"La poésie se doit d'être un acte plus qu'un écrit, un moment de l'existence en mouvement vers son sens plus que la création d'un objet verbal dont son auteur ne serait qu'une dimension parmi d'autres."(Yves Bonnefoy, Livres et documents) La leçon inaugurale au Collège de France, en 1981, présente la poésie comme un projet, lequel porte "non sur des mots dans un manuscrit, mais sur des notions, sur des expériences, dans une pratique de vie"(Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie). Dès lors, "la poésie n'est rien d'autre, au plus vif de son inquiétude, qu'un acte de connaissance".(Ibid)
Il s'agit d'échapper à la clôture des mots, d'entendre ce qui est au-delà, de s'en faire le témoin, de l'attester.
La parole poétique naît d'une décision continuée. Fragile, elle est une parole discrète - au double sens de ce terme.
Le recours à la parole poétique offre au philosophe de courber réellement son propre discours vers l'exploration de la finitude.
"L'être n'est pas, sauf par notre vouloir qu'il y ait l'être." (Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie)
"La rencontre de la demande et du don ne devrait-elle pas se faire un dialogue, si ce n'est discussion, avec pour ce faire un vocabulaire que nous puiserions dans le tâtonnement des poèmes?"
"L'arbre n'est pas au-dehors de moi ou de la personne à qui je m'adresse, il n'est pas au-dehors de nous, il est une part de nous, aux marges du corps vivant mais en continuité avec lui. Disons qu'aux débuts de l'humanité celle-ci le prit dans son acte même d'exister, instinctivement, comme un naufragé agripperait une planche. Elle n'en fit pas un objet mais un aspect de sa vie." (Yves Bonnefoy, Le sommeil de personne)
"Le vrai commencement de la poésie, c'est quand ce n'est pas une langue qui décide l'écriture, une langue arrêtée, dogmatisée, et qui laisse agir ses structures propres; mais quand s'affirme au travers de celles-ci, relativisées, littéralement démystifiées, une force en nous plus ancienne que toute langue; une force, notre origine, que j'aime appeler parole."(Entretiens avec Bernard Falciola, Entretiens sur la poésie)
Yves Bonnefoy courbe la véhémence ontologique que réclame le philosophe. Le même souci, la même tension y opère mais le poète plonge davantage, au-delà de toute signification, vers la "matière nue". Il incite le philosophe à redevenir passant, il lui suggère d'accorder un peu moins aux idées, au regard, un peu plus à ses gestes, à l'incertitude et au tâtonnement de ses mains.