ECLATS DE LIRE 2025
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JAMES BALDWIN
Harlem Quartet

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Christiane Besse

"Je ne crois pas qu’on puisse vraiment haïr son pays, je ne le crois pas possible, mais il est certainement possible de mépriser le chemin que prend ledit pays et les gens qui sont élus pour le mener le long de ce chemin. Si j’avais été un Blanc, j’aurais eu franchement honte d’envoyer un Noir se battre pour moi où que ce fût. Mais la honte est un sentiment individuel, non collectif et, collectivement parlant, les Blancs sont sans vergogne. Ils ont la mémoire la plus courte de tous les peuples du monde – ce qui explique, sans doute, pourquoi ils n’ont aucune honte."

 


MARIETTE NAVARRO
Ultramarins

"Il y a les vivants, les morts, et les marins.
Ils savent déjà, intimement, à quelle catégorie ils appartiennent, ils n’ont pas vraiment de surprise, pas vraiment de révélation. Ils savent, à chaque endroit où ils se trouvent, s’ils sont à leur place ou s’ils n’y sont pas.
Il y a les vivants occupés à construire et les morts calmes au creux des tombes.
Et il y a les marins."

"Elle connaît la sensation de l’arrivée au port, d’être écrasée par une ombre, affolée par la ferraille. Tout l’horizon soudain bloqué par la masse. Plus rien ne rentre dans aucun cadre. Elle aime ce moment-là, au seuil de son bateau, quand l’espace d’un instant elle ne sait plus quelles sont les justes proportions, quelle est l’échelle des valeurs."

"...L’écriture s’est poursuivie à la Maison de la poésie de Rennes à l’automne 2016."


Mariette Navarro, Résidence d'automne, Maison de la Poésie de Rennes
Jeudi 17 novembre 2016, Théâtre de l'ADEC

"Les chemins contraires" sur Radio Univers

Lecture à l’occasion de l’édition 2013 du festival des Polyphonies organisé par la Maison de la Poésie de Rennes: "Impeccable ça commence aujourd'hui" sur Radio Univers


KAZUO ISHIGURO
Klara et le soleil
Traduction de l'anglais de Anne Rabinovitch

"« Je pense que je déteste Capaldi parce que je soupçonne qu’au fond il a raison. Que ce qu’il prétend est vrai. Que la science a désormais prouvé sans conteste que ma fille n’a rien de si exceptionnel, rien que les outils modernes ne puissent creuser, copier, transférer. Que les gens ont vécu ensemble tout ce temps, des siècles entiers, qu’ils se sont aimés et haïs, sur une base totalement erronée. Une sorte de superstition que nous avons entretenue faute de mieux.» "


LEO MAGNIN
La vie sociale des haies

"Alors que des politiques de plantation existent depuis plus de quarante ans, la disparition des haies ne marque pas de halte, mais se poursuit. À en croire les derniers chiffres avancés par un rapport du ministère de l’Agriculture en 2023, le rythme de la diminution aurait même plus que doublé . L’érosion serait ainsi passée de 10 400 kilomètres de haies perdus chaque année entre 2006 et 2014 à 23 500 kilomètres par an pour la période 2017-2021. Dans le même temps, environ 3 000 kilomètres de haies auraient été plantés chaque année. Malgré des politiques de plantation nationales, régionales, départementales et locales, la France perdrait donc quelque 20 000 kilomètres de haies tous les ans, soit près de 1,5 % du linéaire total. "

"Les haies sont alors massivement arrachées : entre 1975 et 1987, le linéaire de haies en France passe de 1 244 110 kilomètres à 707 605 kilomètres. Au cours du XXe siècle, 1,4 million de kilomètres de haies, soit 70 % du bocage, ont été détruits."


"L’irruption de la règle qui protège les haies depuis 2015 suscite de l’embarras dans toute la France. Fin 2014 et début 2015, aux niveaux local et national, les principaux syndicats agricoles ont appelé à enfreindre la règle par anticipation. Confirmé par plusieurs sources, le message qui circulait alors était en substance : "  les haies vont être protégées, si vous les gardez, vous allez être embêtés, donc vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous souhaitez être tranquilles."

Evolution comparée des parcellaires entre 1950-1965 et 2016 d'un village de Limagne
Echelle 1/75 055

"En France, la politique agricole s’inscrit dans la tendance technosolutionniste, alors que la technocritique occupe les marges des instances politiques . Le 12 octobre 2021, dans le cadre du plan « France 2030 », le président de la République Emmanuel Macron annonçait « trois révolutions » pour l’agriculture : « le numérique, la robotique, la génétique »."

