Jacques Rancière : "Dés-expliquer, c'est défaire les liens que l'opinion de l'inégalité a partout serrés entre le perceptible et le pensable. C'est donc une double opération : d'un côté, elle défait les mailles du voile que le système explicateur a étendu sur tout phénomène donné à la perception. Elle rend ainsi à leur singularité les choses que ce système avait prises dans ses filets et les rend disponibles pour la perception et l'intelligence de n'importe qui. De l'autre, elle restitue leur opacité, leur absence d'évidence aux modes de présentation et d'argumentation qui étaient censés les éclairer. Elle substitue ainsi une communauté d'êtres parlants égaux à la distribution des positions qui reproduit indéfiniment la distance des savants aux ignorants."
Eric Vuillard : " Au fond, la puissance d'interprétation de Jacques Rancière, ce qu'on pourrait appeler son art, le nouage de l'idée et de la pratique, est liée au fait que son écriture établit une relation où son lecteur n'est plus seulement face au livre, mais où il navigue entre son commentaire, ses conjectures, et le texte des autres, ceux que le savoir évince, excepte, les ouvriers de La Nuit des prolétaires, Gauny, Le philosophe plébéien, et le fantasque Jacotot.[...] Et par tout un jeu oblique, serré, d'amplifications, de développements, Jacques Rancière établit avec l'autre le rapport dont il traite. C'est la beauté d'une écriture que de rendre au lecteur son pouvoir de penser et d'espérer."
Bernard Aspe : " Il s'agit de trouver le détour qui va permettre à la vie de ne pas demeurer rivée à son cours, de ne pas s'affaisser sous le poids de sa propre inertie. C'est par là que la vie ordinaire elle-même peut se relancer, « se porter au-delà d'elle-même pour prendre soin d'elle-même »."
Anders Fjeld : " Brèches, écarts, interruptions, intervalles, désidentifications : au cœur de la pensée de Rancière se trouve la fascination pour les horizons ouverts, les possibilités redistribuées et les effets produits par des détournements et des pas de côté. "
Patrick Cingolani : " À la parole qui fait taire, celle de l'expert ou du rhétoricien, à celle qui cimente, Rancière oppose les multiples manifestations d'une parole qui ne conclut pas mais ouvre l'espace d une poétique de la traduction mutuelle comme autant de points de départ d'un éveil intellectuel, d'un éveil à l'émancipation."
ANDREÏ PLATONOV
Jean-Baptiste Para : "La slaviste Angela Livingstone a écrit des pages remarquables sur l'effet que le style de Platonov produit chez le lecteur. Lire Platonov nous expose à plus de risques que d'autres écrivains : « Être séduit par le choix et l'agencement des mots de Platonov, c'est être affecté par leur subtile incorporation d'insécurités. Ce style décourage la pensée tout en provoquant l'anxiété et l'irritation : nous sommes amenés à accepter des juxtapositions intenables [...]. En même temps, nous sommes (ou beaucoup de lecteurs sont) inexplicablement envoûtés. [...] Platonov n'endommage pas seulement ses lecteurs, il les restaure. Il nous met en danger mais nous délivre aussi—par des moyens détournés, des dispositifs curieusement cachés. »
"Appuie, pour que les plantes sortent des pierres », murmura Pioussia avec une excitation sourde. Il manquait de mots pour crier - il ne faisait pas confiance à ses connaissances. [...] Le soleil n'avait pas besoin dePioussia s'appuyer sur la terre avec sécheresse et fermeté-et la terre première, dans la faiblesse de son épuisement, laissa couler le suc des herbes, l' humidité de ses argiles et laissa frémir toute la steppe élargie et velue, tandis que le soleil devenait incandescent et se pétrifiait dans un effort sec et patient."( A. Platonov. Tchevengour)