"Pour dire les choses simplement, la situation des escargots à Hawaï est catastrophique. Lors de nos échanges, Dave et ses collègues ont décrit une crise à grande échelle qui va s’accélérant. Ces îles ont abrité autrefois l’un des assemblages les plus divers d’escargots que l’on pouvait trouver sur terre ; des centaines et des centaines d’espèces uniques, de diverses formes, couleurs et tailles. On pense que près des deux tiers d’entre elles sont déjà éteintes, la plupart au cours des cent dernières années. Tout aussi important, la majorité de celles qui perdurent prend vite la même direction. Dave estime qu’au moins cinquante espèces sont actuellement menacées."
"On sait peu que, parmi ses nombreux trésors biologiques, Hawaï est une terre d’escargots. Alors que l’on trouve des escargots dans le monde entier – ils vivent de fait sur tous les continents et les archipels insulaires en dehors de l’Antarctique –, bien peu d’endroits offrent une variété approchant celle que l’on trouve dans ce chapelet d’îles. À ce jour, environ 750 espèces d’escargots terrestres hawaïens ont été identifiées par les taxonomistes."
"Le taux ahurissant d’extinction des escargots d’Hawaï reflète une tendance plus générale. Nous vivons en pleine sixième extinction de masse. Partout dans le monde, des espèces disparaissent en masse. L’extinction est évidemment un phénomène inévitable de la vie. Avec le temps, toutes les espèces finiront par prendre le même chemin que les dinosaures. Mais aujourd’hui ces pertes augmentent considérablement : on pense que les espèces disparaissent cent ou mille fois plus vite que le taux normal. Au milieu de toute cette perte, les escargots ont été particulièrement touchés. C’est un fait généralement mal connu, y compris par les conservationnistes. Les escargots ne suscitent pas beaucoup d’inquiétude, semble-t-il. Néanmoins, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont le rôle est de tenir la liste de ces événements, il y a eu au niveau mondial bien plus d’extinctions documentées de gastéropodes – escargots et limaces – que de tous les oiseaux et mammifères réunis.
Des endroits comme Hawaï sont des épicentres de l’extinction des gastéropodes, et d’autres îles connaissent aussi un taux de perte important, le phénomène est mondial. "
"À travers leurs modes d’existence distincts, chacune de ces espèces d’escargots – et de fait chaque membre individuel de chaque espèce – crée son propre Umwelt. Apprécier cette situation, c’est être poussé à rencontrer une autre strate de la tragédie de l’extinction. C’est en venir à apprécier, comme l’a remarqué Vinciane Despret, que c’est la totalité d’un monde qui est perdu dans une extinction : " Chaque sensation de chaque être dans le monde est un mode à travers lequel le monde vit et se sent… [et quand] un être n’est plus, le monde se rétrécit soudain, et une partie de la réalité s’effondre. "
De ce point de vue, cette période de perte incroyable de biodiversité doit être reconnue comme un moment où, selon la philosophe Eileen Crist, avec la destruction des espèces, des habitats et des populations, nous éliminons d’innombrables mondes expérientiels qui se sont " élaborés au travers d’émotions, d’intentions, de compréhension, de perceptions, d’expériences – autrement dit, à travers une variété d’êtres sensibles qui ont façonné et orné le monde-comme-chez-soi. ""
"Les invertébrés constituent la grande majorité du règne animal, probablement quelque chose de l’ordre de 99 %. Pour chaque espèce de tigre, de baleine, de chouette ou de grenouille, il y a environ cent sortes différentes de crabes, de fourmis, de vers, de méduses et d’escargots. Ces espèces essentielles contribuent aussi, d’un nombre incalculable de manières, à la santé de notre planète. Même s’il s’agit encore d’un domaine relativement peu étudié, de plus en plus de travaux soulignent les rôles significatifs de ces espèces qui décomposent, pollinisent, dispersent les graines, recyclent les nutriments et bien plus encore, des rôles qui se réduisent avec le déclin des invertébrés."