"La question sociale de la reprise des exploitations est ici fondamentale, parce qu’elle révèle un décalage : des haies sont certes plantées, mais la temporalité de l’arbre s’étale sur des décennies, alors que les exploitants de cinquante-cinq ans ou plus représentent 43 % des agriculteurs . De même, la coexistence d’une « PAC de la haie » et de politiques fiscales qui poussent au suréquipement machinique, un phénomène qui préoccupe la gauche paysanne , mais aussi le ministère de l’Agriculture lui-même , est paradoxale, quand on sait que la taille des tracteurs conduit à détruire d’anciens chemins bordés de haies, devenus trop étroits. "

"Décréter que les haies doivent être plantées et protégées sans s’attaquer aux mécanismes socioéconomiques qui déterminent leur destruction depuis des décennies est illusoire. Ce constat est renforcé par le fait que le « Pacte en faveur de la haie » coexiste avec l’encouragement d’une économie politique centrée sur la mise en concurrence d’un nombre d’exploitations toujours plus restreint, incitées à standardiser leurs parcelles. "


HARUKI MURAKAMI
La cité aux murs incertains

Traduction du japonais de Hélène Morita avec la collaboration de Tomoko Oono

" Notre esprit est-il vraiment si nébuleux et décousu ? Ou bien les messages qu’envoient les vieux rêves sont-ils aussi fragmentés et confus parce qu’ils proviennent non pas de pensées cohérentes, mais d’un amas de scories ?"

"Cette nuit-là, le jeune Yellow Submarine et moi nous sommes rencontrés dans la petite pièce sombre au plus profond de ma conscience. Nous nous sommes assis en face l’un de l’autre à la petite table où, comme toujours, brûlait une fine bougie. Nous avons contemplé la flamme en silence durant quelques instants. Elle tremblotait à la cadence de notre respiration paisible.
« Avez-vous bien réfléchi ?
J’ai eu un signe de tête pour dire oui. « Et vous n’avez aucun doute ?
— Non, je pense que je n’en ai pas », ai-je répondu. Je pense que non."

La page Haruki Murakami sur Lieux-dits


JAMES BALDWIN
L'homme qui meurt

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Jean Autret

"Je ne puis supporter aucune des villes américaines que je connais, et je les connais, ou du moins les ai traversées, presque toutes. Presque toutes me semblent dures et hostiles, et d’une laideur excessive. Quand une ville américaine a du caractère, quand elle a la moindre saveur, elle est alors généralement comparable, c’est le cas de Chicago par exemple, à une soupe dans laquelle on a versé un peu de tout, mais qui est maintenant vieille, tiède et rance, tous ses ingrédients ayant suri. Toutes les villes américaines me font l’effet de bouillonner dans une espèce de bain de sang, un sang épais, visqueux, âcre et nauséabond, et cela peut vous rendre très triste de marcher dans les rues de La Nouvelle-Orléans et de vous demander pourquoi une cité qui, après tout, ne souffre d’aucun handicap physique insurmontable doit être aussi inexorablement inhabitable."

"Sur le mur, il y avait quatre écrans, et sur ces écrans des silhouettes d’ectoplasmes et des visages qui se contorsionnaient à l’infini allaient et venaient l’un dans l’autre, sur un effroyable rythme sexuel qui me faisait penser aux créatures anonymes s’accouplant aveuglément dans la fange du monde, et au fond des mers, et dans l’air que nous respirions, et dans notre propre corps. De temps à autre, sur cet écran, on reconnaissait un visage. Je vis les traits de Yul Brynner, par exemple, et pendant quelques instants je vis les miens. Christopher posa une main sur mon épaule."


