 2013 dans différents lieux publics.

"Sur l'île, personne ne me parle. Dès que la nuit tombe, je descends South Water Street en baissant la tête et en longeant les murs pour rejoindre les entrepôts situés près des docks. C'est là que je gagne mon pain. J'ai un chien et une lampe-tempête. Avec eux, je veille sur les hangars.

Cela dure jusqu'à l'aube. Je fume cigarette sur cigarette. De temps à autre, je fais ma ronde. Je jette un œil vide sur l'océan. Il vibre et se tord. Au loin, des lanternes vacillent. Ce sont celles des bateaux qui partent. Je sais que je suis à jamais interdit de séjour à leur bord.

Même la plus petite barque m'évite." Jacques Josse

 


YANNICK LECOQ
Avec mes yeux
Mitmeinen augen

A mes parents, à mes enfants

... La photo de l'être disparu vient me toucher comme les rqyons différés d'une étoile ...
Roland Barthes, La chambre claire

Les portraits proviennent d'une classe de petite et moyenne section de maternelle. Les élèves étudiaient les expressions du visage. La consigne fut simple, quoique difficile pour un enfant: poser devant l'appareil sans rien exprimer.
En résulte un ensemble touchant et inhabituel où le regard distant et interrogatif, plutôt emprunt à celui de l'adulte, remplace l'image naive et consensuelle que l'on se fait de l'enfance.
Cette série de photos s'est ensuite retrouvée auprès d'écrivains poètes. Les textes présents dans cet ouvrage sont le fruit de cette rencontre subtile.
Avec mes yeux offre un autre regard sur l'enfance, un clin d'œil à l'adulte qui sommeille en chaque enfant, un hommage à l'enfant qui est en nous.
Yannick Lecoq


29 poètes autour de 25 portraits d'enfants

Paul Badin , Hervé Bauer, Jean-Louis Bergère, Daniel Biga, Alexandra Bougé, Didier Bourda, Olivier Bourdelier, Bernard Bretonnière, Christian Bulting, Patricia Cottron - Daubigné, Christian Degoutte, Ludovic Degroote, Pierre Dhainaut, Nicole Drano Stamberg, Mohammed El Amraoui, Antoine Emaz, Claude Favre, Albane Gellé, Fred Griot, Cécile Guivarch, Roger Lahu, Thierry Le Pennec, Camille Loivie, Henri Meschonnic,Fabio Pusterla, James Sacré, Jean-Claude Touzeil, Pierre Antoine Villemaine

FRANCK. COTTET
ROGER LAHU
Chorus autour d'un puits

Personne n'irait
chercher
au fond d'un verre de rhum
la clef des serrures
de portes sans maisons
et pourtant...

(R.L-poème pour Pessoa)

La clé de toutes les
serrures dans ta tête
est-elle vérité d'eau claire?

(F.C-poème du doute)

Au bout du bar

Claude Andrzejewski
Yves Bergeret
Lionel Bourg
Michel Dugué
Gilles Ortlieb
Robert Piccamiglio
Jean-Claude Pirotte
Lambert Schlechter

"Faites-vous d'abord des lieux, conseillait Joubert. Quand on n'est nulle part, on s'installe en passant. Je me demande en quoi mon cas serait différent de celui des autres." Jean-Claude Pirotte

Collectif (B.Pingaud, JM Le Sidaner, BO Lancelot, P Virilio, J Duvignaud, G Perec, J Roubaud...)
Georges Perec

Et si l'imaginaire n'était pas seulement une réplique affadie du réel, s'il n'était pas plutôt la façon dont nous magnifions les lieux ou les êtres en multipliant les distances, les angles d'attaque, les prises, en improvisant toujours de nouvelles danses autour de l'Autre? (L'ESPACE ET SON DOUBLE)

 

D'après une idée originale de Hervé Merlot
Banlieue de Babylone
Richard Brautigan's friends.
justin Barrett, Eric Dejaeger, Jean-Marc Flahaut, Jason Heroux, Roger Lahu, Hervé Merlot, Thomas Vineau


justin.barrett

heureux endroit

vous n'êtes pas sans savoir,
considérant de quelle affreuse façon les choses se
terminèrent entre nous,
que quand mon thérapeute
me demande de
trouver un souvenir heureux
auquel me raccrocher,
ou quand je suis en
terrible besoin d'une pensée agréable
pour revenir sur terre en des temps
d'irrésistible panique,
je pense à l'époque où cet automne
nous sommes allés camper dans les
montagnes ; près de ce
lac calme et bleu
et à la présence de
trembles d'un impossible jaune ;

quand je savais encore
comment rire,

et que tu savais
encore comment
m'aimer.

 

roger lahu

« Une chance de trop ? »

oui mais laquelle ? montant l'escalier
j'ai lu ce titre sur la couverture d'un polar
(il y a des livres sur chaque marche):
« une chance de trop »
et me suis demandé
(sans y bien réfléchir)
« oui mais laquelle ? »
suis monté
me suis assis
devant 1' écran
j'ai écrit
« une chance de trop »
mais je me demande
toujours
« oui mais laquelle ? »
je sens que je ne m'en sortirai pas
de ce piège là
ne me reste qu'à
descendre
et me resservir
un autre verre de rouge
en remontant
je fermerai les yeux
pour éviter
de me poser
de fausses questions

Intime Loire

photographies et poèmes
Editions Livre mémoires

José Saudubois

Danièle Sallenave

Bernard Bretonnière
Franck Cottet
Patricia Cottron-Daubigné
Antoine Emaz
Brigitte Gyr
Alain Jégou
Francis Kembel
Roger Lahu
Yves Leclair
Lise Lundi-Cassin
Jean-Claude Martin
Isabelle Pinçon


végétal vertical

désordre de membres muscles
grippant plus bas
dans le pourri profond
le temps du fleuve et de la terre
de quoi
aller vers le haut l'air
et la lumière de Loire

l'arbre ne dit rien

chacun son linge sale de racines
chacun son élan muet hors
mort

Antoine Emaz

Ah c'est rouerie narquoise assez
qu'il a cet arbre-là
si tors et si noueux
et si tant entremêlé sur lui-même
qu'on ne sait où tronc branches et racines

"De quoi bûcheron perplexe
y perdre
ton latin d'abbattage!"

Semble-t-il se gausser

Roger Lahu

BERNARD CEYSSON, JEAN-MARIE LHOTE, CHRISTINE MANESSIER
MANESSIER

"J'aimerais vous revoir mais la vie nous sépare bêtement et je ne vous vois qu'à travers vos peintures et vos peintures, c'est exactement votre visage."
Jean Cayrol à Alfred Manessier (1966)

HERVE RAKOTO RAMIARANTSOA
CHANTAL BLANC-PAMARD
Le terroir et son double
Tsarahonenana 1966-1992
MADAGASCAR

"Ce sont des gens de pirogue, à la fois gens de racine et gens de voyages, gens de lieux et gens de routes."