JEAN BAUDRILLARD
JEAN NOUVEL
Les objets singuliers

Jean Baudrillard: "L'universel, justement, c'est encore un système de valeurs, tout le monde peut y accéder, en principe, il fait encore l'objet de quelques conquêtes. Bon, petit à petit, il se neutralise, toutes les cultures se juxtaposent, mais l'effet produit reste quand même une égalisation par le haut, par la valeur, tandis que dans le processus de mondialisation, on assiste au nivellement par le bas, au plus petit dénominateur commun, c'est la « disneyification » du monde. Et je crois que, au contraire des valeurs qui animent l'universel, la mondialisation sera le théâtre d'une discrimination intense, le lieu de la pire discrimination. Ce sera une mondialisation « pyramidale », si je puis dire. La société qu'elle générera sera toujours plus dissociée et ce ne sera plus une société de conflit. On a l'impression qu'entre les deux, c'est-à-dire entre ceux qui jouiront de privilèges informatiques, les futurs informatisés, et les autres, la transmission aura été brisée. Les deux parties de la société auront été déconnectées, elles iront chacune leur chemin de manière parallèle, et l'une ira de plus en plus vers la sophistication du savoir, la vitesse, tandis que l'autre vivra dans l'exclusion - mais sans conflits, sans passerelles. C'est autrement plus dangereux qu'une révolte, car c'est la neutralisation du conflit lui-même. La lutte de classes, n'en parlons plus ! Il n'y aura même plus de « clashs ». Ne parlons pas de révolution ! Il n'y aura même plus de rapports de forces, le fusible a fondu. Voilà la mondialisation. Dans la terminologie anglaise, on dit « globalisation » - qui concerne davantage le marché économique. Nous, avec notre terme « mondialisation », on entend quelque chose de plus vaste. Mais c'est le même processus qui a cours, si tu l'entends vraiment dans la dimension du concept. C'est une identification, une totalisation - du champ de la neutralité -, elle s'oppose l'universel qui était une idée, une valeur, une utopie. Là, nous sommes dans la dimension du « réalisé ». A l'universel, c'est le particulier qui s'oppose, à la mondialisation, c'est alors la singularité, autrement dit une radicalité d'un autre ordre. Et qui n'entre pas, à la limite, en conflit direct entre forces antagonistes. Ce n'est pas une force révolutionnaire, ça existe ailleurs, ça se développe ailleurs, ça disparaît. Il est intéressant de voir, d'observer ce qui restera d'irréductible à ce processus de mondialisation, à ce mouvement irréversible. Ce mouvement est un système, contrairement à ce que voudrait indiquer le terme, car le terme « mondialisation » semble dire que tout est englobé là-dedans. Or, ce n'est pas vrai, ce mouvement va créer une espèce d'hypersociété virtuelle qui aura en mains tous les moyens, ça, c'est clair, tous les pouvoirs, qui sera une minorité absolue, de plus en plus minoritaire et en grande majorité - en termes génériques - le reste sera vraiment en condition d'exclusion."

La page Jean Baudrillard sur lieux-dits

2000


 

JOSEPH CONRAD
La Ligne d'ombre
Traduction de l'anglais de Jean-Pierre Naugrette

"Il fit remarquer en passant que de Bangkok à l'océan Indien, ce n'était pas la porte à côté. Et son murmure, telle la lueur émise par une lanterne sourde, me fit entrevoir cette large ceinture d'îles et de récifs qui séparait ce navire inconnu, le mien, et la libre vastitude des mers du globe."


JAMES BALDWIN
La chambre de Giovanni

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Elisabeth Guinsbourg

"Il y avait les habituels clients, avec leur début de brioche, leurs lunettes et leurs yeux avides et parfois désespérés, et des garçons minces comme des lames de couteau, avec leur pantalon moulant, dont on ne savait jamais si c’était de l’argent, de l’amour ou du sang qu’ils cherchaient."

"C’est sans doute maintenant que les grilles s’ouvrent devant Giovanni et claquent en se refermant derrière lui pour ne plus jamais se rouvrir ou se refermer pour lui. Ou peut-être tout est-il déjà fini. Ou peut-être tout commence à peine. Ou peut-être est-il encore assis dans sa cellule et regarde, avec moi, le jour poindre. Peut-être, en ce moment même, des murmures s’élèvent à l’extrémité du couloir, trois hommes en noir, grands et forts, se déchaussent, l’un d’eux tient un trousseau de clefs ; la prison est silencieuse, elle attend, vibrante d’appréhension.
Trois étages plus bas, sur le sol pavé, tout est silencieux, comme suspendu ; quelqu’un allume une cigarette. Va-t-il mourir seul ? Je ne sais pas si, dans ce pays, la mort est une affaire solitaire ou publique."


1952

BOHUMIL HRABAL
Rencontres et visites
Traduction du tchèque de Claudia Ancelot

"Du haut de l’hôpital Bulovka, les collines dévalaient vers le fleuve bordé de sentiers où des femmes charriaient leurs ventres lourds alors que les enfants qu’elles avaient mis bas depuis peu jouaient déjà seuls dans la pluie d’or des forsythias ; partout régnait le culte stérile du soleil et cette vision affichée partout soutenant que le petit Jésus avait fréquenté l’école maternelle du quartier de Liben."

La page Bohumil Hrabal sur Lieux-dits


BOHUMIL HRABAL
La trilogie des souvenirs
Traduction du tchèque de Claudia Ancelot


Les noces dans la maison

"Alors, il m’embrasse, il me remercie, il serre la main de mon mari dans les siennes, jamais je n’ai vu M. Baumann faire ça, en général il ne donne pas la main, mais juste le coude, mais pour mon mari c’est des deux mains qu’il serre les doigts empotés du professeur, oui il tient les mains du professeur dans les siennes, puis il ouvre ses paumes, tâte ses cals, mon mari sourit parce qu’il est fier de ses mains. Après quoi, le cuisinier dévale les marches, les chauffeurs de la Spalená ont aussi pris congé, le chef de l’entrepôt de récupération me remercie et les invités qui ne sont venus que pour un moment, qui ont fait un saut et doivent retourner au travail profitent du camion…
Mon mari prend les cadeaux, moi j’ouvre les paquets, tout en buvant du champagne et pour accompagner le champagne nous versons à qui en veut de la vodka russe, je me souviens que papa aimait boire le champagne avec du cognac ou avec de la vodka, il appelait ça un « ours russe », nous déballons nos cadeaux de mariage, des brocs et des cendriers démodés, tous ces cadeaux de mariage sont passés par plus d’un mariage, moi je sais que jamais je ne les mettrai chez moi. Břet’a commente chacun des cadeaux :
— Oh là, ça c’est une rareté, oh, on n’en fait plus des comme ça, c’est pas au marché U Kotců que vous auriez trouvé ce machin.
Et il promène son regard sur les invités de la noce.
— Ah oui, ça, ça doit venir de chez Saint-Vojtěch, de l’entrepôt. Et ça, de ma vie je n’ai rien vu de pareil, tu sais, frérot, tu devrais faire assurer ce truc sur-le-champ ou, si tu veux, pour ne pas te le faire voler ici, sur place, mets-le tout de suite à la poubelle !
Mais il est tombé sur le cadeau de mariage de Lizaj, elle est vexée et remonte chez elle en vitesse. "

1986


Vita Nuova

"Après quoi mon fiston a dû faire le télégraphiste à la gare puis il est passé sous-chef mais ça ma petite fille je vous l’ai déjà raconté mais je ne vous ai pas raconté comment mon fils a passé un examen à la gare de Kostomlaty un examen pour pouvoir assurer seul le service dans une gare… alors sont arrivés de Hradec ces messieurs dont tous les chefs et sous-chefs de gare avaient peur… et l’inspecteur des transports Chmelec entouré de son personnel a demandé à mon fils… Si les sémaphores et les sonneries étaient en panne comment sauriez-vous qu’un train approche de la gare ? Et mon fils a dit… Avec les yeux… Très bien et s’il y avait du brouillard ? Alors mon fiston vêtu de son uniforme a sorti un mouchoir blanc de sa poche l’a posé à côté du rail s’est mis sur un genou a pris appui sur le sol a posé une oreille sur le rail a écouté un instant et en se levant a dit à l’inspecteur Chmelec Le train numéro 804 vient juste de passer par Kamenné Zboží… L’inspecteur Chmelec était effaré… Dans quel règlement avez-vous pris ça ? Et mon fiston a dit… dans un film américain dans un western avec Gary Cooper comme éclaireur dans le rôle principal… C’est comme ça qu’il arrive à savoir si ce sont des Peaux-Rouges qui approchent sur leurs mustangs ou un troupeau de buffles…
Chmelec l’a félicité et a dit à la commission que mon fils ferait un bon sous-chef de gare parce qu’il prenait soin de son uniforme… Il a mis un mouchoir sous son genou messieurs pour ne pas salir un si bel uniforme…"

Terrains vagues

"Mais à présent qu’est-ce qui le pousse à se retirer dans la paille, à s’y enfoncer jusqu’aux épaules ? Ma petite fille, je commence à y voir clair, ce que je vais te dire, ce n’est plus un film burlesque, ou peut-être est-ce un film burlesque après tout ? La vérité c’est que j’ai mis mon fiston au monde sans être mariée… En ce temps-là, c’était la honte… Je me souviens, c’était un dimanche, maman préparait le déjeuner et moi j’ai dit à papa que j’étais enceinte et que pour l’instant mon amoureux ne voulait pas m’épouser… papa qui avait la tête près du bonnet m’a attrapée par les épaules, m’a traînée dans la cour, ensuite il est allé prendre son fusil de chasse et il a crié… à genoux, je vais te tuer… J’ai eu terriblement peur, je l’implorais mains jointes… Mais dans sa sagesse ma mère est sortie et nous a dit… Laissez cela, venez manger, ça va refroidir…"

"Mon mari et ses écritures, c’était un drôle de désordre, la pagaille, il se moquait du style, il ne faisait aucun effort, moi je n’étais pas forte en grammaire, mais je savais très bien qu’en fait mon mari n’avait jamais su correctement écrire le tchèque, j’avais l’impression que ses écritures étaient traduites d’une langue étrangère, rien que des notes pour un travail qui restait à faire, des esquisses d’histoires qui attendaient un travail patient… Mais c’est justement ce qui faisait la fierté de mon mari, il était ravi de pouvoir laisser son texte inachevé, un peu délabré, avec le crépi qui tombait laissant apparaître le mur nu, des briques qui s’effritaient… Dans ses écritures mon mari ressemblait tout à fait à ces cours praguoises où traînent des restes d’échafaudages, où les ordures tombent à côté des poubelles qui débordent, les écritures de mon mari c’étaient des restes de vieux matériaux oubliés, éparpillés, des bouts de ferraille, des fils de fer, des éléments de radiateurs, tout ce fourbi qu’on ramasse les dimanches de collecte du fer, mon mari écrivait comme si ses écritures étaient le reflet de tout cela, mon mari disait lui-même que l’image de ses textes se trouvait dans les cours autour de la taverne de La Harpe, dans les fenêtres cassées de l’usine d’incinération, les fenêtres cassées des ateliers de la ČKD, les écritures de mon mari étaient comme les habits que portaient les ouvriers."

La page Bohumil Hrabal sur Lieux-dits


EUGENE MARTEN
En aveugle

Traduction de l’anglais (États-Unis) de Stéphane Vanderhaeghe

"Encore, lentement, pénétrer tant bien que mal ce noir à l’épaisseur de rêve, mais pas moyen de les dépasser, seulement de m’en rapprocher. Chaque pas augmentait le bruit qu’ils faisaient, cette débâcle haut-perchée, ces crissements. Les petits bruits sourds. Je n’aurais su dire où ils étaient mais je ne me suis plus arrêté, m’arrêter ne faisait qu’empirer les choses. Il fallait continuer de te donner entièrement à ça jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien que tu puisses reprendre."


 

LOUISE ERDRICH
La Sentence

Traduction de l'américain de Michel Lederer

"J’ai vu un magasin de pop-corn ouvert et je me suis arrêtée pour en acheter. L’odeur du maïs grillé modifiait celle laissée par le gaz lacrymogène – une odeur âcre, crayeuse, musquée. Un nuage m’a stoppée à deux pas de chez moi. Un nuage d’émotion. J’ai freiné et je me suis appliquée à respirer calmement pour le traverser. C’est l’alarme retentissante du couvre-feu sur mon téléphone qui l’a dissipé. J’étais fatiguée et triste à mourir. J’aurais tellement voulu qu’il pleuve."


LOUISE ERDRICH
Comme des pas dans la neige

Traduction de l'américain de Michel Lederer

"Nous avions commencé à mourir avant la neige et, comme la neige, nous avions continué à tomber les uns après les autres. Il était étonnant qu’il reste encore tant d’entre nous à mourir. Pour ceux qui avaient survécu à la maladie des taches venue du sud, au long combat à l’ouest du pays des Sioux où nous avions signé le traité, puis au vent d’est qui nous avait précipités en exil dans une tempête de papiers officiels, ce qui descendait du nord en 1912 semblait inconcevable."


BENEDICTE DUPRE LA TOUR
Terres promises

"Le soir, les orpailleurs pleuraient sur les petits daguerréotypes jaunis représentant leur épouse, des femmes simples, parfois laides, serrées dans d’austères robes sombres, et fixant le vide de leurs yeux terreux. Ces hommes étaient partis loin pour se retrouver dans un monde peuplé uniquement de corps noirs et durs, hagards, aux barbes hirsutes figées par la boue ; des silhouettes mécaniques gesticulant dans une même fièvre. Ils étaient prêts à dépenser le fruit de trois jours de quête hargneuse pour s’asseoir à la table de Marnie ou de Carolyn. Ils étaient prêts à tout donner pour entendre, voir et toucher ces tristes échos de femmes que dans leur vie d’avant, ils auraient considérés avec dégoût. Mais là, au fond du bourbier glacial, ils les adoraient comme des saintes."

"Avisant une fourmi noire issue d’une colonie voisine, Wakiza s’en saisit et la déposa au sommet de la fourmilière rouge. L’intruse fut aussitôt repérée, un flot furieux s’abattit sur elle, une fureur de mandibules et de pattes submergea l’étrangère, la terrassa et la découpa vivante, en segments propres et bien ordonnés. Enfin, il ne resta plus rien de la noire. Wakiza s’amusait du spectacle des fourmis, en mâchant sa viande. Il ne vit pas venir la menace, elle allait contre le vent. L’ours surgit, les oiseaux se turent."

 


MERCEDES ROSENDE
L'autre femme
Des larmes de crocodiles

Traduction de l'espagnol (Uruguay) de Marianne Million

"Montevideo, premières lueurs. La ville est déserte, immobile, elle ne respire même pas. Dans la tour qui fut la plus haute d’Amérique du Sud, le Palacio Salvo, la lumière du premier rayon vient de l’est. Un silence blanc, un peu doré. Sur une radio de la préfecture de police, on entend du jazz, du blues ou toute mélodie incongrue avec un lever de soleil en ce lieu. Dehors, Montevideo s’éveille, comme toujours, enveloppée de cette légère odeur de détritus.»


YVES MARTIN
L'Enfant démesuré

"L’école se profile, typique, bourdonnante de liserons, de lierres, de vignes aux innombrables pierres de lune. Elle est séparée de la rue principale par une courte tunique de grillage. La maîtresse est là, le silence s’amuse d’une poignée de billes, de lacets qui grillent comme du maïs, d’un juron qui zozote, se froisse dans l’air comme le feuillage du merle, d’une noix ou d’une noisette qui arment, rien ne manque, pas même l’âne pianola aux oreilles virtuoses. La maîtresse paraît sévère à cause d’un front étroit, de petits yeux broyés et sans couleur ou couleur de gui, de lait masqué par une mouche. Cependant garçons et filles sont sensibles à sa poitrine chaleureuse qui s’esbrouffe comme un fantastique oiseau. Chacun rêve de dormir ou de caresser ses plumes, de lui dire ses gros chagrins ou ses immenses espoirs, ses premières amours cousues de larmes, ses disputes avec les parents qui tombent avec trop de majesté. La petite fille rêve comme ses compagnons et compagnes, mais avec plus de force, d’audace, de précision. Elle mordille la formidable mappemonde comme elle l’a vu faire à un monsieur moustachu sur une gravure du grenier soigneusement glissée dans un livre d’aventure pétillant d’or et d’écarlate."

La page Yves Martin sur Lieux-dits


IVAN KRAMSKOI
Sélection de peintures

Ivan Nikolaïevitch Kramskoï (en russe : Иван Николаевич Крамской), né le 27 mai 1837 (8 juin 1837 dans le calendrier grégorien) à Ostrogojsk (actuelle oblast de Voronej) et mort le 24 mars 1887 (5 avril 1887 dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg, est un peintre et critique d'art russe, ainsi qu'une très importante figure intellectuelle des années 1860-1880, chef de file du mouvement de l'art démocratique russe (les Ambulants).

Issu d'une famille de petite bourgeoisie, il étudie de 1857 à 1863 à l'Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Il réagit contre l'art académique, et dirige la révolte des Quatorze qui se termine par l'expulsion des élèves qui y avaient participé, lesquels se réunirent plus tard en un groupe appelé l'Artel des artistes.


Le Christ dans le désert (1872) (180 x 210cm)


ILYA REPINE
Grigori Sternine et Elena Kirillina

Ilya Répine était un peintre et sculpteur russe connu pour son appartenance au groupe des Ambulants. Ce courant d’avant-garde se rebella contre le formalisme et le conformisme de l’Académie des beaux-arts et proclama les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Les plus puissantes œuvres de Répine sont étonnantes de profondeur psychologique (Ivan le Terrible et son fils Ivan le 16 novembre 1581). Il mit également en évidence, dans ses toiles, les tensions sociales de son temps (Les Bateliers de la Volga). Ce livre vous invite à découvrir ce peintre réaliste et progressiste dont les splendides œuvres d’art ont influencé le mouvement artistique socialiste russe.


Les Bateliers de la Volga (1870-1873) (131,5 × 281 cm)